Paulin


[...] Au Liban, la guerre pourrait ne jamais se terminer.

L'auteur, le livre (480 pages, 2024) :

Frédéric Paulin s'est fait une spécialité de romans (façon thrillers) avec lesquels il éclaire la géopolitique de notre Histoire contemporaine. 
On se rappelle notamment sa trilogie Benlazar sur le terrorisme venu du Maghreb et surtout son récit du sommet du G8 à Gênes
Prof d'histoire-géo, journaliste, il ouvre aujourd'hui une nouvelle série destinée à mieux nous faire comprendre les enjeux des conflits libanais. Vaste entreprise (!) dont le premier titre Nul ennemi comme un frère est tiré d'un proverbe qui évoque la trahison.
Issu d'une longue tradition française, le pays du Cèdre, la Suisse du Moyen-Orient dont la capitale fut même appelée le Paris du Moyen-Orient, fait toujours et encore aujourd'hui la Une des actualités : l'histoire que l'auteur va nous raconter tombe vraiment à point nommé.
Ce premier tome (début d'une nouvelle série) couvre la période des années 70 jusqu'en 1983, du début de la guerre civile libanaise jusqu'au 23 octobre 83 précisément, jour des terribles attentats contre les forces de la FMSB qui visèrent les américains à l'aéroport et les français dans l'immeuble Drakkar.
[...] Je suis le Liban qui a fait la guerre depuis tant d’années que parfois j’accepte que cette guerre ne s’arrêtera peut-être jamais.

Le contexte :

Depuis des millénaires, le Liban est le centre géopolitique du Moyen-Orient et aujourd'hui toujours, le centre névralgique d'une région sur le point d'imploser.
[...] Qui comprend ce qui agite depuis quelques années la Bekaa et le pays entier ? Pourtant tout le monde pressent le pire.
Nous voici dans les années 70 puis 80 au cœur d'une poudrière faite d'une multitude de communautés et de confessions irréconciliables. C'est ici, entre chiites, chrétiens, druzes et sunnites, qu'ont trouvé refuge les palestiniens chassés par les israéliens et les jordaniens.
Frédéric Paulin a convoqué le phalangiste chrétien Pierre Gemayel et son fils Bachir, le druze Kamal Joumblatt, Hassan Nasrallah et Abbas Moussaoui, ... tous ces noms qui faisaient la Une des journaux télévisés de notre jeunesse et certains encore aujourd'hui.
Quelques acteurs français également comme Charles Pasqua chef d'orchestre des basses œuvres du RPR, Pierre Marion nommé par Mitterrand à la tête de la DGSE lors de la réforme du SDECE, ...
Les années 70 ce sont celles où se succèdent à Beyrouth enlèvements, attentats, massacres et assassinats, celles de la révolution iranienne menée par les chiites de Khomeyni, celles aussi des premiers attentats d'Action Directe à Paris [clic], ...
Les années 80 ce sont celles de l'assassinat de l'ambassadeur français Louis Delamare en poste à Beyrouth, celles de Mitterrand au pouvoir, celles des attentats palestiniens à Paris (rue Copernic, rue des Rosiers), ...
Rappelons que 1982 c'est l'année de l'opération Paix en Galilée et l'invasion du Liban par les israéliens qui se conclura par les sinistres massacres de Sabra et Chatila ...
[...] Peut-être que le Liban n’a pas d’autre intérêt pour ses puissants voisins que d’être un champ de bataille où régler leurs comptes.

Le pitch :

Pour la trame romanesque de son livre, Frédéric Paulin a réuni, aux côtés des personnalités réelles de l'époque, quelques personnages de fiction qui vont nous servir de guides dans ce dédale libanais où se mêlent très étroitement politique, guerre et religion : Philippe Kellermann l'agent de l'ambassade shooté aux anxiolytiques, Zia al-Faqîh la belle interprète chiite qui parle (trop bien) le farsi iranien, l'arrogant Christian Dixneuf l'agent du SDECE (puis de la DGSE avec Mitterrand), la charmante juge antiterroriste Gagliago, les chrétiens maronites de la famille Nada, ...

♥ On aime :

 On profite avec plaisir et intérêt du parcours historique que Frédéric Paulin retrace brillamment pour nous : un intelligent résumé des événements de 1975 à 1983 quand Syriens, Iraniens, Israéliens et Palestiniens réglaient leurs comptes dans l'arrière-cour libanaise. Et un peu à Paris, aussi.
L'auteur nous balade d'une faction à l'autre, de Paris à Beyrouth : le récit est soigneusement documenté et c'est tout simplement passionnant. 
Nous allons même assister en direct à la naissance du Hezbollah qui fait tant parler de lui aujourd'hui.
Il va sans dire qu'on attend la suite avec impatience !
 Frédéric Paulin ne se contente pas de Beyrouth et détaille longuement les tergiversations et retournements de la diplomatie française au Moyen-Orient. Une politique française qui, de Chirac à Mitterrand, ne ressort pas vraiment grandie de ce récit, c'est le moins que l'on puisse dire.
 On regrette cependant que l'intrigue romanesque marque le pas sur le résumé historique : le lecteur, captivé par le récit des événements, aura bien du mal à s'intéresser aux déboires des personnages de fiction, pas tous recommandables. Pour une fois, l'alchimie entre Histoire et roman ne semble pas fonctionner à plein, peut-être parce que Frédéric Paulin a voulu brosser un trop large panorama dans lequel ses personnages de roman se sentent un peu perdus.
[...] Ici, au Liban, le pouvoir politique et économique est un héritage. Depuis des siècles, la transmission se fait par lignées familiales, chez les chiites de la Bekaa et du Sud, chez les chrétiens ou les Druzes de la montagne, chez les sunnites dans les grandes villes. Depuis la création de l’État libanais, moins de trente familles occupent le tiers des sièges des députés ou la présidence des partis.
[...] Si un grand pays comme l’Iran devenait un état chiite, la communauté chiite libanaise ne serait plus livrée à elle-même. [...] Si l’Iran devient une République islamiste avec à sa tête Khomeini qui est chiite, les chiites dans le monde entier vont acquérir un putain de pouvoir. Et pour ce que j’en connais le mieux, au Liban, ça va être la merde.
[...] La guerre civile libanaise est une guerre sans visage. La mort, là-bas, n’est pas celle que l’on côtoie dans les autres guerres. Pas de prison, pas de procès, pas d’exécution légale. On y meurt au petit déjeuner dans sa cuisine lorsqu’une roquette réduit en miettes un immeuble. On y meurt en traversant une rue alors que les chasseurs israéliens bombardent un quartier palestinien ou chiite. On y meurt d’une balle dans la tête tirée par un sniper au petit matin, en allant au travail. On y meurt à un barrage parce que sa carte d’identité est celle d’une communauté ennemie. On y meurt anonymement parce que l’État n’existe pas et que des pays étrangers ou des milices s’y sont substitués.
[...] Paix en Galilée n’est pas qu’une opération militaire, c’est une véritable ingérence politique destinée à hisser la minorité chrétienne au pouvoir en écrasant les autres milices alliées aux Palestiniens.

Pour celles et ceux qui aiment comprendre aujourd'hui.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Agullo (SP).
Mon billet dans la revue Actualitté et le journal 20 Minutes.

Les voisins d'à côté (Linwood Barclay)

[...] Les choses finissent toujours par vous rattraper.

●   L'auteur, le livre (444 pages, 2010, 2008 en VO) :

Après avoir été bluffé par le style et la construction de Disparue à cette adresse, on s'était promis de revenir chez le canadien Linwood Barclay.
Le revoici donc avec un roman beaucoup plus ancien : Les voisins d'à côté.

●   On aime :

❤️ Dès les premières pages, on goûte le plaisir d'être installé dans son meilleur fauteuil pour passer un très bon moment, même si on comprend vite qu'avec un tel page-turner qu'on ne saura pas reposer avant la toute fin, la nuit s'annonce bien longue !
❤️ Même si le bouquin date de plus de quinze ans et n'a pas toute la force de Disparue à cette adresse, on sent bien que Linwood Barclay est déjà un "pro" quand il s'agit d'écrire ce type de romans à énigme.

●   L'intrigue :

Ça commence très fort quand dans la petite ville de Promise Falls, typique de la côte Est des US, les voisins sans histoire de Ellen et Jim Cutter sont assassinés.
[...] La nuit où nos voisins, les Langley, ont été assassinés, nous n’avons rien entendu.
[...] En vérité, je n’avais jamais rien vu de pareil. Pas une famille entière. Pas comme ça. Pas à Promise Falls. 
— C’est l’Amérique, soupira Ellen en glissant le pain dans la poêle fumante. Cela peut arriver n’importe où.
Ce soir-là, le fils ado d'Ellen et Jim rodait bêtement autour de la maison des voisins et se retrouve inculpé.
Mais dès le début on devine, on sait, que Linwood Barclay nous cache une bonne partie de l'histoire, ne nous dit pas tout sur le passé des uns et des autres et garde tout un jeu de cartes dans sa manche.
Il se paie même le luxe d'une petite intrigue littéraire (cela doit faire partie des cours d'écriture aux US !) avec l'usurpation d'un manuscrit, un plagiat qui aurait permis au pilleur de vendre un best-seller.
[...] Je n’arrive pas à croire que ce bouquin soit devenu un best-seller.
[...] Sincèrement, les écrivains sont souvent sympa, mais tellement collants. Toujours en quête d’approbation.
[...] — Vous le méprisez réellement, n’est-ce pas ? reprit-elle. Vous pensez que c’est un imposteur ? 
Je réfléchis tout en me garant le long du trottoir. 
— Je pense qu’il est plus qu’un imposteur, répondis-je. Je pense que c’est un assassin.
[...] Les choses finissent toujours par vous rattraper.
Mais il faudra attendre la toute fin, au cœur de la nuit blanche, pour que les derniers masques tombent enfin.

Pour celles et ceux qui aiment les tours de passe-passe.
D’autres avis sur Babelio.

Le ciel t'attend (Grégor Péan)

[...] Leur heure est peut-être venue.

●   L'auteur, le livre (400 pages, 2024, 2023 en VO) :

Terry Hayes est un scénariste qui a travaillé sur la série des Mad Max et qui partage sa vie entre Grande Bretagne et Australie.
On a découvert il y a peu son premier thriller : Je suis Pilgrim.
Voici un nouvel épisode, son troisième roman et le second traduit en français : L'année de la sauterelle.
Car chacun sait que les sauterelles ou les criquets (The year of the locust en VO) se développent et croissent sans bruit durant plusieurs années avant que leurs nuées s'envolent et s'abattent sur le pauvre monde. Ainsi, Terry Hayes nous invite à assister à l'essor d'une nuée de djihadistes qui sommeillaient dans les montagnes reculées d'Afghanistan : l'année de la sauterelle est annoncée pour très bientôt. L'occident peut trembler.
[...] «  Une sauterelle, dis-je. —  Pendant des années, il n’y a rien, expliqua Falcon, puis c’est l’invasion, on ne peut plus les arrêter, elles détruisent tout sur leur passage. Peut-être est-ce le moment. Leur heure est peut-être venue.  »
[...] Dans le monde du renseignement, il existe un nom réservé à ces actes terroristes de grande ampleur, et la station de Kaboul était convaincue qu’un autre Feu d’artifice était en préparation.
[...] La CIA avait découvert que l’un des plus grands terroristes au monde était ressuscité d’entre les morts et qu’elle l’avait plus ou moins localisé.

●   On aime bien la première moitié :

❤️ On aime bien l'écriture très pro, fluide et bien rythmée, de cet auteur qui arrive un peu sur le tard dans le monde très convenu du thriller d'espionnage mais qui réussit à tirer habilement sa plume du jeu. 
Ses bouquins ne révolutionnent pas le genre mais on est bon public et on veut bien encore et toujours, embarquer aux côtés du super héros très fort et très malin qui va sauver les États-Unis (et le reste du monde avec, ouf) des griffes des méchants terroristes islamistes. 
Tout cela avec une bonne dose de clichés éculés, un peu de technologie branchée, un peu d'humour désabusé, un savant mélange de testostérone et d'adrénaline, en somme rien de bien nouveau sous le soleil de Kaboul mais encore faut-il savoir doser ces ingrédients avec soin et un peu de brio si possible. Tout comme son super-héros, Terry Hayes fait le job et il le fait bien.
❤️ On savoure le plaisir de se laisser promener au fil des longues digressions de cet auteur, c'est un peu sa marque de fabrique. Un personnage nous raconte telle anecdote périlleuse, un autre se souvient de telle mission au Moyen-Orient ou de telle aventure au Vietnam, puis on va nous détailler longuement et inutilement telle escale d'avion à Ryad ou tel campement dans les montagnes, ... laissant l'intrigue principale se dérouler peu à peu en arrière-plan, lentement au fil des pages.
C'est ce qui fait d'ailleurs tout le charme de ces gros pavés quand le lecteur se laisse ainsi balader car nullement pressé d'arriver au terme d'un long voyage de 400 pages.
 On s'étonnera sans doute à mi-parcours du culot de Terry Hayes qui se lâche un peu et qui sort de son chapeau une péripétie vraiment too much et d'un genre plutôt surprenant ici, mais dont on ne peut rien dire sans divulgâcher évidemment et qui prendra assurément le lecteur à contre-pied : attention, une sauterelle peut en cacher une autre !
Mais restons bon public et faisons confiance à cet auteur inventif et scénariste exubérant, pour trouver le moyen de retomber sur ses pattes.

●   L'intrigue :

Un agent doit pénétrer en Afghanistan pour exfiltrer un informateur susceptible de renseigner la CIA sur un dangereux terroriste que tout le monde croyait mort mais qui serait en train de préparer rien moins qu'un terrible attentat, un feu d'artifice façon 11 septembre.
[...] —  Imagine une fuite –  un terroriste revenu d’entre les morts, un Feu d’artifice programmé pour Thanksgiving, la majeure partie du monde occidental comme cible potentielle et pas la moindre idée sur la façon dont cela pourrait se produire… La panique à elle seule risquerait de nous anéantir en vingt-quatre heures.  »
[...] Tout commença par une mauvaise nuit, la pire de toute la mission, et cela empira rapidement.
[...] —  Je ne suis pas surpris, commentai-je à voix basse. Pour lui, comme pour l’Agence, c’était un échec. La mission SAUTERELLE était terminée, et le Feu d’artifice restait d’actualité.  »
Bien entendu, l'exfiltration va partir en vrille de manière ni très propre, ni très cool, bref c'est la cata, surtout pour l'informateur et même pour notre héros.
Mais nous ne sommes qu'au tout début du bouquin et le lecteur peut donc se pelotonner plus confortablement dans son fauteuil pour anticiper le plaisir d'encore quelques heures de cinoche sur grand écran en imax et technicolor.

Pour celles et ceux qui aiment les héros invincibles.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions JC. Lattes.

À l'origine la femme derrière le tableau (Cécile Cerf)

[...] Je vois une scène interdite et je suis interdit.

      L'auteure, le livre (300 pages, 2022) :
Cécile Cerf est agrégée de lettres : il n'en fallait sans doute pas moins pour oser s'atteler à l'histoire du légendaire tableau de Courbet, L'origine du monde [clic].
Son enquête historique nous permet de découvrir À l'origine, La femme derrière le tableau.
      On aime :
❤️ L'histoire passionnante de ce tableau mythique et sulfureux que ses propriétaires gardaient secret (la couverture du livre en témoigne !) et dont on perdit la trace pendant plus d'un siècle.
❤️ Le point de vue résolument féminin ou féministe de l'auteure (nous sommes le 8 mars !).
      Le contexte :
L'histoire vraie du célèbre tableau du jurassien et athée Gustave Courbet : L'origine du monde.
À la fin du XIX°, Courbet est le chef de file des peintres Réalistes, exclus des salons parisiens encore confits dans l'académisme romantique tandis que Paris se remet difficilement de La Commune, celle des pétroleuses.
[...] Cette Commune voudrait tout détruire et revenir à cela. Et Courbet, qui proclame partout qu'il en a assez du marbre et des Aphrodite polies.
Le tableau fut commandé par un diplomate d'origine turque, Khalil Bey et l'on veut croire que le modèle (dont on ne voit pas le visage) était peut-être sa maîtresse, Constance Quéniaux, une danseuse.
[...] Ce Paris insouciant d'avant la Commune où un ambassadeur de la Sublime Porte pouvait entretenir une demoiselle de l'Opéra et faire portraiturer son intimité par un Jurassien athée.
Khalil Bey, ruiné, fut bientôt obligé de vendre ses collections, et l'on perdit la trace de ce petit tableau sulfureux pendant plus d'un siècle jusqu'à ce que le psychanalyste Lacan en fasse l'acquisition et que ses héritiers le cèdent finalement au musée d'Orsay.
      L'intrigue :
La crudité réaliste du sexe peint en gros plan déchaina les passions, à l'époque tout comme encore aujourd'hui : en 2013 même, une nouvelle affaire défraya la chronique des arts.
Cécile Cerf se régale (et nous avec) à rapporter les propos particulièrement féroces des bourgeois phallocrates du XIX° et l'intelligentsia parisienne ne ressort pas vraiment grandie de ces pages, c'est le moins qu'on puisse dire : les Alexandre Dumas (fils), Théophile Gautier, Gustave Flaubert, Maxime du Camp,...  se déchainent avec une rare violence contre Courbet en particulier et les femmes en général.
[...] Aujourd'hui la sauvagerie revient, par les femmes, encore et toujours. Le peuple redevient horde, la femme redevient une femelle.
[...] La Commune et la peinture réaliste de Courbet sont les deux faces d'un même phénomène : ces hommes impuissants, ces femmes qui veulent la toute-puissance, qui veulent voter, faire la guerre, décider de tout, mènent Paris au bûcher. Voilà la famille moderne.
Le narrateur (Maxime du Camp) mène l'enquête pour enfin savoir quelle était donc cette femme qui avait osé poser pour Courbet : le prétexte à visiter et "interviewer" ce qui compte dans le Tout-Paris de l'époque.
[...] Ne trouvez-vous pas plaisant qu'il ait choisi une artiste pour modèle, et précisément une danseuse, et qu'il lui ait coupé la tête et les jambes, alors que chez une ballerine, on vante le cou-de-pied et le port de tête ?
      On aime moins :
Le bouquin nous donne quelques belles pages (édifiantes !) sur les danseuses de l'Opéra dont Constance faisait partie : c'est le sujet de prédilection de l'auteure qui veut nous faire partager sa passion. Mais ces digressions sont un peu trop nombreuses et envahissantes au point que souvent, le tableau de Courbet passe au second plan.
On aime moins aussi les derniers chapitres sur Charcot et la Salpêtrière : ces pages féministes sont peut-être salutaires et nécessaires, bien sûr, mais flirtent un peu trop avec le guide touristique wikipédia.
On regrette aussi un peu que le roman se cantonne à son titre, son époque et son sujet (l'origine du tableau) sans aller plus loin pour retracer toute l'histoire mystérieuse et mouvementée de cette peinture jusqu'au musée d'Orsay.

Pour celles et ceux qui aiment les dessous (de la peinture).
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Bouquin : Magellan

[...] Au commencement étaient les épices.

Stefan Zweig avait plus d'un tour dans son sac d'écrivain et a commis quelques petits opuscules, à moitié leçon d'Histoire, à moitié bio, comme celle d'Amerigo Vespucci ou celle-ci de Magellan.
Une Histoire d'aventures et d'explorations à une époque de découvertes :
[...] L’humanité découvre la planète sur laquelle elle s’agite depuis des temps incalculables. 
Une furieuse épopée que celle de ces marins d'un tout petit pays, qui seront passés en une ou deux générations et une centaine d'années, de modestes barcas de pêcheurs côtiers à l'armada qui contrôlait la moitié des mers du globe.
[...] Alors qu’en 1418, sous Henrique, la nouvelle que les premières « barcas » avaient atteint Madère avait fait sensation, en 1518, les vaisseaux portugais – que l’on compare ces deux distances sur la carte – mouillent déjà à Canton et au Japon.
Curieusement la couronne portugaise refait la même erreur et après avoir refusé de financer l'équipée de Christophe Colomb, de nouveau pousse Fernão de Magalhães à vendre lui aussi, ses talents et ses ambitions au royaume voisin d'Espagne.
Un étrange bonhomme que ce Magellan, longtemps resté dans l'ombre, et qu'on devine solitaire et ombrageux, renfermé et taciturne, fier et entêté, et presque paranoïaque sous le portrait malgré tout enthousiaste qu'en brosse Stefan Zweig.
Comme Colomb, Magellan partira lui aussi sur de fausses hypothèses : il était convaincu que le fameux passage vers l'ouest devait se trouver aux alentours du 35ème parallèle alors qu'il ne s'agissait que du Rio de la Plata (la baie de Buenos Aires). 
[...] C’est par centaines qu’on compte les inventions qui dans tous les domaines de la science sont sorties de fausses hypothèses.
Heureusement, son entêtement le conduira beaucoup plus au sud pour finalement découvrir le passage qui portera son nom.
Un passage difficile à naviguer qui tombera peu à peu dans l'oubli tandis que Magellan trouvera une fin.
[...] Ce « paso » qui devait selon le rêve de Magellan devenir la plus grande route commerciale entre l’Europe et l’Orient.
Mais il en restera une vérité inattaquable :
[...] Ce que les savants supposaient depuis des milliers d’années est devenu, grâce au courage d’un individu, une certitude : la terre est ronde et voici un homme qui vient d’en faire l’expérience.
[...] La preuve est faite que la terre est une boule et toutes les mers une seule mer.

Pour celles et ceux qui aiment les navigateurs.
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BD : No Body (saison 1)

[...] Je mérite la peine de mort. Point.

No Body : une BD du français Christian de Metter qui s'était fait connaître en adaptant des romans à succès (Shutter Island, Au revoir là-haut, ...). 
Avec No Body, le dessinateur crée son propre récit : la saison 1 comporte 4 albums qui nous plongent dans une ambiance rappelant la série Mindhunter. 
Une psy se rend en prison pour tenter de percer la personnalité d'un tueur en série qui se déclare lui-même coupable. 
[...]- Je sais ce que j'ai fait. Je m'en souviens parfaitement. Je mérite la peine de mort. Point. 
Chaque album est l'occasion de découvrir un pan de l'histoire du prisonnier, une vue de son passé. 
Un passé de biker, un passé d'agent infiltré du FBI, ... des histoires qui font revivre les années troubles des US, sixties et seventies. 
Peu de mots échangés mais un sens aigu de la mise en scène avec un découpage très 'série télé'. 
Un dessin sombre et inquiétant, une aquarelle aux eaux glauques, qui ne montre que ce que De Metter veut bien nous dévoiler avant les révélations finales. 
[...] Quand tu mens, sers-toi le plus possible de la vérité et transforme quelques éléments. Juste ce qu’il faut pour convaincre.
Une saison 2 est également sortie qui ira explorer l'Italie des années de plomb.

Pour celles et ceux qui aiment les tueurs.
D’autres avis sur Babelio.

Bouquin : Magellan

[...] Au commencement étaient les épices.

Stefan Zweig avait plus d'un tour dans son sac d'écrivain et a commis quelques petits opuscules, à moitié leçon d'Histoire, à moitié bio, comme celle d'Amerigo Vespucci ou celle-ci de Magellan.
Une Histoire d'aventures et d'explorations à une époque de découvertes :
[...] L’humanité découvre la planète sur laquelle elle s’agite depuis des temps incalculables. 
Une furieuse épopée que celle de ces marins d'un tout petit pays, qui seront passés en une ou deux générations et une centaine d'années, de modestes barcas de pêcheurs côtiers à l'armada qui contrôlait la moitié des mers du globe.
[...] Alors qu’en 1418, sous Henrique, la nouvelle que les premières « barcas » avaient atteint Madère avait fait sensation, en 1518, les vaisseaux portugais – que l’on compare ces deux distances sur la carte – mouillent déjà à Canton et au Japon.
Curieusement la couronne portugaise refait la même erreur et après avoir refusé de financer l'équipée de Christophe Colomb, de nouveau pousse Fernão de Magalhães à vendre lui aussi, ses talents et ses ambitions au royaume voisin d'Espagne.
Un étrange bonhomme que ce Magellan, longtemps resté dans l'ombre, et qu'on devine solitaire et ombrageux, renfermé et taciturne, fier et entêté, et presque paranoïaque sous le portrait malgré tout enthousiaste qu'en brosse Stefan Zweig.
Comme Colomb, Magellan partira lui aussi sur de fausses hypothèses : il était convaincu que le fameux passage vers l'ouest devait se trouver aux alentours du 35ème parallèle alors qu'il ne s'agissait que du Rio de la Plata (la baie de Buenos Aires). 
[...] C’est par centaines qu’on compte les inventions qui dans tous les domaines de la science sont sorties de fausses hypothèses.
Heureusement, son entêtement le conduira beaucoup plus au sud pour finalement découvrir le passage qui portera son nom.
Un passage difficile à naviguer qui tombera peu à peu dans l'oubli tandis que Magellan trouvera une fin.
[...] Ce « paso » qui devait selon le rêve de Magellan devenir la plus grande route commerciale entre l’Europe et l’Orient.
Mais il en restera une vérité inattaquable :
[...] Ce que les savants supposaient depuis des milliers d’années est devenu, grâce au courage d’un individu, une certitude : la terre est ronde et voici un homme qui vient d’en faire l’expérience.
[...] La preuve est faite que la terre est une boule et toutes les mers une seule mer.

Pour celles et ceux qui aiment les navigateurs.
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Bouquin : Seul le silence

[...] Je sais que tu ne seras jamais un ange.

Voilà dix ans que l'on découvrait R.J. Ellory avec ce qui est sans doute son meilleur roman : Seul le silence.
À la relecture, c'est toujours un énorme roman.
Le britannique écrit à la manière des plus grands auteurs américains, les Faulkner, Steinbeck ou Truman Capote : on dirait qu'il a besoin d'espace outre-Atlantique (et peut-être de distance) pour déployer ses amples histoires.
Bien sûr c'est souvent classé au rayon polars mais Ellory se garde bien de démarrer une intrigue avec des meurtres, des assassins, des flics, ...
Non, il prend tout son temps pour installer décors et personnages car c'est un habile faiseur d'histoires, de petites histoires dans la grande histoire de son roman et même dans la Grande Histoire du Monde.
Tout commence donc au rythme des États du Sud, en Géorgie, en 1940.
Pendant qu'il se passe des choses terribles en Europe, il s'en passe d'autres dans les marais Okefenokee et de la Suwannee River où l'on découvre des cadavres dénudés d'enfants, de toutes jeunes filles.
Le héros, le narrateur, n'a encore qu'une douzaine d'années.
[...] La cinquième victime fut la petite fille qui était assise à côté de moi dans la classe de mademoiselle Alexandra Weber. Elle était si proche que je connaissais son nom, que je savais qu'elle dessinait le chiffre 5 à l'envers. Bon sang, elle était si proche que je connaissais son odeur. On retrouva son corps le lundi 3 août 1942. L'essentiel de son corps, pour être précis.
C'est aussi un livre sur la littérature, ou plus exactement sur l'écriture, quand lire est une raison d'être et quand écrire est un besoin vital : l'histoire d'un jeune garçon qui noircit des cahiers sous l'œil bienveillant de son institutrice. Un jeune garçon dont l'adolescence et finalement la vie vont être façonnées par ces ignobles crimes.
[...] - Peut-être qu'on se reverra, Joseph. Je te proposerais bien de rester dîner, mais ...
- Les fantômes ne restent pas dîner, Maurice.
À la relecture, la prose d'Ellory nous a quand même paru un peu lourde : l'auteur n'y va pas avec le dos de la main morte et son héros subit les pires tourments, c'est un peu too much.

Pour celles et ceux qui aiment les grandes histoires.
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Bouquin : L'année des volcans

[...] Voilà à quoi je ne me résigne pas, ne pas vivre.

Voilà déjà quelques années que l'on avait voyagé avec François-Guillaume Lorrain jusqu'au pied du Stromboli en compagnie de monuments du cinéma : Ingrid Bergman, Anna Magnani et Roberto Rossellini, excusez du peu.
À la relecture, L'année des volcans s'avère toujours aussi passionnante qui nous fait partager quelques moments aux côtés de ces monstres sacrés.
Deux femmes aussi différentes que peuvent l'être une brune méditerranéenne et une blonde scandinave, deux femmes amoureuses du même homme qui possède un don magique, capable avec sa caméra de les magnifier, de les sublimer.
Un réalisateur qui crée des stars à l'écran mais qui s'en nourrit lui-même.
[...] Le père, ou le parrain, du septième art moderne.
Trois artistes complètement égoïstes et totalement entiers, prêts à tout abandonner pour vivre leurs passions amoureuses ou artistiques.
[...] Voilà à quoi je ne me résigne pas, ne pas vivre.
[...] Elles ne s'étaient jamais reniées, ne transigeant en rien sur leur liberté et leur dignité.  
On y découvre une Italie qui peine à se remettre des blessures et humiliations de la guerre.
On y découvre également la naissance d'un film : un processus mystérieux, chaotique et un peu magique, du moins à cette époque.
On y retrouve toute la magie du cinéma.
[...] Elle était encore trop émue pour trouver ses mots. Elle ne connaissait même pas le nom de l'actrice, Anna Magnani, qui venait de lui faire croire qu'on pouvait mourir devant une caméra.
L'écriture de Lorrain est fluide et agréable et sait nous embarquer pour les îles éoliennes, nous faire partager la dolce vita d'un cinéaste poursuivi par ses créanciers et, plus dangereux, par ses femmes.
[...] Il gagnait toujours. Il n'en tirait aucune vanité, il ne pouvait en être autrement. À chaque fois, il jouait sa peau, comme au temps de sa jeunesse.
Notre précédent billet de 2014.

Pour celles et ceux qui aiment le cinéma et les caprices de star.
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Bouquin : La proie

[...] Le crime du Rovos Express.

Le sudaf Deon Meyer n'est pas un inconnu [clic], avec des polars toujours très pros même si la plume reste simple.
Et puis il y a toujours le plaisir de découvrir depuis son canapé, cette fascinante Nation Arc-en-Ciel. 
[...] J'ai appris une chose sur ce pays, Vaughn. Ça ne va jamais aussi mal qu'on le craint. Et ça ne va jamais aussi bien qu'on le voudrait. 
La proie nous propose de commencer le voyage en train avec le Rovos, un train touristique de luxe, version sudaf de l'Orient Express.
Bon, on est en Afrique du Sud, hein : un cadavre est bientôt retrouvé sur les voies, balancé du fameux train ...
L'intrigue nous promènera dans la région du Cap bien sûr où l'on va suivre un duo d'enquêteurs des fameux Hawks, un tandem plutôt bien décrit et auquel on s'est attaché au fil des polars de Meyer.
Un autre volet (qu'on a trouvé moins réussi) se déroule à Bordeaux, clin d'œil de l'auteur à son fan club français, une ville qu'il semble bien connaître jusqu'à la librairie Mollat !
Un thriller sur fond de corruption, de rivalités géopolitiques et de règlements de comptes post-ANC.
[...] Il faut que tu comprennes, il y a de grandes puissances en jeu. La Chine qui monte, l'Amérique qui décline. Au milieu un vide qui ne demande qu'à se remplir. Un nouvel ordre mondial est en route. Et Poutine ... Tu peux dire de lui ce que tu veux, il est malin. Il joue sur le long terme, il se positionne, il place son pays.
Mais en dépit de l'épisode français, Deon Meyer se renouvelle peu et sans nous avoir vraiment ennuyé, il n'a pas réussi non plus à nous happer totalement avec ce thriller comme on pouvait l'espérer. On suit tout cela avec un peu trop de détachement.

Pour celles et ceux qui aiment les snipers.
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BD : New York cannibals

[...] C'est un tatouage fait pour protéger cet enfant.

Après le très beau Little Tulip qu'on vient juste de relire (l'album datait de 2014), le duo franco-américain remet cela avec François Boucq aux dessins et Jerome Charyn au récit.
C'est un peu une suite au précédent album : on retrouve à NY quelques uns des personnages et même quelques fantômes revenus des camps de la Kolyma. 
Cette fois, c'est l'ancienne protégée du tatoueur, la japonaise Azami, qui a grandi et désormais tient le haut du pavé des rues de New York (et la une de couverture).
La recette est la même avec côté dessins, les corps, les visages et les tatouages où excelle François Boucq et côté scénario, une histoire plus 'américaine' mais toujours bien noire qui farfouille du côté obscur de l'âme humaine, forcément avec un titre pareil ... 
[...] Des cannibales en plein New York, décidément le passé continue à me mordre au talon !
L'album apparait plus classique que le précédent, l'effet de découverte ne joue plus, et si cela reste tout de même une excellente BD, on a trouvé ce Little Paul un cran en-dessous de Little Tulip. 
Mais les deux font la paire !

Pour celles et ceux qui aiment les tatouages.
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Bouquin : Fidèle au poste

[...] L'importance du souvenir...

On avait découvert Amélie Antoine dans un recueil de nouvelles choral [clic] et son court-métrage, fort bien écrit, nous avait donné envie de passer au long. 
Nous voici donc Fidèle au poste.
L'auteure s'y entend pour décortiquer nos quotidiens ordinaires avec à la fois beaucoup d'humanité et d'acuité.
Tout le début du bouquin nous laisse croire qu'on est embarqué dans une romance plus vraie que nature : un jeune couple, la noyade accidentelle de la belle aimée, le chagrin désespéré de l'inconsolable, la rencontre fortuite d'une autre jeune femme, ...
[...] C'est bien elle. C'est ma femme », murmure-t-il avant de détourner le regard rapidement. D'un geste, le légiste remonte le drap et tente de prendre un air attristé.
[...] Cette histoire n'en finit pas, on se croirait dans Les feux de l'amour.
Le bouquin est écrit à trois voix et suit les trois personnages.
Mais on sait bien que l'on est venu pour tout autre chose, alors on se laisse porter par ces pages très agréables et fort bien écrites, en espérant et en redoutant l'inéluctable renversement de situation ...
À mi-parcours, premier retournement, c'est terrible : le lecteur s'accroche à sa liseuse, dévore les pages, maudit ses yeux qui n'avancent pas assez vite, il est tard mais tant pis, pas question de reposer le bouquin avant la fin.
[...] On s'est tous fait piéger, dans cette histoire.
On ne peut pas mieux dire.
Ce n'était que son premier roman : nul doute que l'on reviendra encore chez Amélie Antoine.

Pour celles et ceux qui aiment les surprises et les plans à trois.
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Bouquin : Regarder le noir

[...] Je me suis assis et j’ai regardé.

C'est devenu à la mode : réunir quelques grandes plumes du monde du polar et leur confier un cahier des charges pour chacun(e) une nouvelle.
Avec Regarder le noirYvan Fauth a choisi la vue, le regard, la vision, l'un de nos cinq sens.
Les yeux sont un organe sensible, critique, fragile. 
Alors de toute évidence, ça va faire mal ! D'autant que la tradition veut qu'on tienne là des nouvelles "à chute" et que dans le noir, les chutes sont généralement plus effrayantes !
Le lecteur qui croirait pouvoir survoler tout cela d'un regard détaché, se fourre le doigt dans l'œil !
On ne va évidemment pas classer les nouvelles de ce recueil et leurs auteur(e)s, exercice futile et sans grand intérêt, mais plutôt essayer de donner quelques envies de lire.
La palme de l'horreur revient à l'une des grandes plumes du moment, Olivier Norek, qui sait raconter les histoires, les grandes comme les petites, et qui ouvre le bal avec une nouvelle absolument horrible après avoir bien promené son lecteur qui n'aura rien "vu" venir !
La palme de l'anticipation sera pour Claire Favan, autre tête d'affiche, avec une petite histoire venue d'un futur proche où le permafrost décongelé a libéré du mercure et empoisonné l'atmosphère de la planète. Les survivants de l'époque perdent leurs yeux (entre autres) et leur position dans la hiérarchie sociale est déterminée par leur dernier test d'acuité visuelle !
[...] Son prestige vient aussi du fait qu’il est un 80 %. Nul ne peut rivaliser avec lui, puisque la chaîne de commandement repose sur le champ visuel. La plupart des responsables se situent entre 45 et 25 %, les inférieurs sont des exécutants. Les 0 % sont affectés aux tâches les plus ingrates
[...] Les femmes sont tellement préoccupées par la survie de leur progéniture qu’elles prennent très au sérieux les qualités de reproducteurs de ceux avec qui elles se mettent en couple.
Ça fait un peu réfléchir quand même et donne un autre "point de vue" sur le réchauffement climatique.
La palme de la meilleure nouvelle sera peut-être pour Amélie Antoine que l'on ne connaissait pas (mais que l'on va découvrir de ce pas) et qui nous donne une histoire triste mais fort bien écrite qui met en lumière notre cécité, celle qui nous évite (ou nous épargne) la vue des petites gens et des SDF.
Bien sûr comme dans tout recueil choral de ce type, il y a un côté un peu artificiel à réunir tout cela et certainement deux ou trois nouvelles ne trouveront pas grâce à vos yeux.
Mais il serait bien dommage de passer à côté sans y jeter ... un œil !

Pour celles et ceux qui aiment voir plus loin que le bout de leur nez. 
PS : il existe également un autre recueil intitulé "Ecouter le noir" ...
Un autre avis en Belgique.

Bouquin : Loin du réconfort

[...] Ma rage est incommensurable.

Petit bouquin sympa de Gilles Vidal que ce Loin du réconfort.
Pas vraiment un polar, plutôt un roman noir, à peine plus qu'une nouvelle.
Franck, le narrateur, a eu l'heur ou le malheur de croiser le chemin d'Ivana une belle blonde venue de l'est.
Mais on comprend que leur histoire est maintenant finie et mal finie, les histoires d'amour finissent mal en général ; Franck est sur la route, on essaie de deviner vers quel destin.
[...] Ma rage est incommensurable, ma haine et mon désir de vengeance implacables.
De très courts chapitres s'enchainent, Franck raconte son road trip mais en profite pour sauter du coq à l'âne au gré des associations d'idées, nous dévoilant peu à peu son passé, sa personnalité, par petites touches impressionnistes.
[...] Je suis né l’année de Tchernobyl, le jour exact où la centrale a explosé, le vingt-six avril. C’est comme ça, je n’y peux rien. En fait, j’aurais plutôt voulu naître dans les années cinquante, faire partie de la génération baby-boom, tout comme mon père.
Cette construction est joliment réussie, un coup de pinceau par ici, un coup de brosse par là, notre regard se balade de gauche à droite.
La fin nous a semblé un peu moins bien maîtrisée et on regrette aussi quelques formules frappées un peu trop fort, une affection courante chez nos auteurs français :
[...] Alors que je rumine ces souvenirs comme un vieil édenté son morceau de biscotte, dehors il s'est mis à geler autant que dans le cœur de Josef Mengele.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires d'amour qui finissent mal en général.
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Bouquin : Les larmes de Saint Laurent

[...] Ce n’est pas de l’ignorance, c’est du mystère.

On avait été emballé il y a quelques années par un précédent bouquin de la québécoise Dominique Fortier. C'était Du bon usage des étoiles.
Nous voici un peu par hasard avec le second roman de la dame : Les larmes de Saint Laurent.
On retrouve bien sûr le style flamboyant de l'auteure, un hymne riche et brillant à la langue française. Toujours érudit et parfois ironique.
Les phrases sont de véritables poèmes qui s'enroulent et se déroulent parfois sur toute une page : un style auquel il faut s'habituer et par lequel il faut se laisser porter car c'est souvent trop long et trop riche.
Mais Dominique Fortier a le don pour dénicher des histoires curieuses, tirées de la vraie vie, et nous les faire partager avec ses talents de conteuse.
La première histoire est celle de Louis Auguste Cyparis (ou Sylbaris) seul rescapé de l'éruption de la Montagne Pelée en 1902 à la Martinique : un pauvre noir enfermé dans un cachot [clic]. Cachot auquel il devra son salut.
[...] Depuis maintenant plus d’une semaine il tombait sur la ville une cendre d’un gris très pâle, qui blanchissait routes, maisons, et jusqu’aux passants qui n’avaient pas songé à se munir de parapluies ou d’ombrelles. Pour la première fois depuis des siècles à la Martinique, il n’y avait plus ni Noirs ni Blancs, tous se trouvant couverts d’une fine poudre telle que les duchesses et les courtisanes en appliquaient jadis sur leurs visages et leurs perruques.
[...] Quand il ouvre les paupières, quelques heures plus tard, il sait tout de suite que la fin du monde a eu lieu et qu’il a été oublié.
Pour ses cicatrices et ses brûlures (et sa couleur de peau), il sera ensuite engagé par le cirque Barnum parmi les 'monstres'.
[... Les] Phénomènes — les prospectus parlaient tantôt de Monstres et tantôt de Merveilles — qu’avaient collectionnés Barnum et Bailey comme d’autres amassent les papillons ou les pièces de monnaie rares.
La seconde histoire est celle d'Edward Love un mathématicien anglais contemporain de Sylbaris. Un obsédé des chiffres qui voyait des nombres partout. Il découvrira certaines ondes sismiques qui portent son nom.
[...] Edward se découvrait fasciné par la Terre et les forces invisibles qui se jouaient sous sa surface.
La troisième histoire prend place de nos jours sur les pentes de Mont Saint Laurent bien sûr et tente une conclusion imaginaire aux deux autres histoires.
Trois petits sujets à ranger dans le cabinet des curiosités de Dominique Fortier.
Mais une lecture exigeante car l'auteure s'est un peu lâchée côté prose cette fois-ci. 
Dommage, les histoires rapportées n'étaient peut-être pas assez puissantes pour maintenir la prose de l'auteure dans les limites.
Petite anecdote, les larmes de Saint Laurent ce sont les étoiles filantes des Perséides que l'on peut apercevoir en août, le jour de la Saint Laurent, martyre brûlé vif en l'an 258.

Pour celles et ceux qui aiment la langue française.
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Bouquin : Le Cherokee

[...] Les dieux de la colère étaient aux tambours.

Le Cherokee : voilà un bouquin qui cache bien son jeu : de prime abord on dirait une traduction à la va vite d'une série B des années 50.
[...] Il a allumé sa cigarette avec son Zippo, d'un geste de cow-boy.
On est au cœur de l'hiver dans l'Utah, en pleine guerre froide, la guerre de Corée est à peine terminée, la bombe atomique, McCarthy et les martiens menacent, tout le monde a peur des rouges et des petits hommes verts.
Sauf que ce thriller très américain est une sorte de pastiche écrit par un frenchy bien de chez nous : Richard Morgiève !
Il faut s'habituer à sa prose, celle des rednecks des hauts plateaux, son rythme chaloupé qui est celui du pickup bringuebalant sur les pistes.
D'autant que le shérif Corey en rajoute un peu pour tromper ses interlocuteurs (et l'auteur ses lecteurs).
[...] Corey avait la voix enrouée, traînante, l'accent des ploucs qui forniquaient en famille. Les gens se faisaient une idée sur lui qui n'était pas la bonne – ils prenaient la piste du mauvais pied.
[...] Il fallait prendre du bon temps quand on pouvait – et pour l'accent, il se forçait un peu. La vie était marrante.
Sous ses allures de ploucs du farouest le tandem Morgiève-Corey a quand même des références et cite, en vrac : le flic allemand Ernst Gennat, Sartre, Shakespeare, les tableaux de Hopper, la relativité d'Einstein, le divan de Freud, et bien d'autres encore.
[...] — Je connais pas beaucoup d'hommes comme vous, shérif… Pour parler vrai, je connais que vous comme vous.
Avouons qu'il y a bien quelques longueurs dans ce gros pavé de 500 pages, lorsque le shérif Nick Corey se met à philosopher un peu trop sur le difficile métier d'enquêteur et l'on a parfois hâte de le voir revenir à la chasse aux indices. 
Faut dire qu'il a de quoi faire : par une belle nuit d'hiver, il découvre une voiture abandonnée où flotte encore la trace d'un parfum français, un avion de l'USAF se pose sur la route mais sans pilote à bord, le FBI débarque avec armes et bagages façon rencontre du cinquième type, et l'on parlera même bientôt d'un tueur en série sans oublier une surprenante histoire d'amour ...
Ouf !
Le shérif Corey se laisse balader entre toutes ces intrigues, porter par tous ces événements, un petit peu à la manière du commissaire Adamsberg de dame Vargas.
Et la prose de Morgiève balance sans cesse entre des formules un peu lourdingues :
[...] Penser était lâche et se suicider aussi. Pas de solution à la condition humaine, on avançait par défaut.
et d'autres passages touchés par la grâce :
[...] Ed Wolf est sorti, un peu trop voûté pour un homme qui n'avait que cinquante ans, mais tout le monde ne portait pas le même poids.
Mais au tiers du bouquin l'intrigue aura pris de l'épaisseur, le shérif et le lecteur auront trouvé leur rythme pour un polar original à plus d'un titre.
Bientôt, vous aussi entendrez les dieux de la colère aux tambours et peut-être aurez vous la chance de voir le puma blanc ...

Pour celles et ceux qui aiment le farouest l'hiver.
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Bouquin : Stavros

[...] Vous ne contrôlez plus rien.

Après une expérience mitigée avec Le Plongeur de Minos Efstathiadis on retente notre chance en Grèce avec Sophia Mavroudis et les enquêtes de Stavros.
Malheureusement, l'auteure en fait vraiment des tonnes avec un commissaire Stavros imbibé d'alcool (le résiné et l'ouzo coulent à flots) et de chagrin (il a perdu sa femme lors d'un épisode précédent).
[...] La douleur gravée sur ses traits, les sanglots muets, le regard éteint, puis ses coups de sang et ses coups de poing.
[...] Mué en loque humaine. Stavros n’était plus que l’ombre de lui-même.
Aux côtés du grec, même Harry Bosch passerait pour le commissaire Maigret.
À longueur de pages, c'est un peu too much : irritable et ingérable pour ses collègues, Stavros est difficilement supportable pour le lecteur et prend toute la place dans le bouquin, éclipsant même l'intrigue.
Dommage car l'enquête nous emmène au cœur d'Athènes, une grande ville un peu méconnue, aux frontières de l'Europe et de l'Orient, ce qui n'est peut-être pas la meilleure place à notre époque.
[...] Ton pays, Stavros, est un vrai bazar. En bordure des zones de conflits, économiquement dépendant et politiquement faible. Vous ne contrôlez plus rien.
[...] Nous sommes otages de nos frontières poreuses et d’une situation géographique aux premières loges des conflits. Des années à subir le joug des empires, à faire la guerre avec les voisins, et à endurer les trafics illicites sur notre sol.
[...] Pour notre plus grand malheur, nous sommes le principal point d’entrée de l’espace Schengen par le sud. 
Le point de vue de Sophia Mavroudis (elle vit en France mais a grandi en Grèce) est intéressant sur ce pays en pleine transformation et qui a fait la Une de l'actualité ces dernières années, avec les Jeux Olympiques, l'effondrement économique et des élections surprises.
Il sera notamment question de trafic d'œuvres antiques : les travaux du métro et des JO ont mis à jour de nombreux vestiges qu'Athènes n'avait ni l'argent ni le temps de traiter correctement. Une bonne part de ce patrimoine a pris le plus court chemin dans les mains les trafiquants de tous bords.
[...] Les musées de Munich et de Vienne ont restitué des œuvres, tout comme le British Museum qui a rendu des trésors volés pendant la colonisation en Afrique et en Asie. L’heure est venue de faire pareil avec la Grèce.
Le pays souffre d'un passé trop pesant (le rayonnement passé de l'Antiquité, les blessures mal refermées de la dictature des Colonels, ...) et traverse un présent trop compliqué.
[...] Aujourd’hui, le quartier est un lieu où les Grecs se font rares ; un ghetto où s’entassent des immigrés indiens, pakistanais, africains, des laissés pour compte aux rêves taris par la crise, entassés là parce que le reste de l’Europe n’en veut pas.
[...] Les murs recouverts de tags de l’organisation d’extrême droite, Aube dorée, les enjoignent à quitter le pays.
Un regard intéressant sur Athènes et la Grèce, amer et désabusé, mais plombé par des personnages beaucoup trop stéréotypés.

Pour celles et ceux qui aiment le résiné et l'ouzo.
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Bouquin : Une histoire birmane

[...] Tout est une question de prestige.

Cette année policière et pandémique aura été propice à la (re)lecture de quelques grands auteurs classiques comme Camus ou ici George Orwell.
Après les incontournables comme 1984 ou La ferme des animaux, on s'attaque à un tout autre bouquin, un des premiers romans de l'auteur : Une histoire birmane (Burmese days en VO).
Eric Arthur Blair (le vrai nom d'Orwell) est né aux Indes britanniques et il arrivera à Katha en Birmanie dans les années 1920 en tant qu'officier de la police impériale, à une époque où l'Empire se fissure de toutes parts.
Ce roman est évidemment tiré de cette immersion dans le camp des colons de la couronne où la suffisance et la médiocrité le disputent au racisme, une expérience qui le marquera beaucoup.
La saveur épicée du récit vient de l'amitié entre un entrepreneur anglais, Mr. Flory (qui tient des propos 'bolcheviques' selon ses pairs !) et un médecin indien.
[...] C'était le monde renversé, car l'Anglais se montrait violemment anti-anglais et l'Indien farouchement loyaliste.
Les propos de Flory-Orwell sur ses compatriotes sont en effet sans appel.
[...] - Quel mensonge , mon cher ami ?
- Mais, voyons, celui qui consiste à prétendre que nous sommes ici pour le plus grand bien de nos frères de couleur alors que nous sommes ici pour les dépouiller, un point c'est tout.
[...] C'est pourtant très simple. Le fonctionnaire maintient le Birman à terre tandis que l'homme d'affaires lui fait les poches.
[...] L'Empire britannique est tout bonnement un moyen de donner le monopole du commerce aux Anglais.
Le charme de ce roman, façon 'un anglais sous les tropiques', tient aussi dans cette description bienveillante et presque naïve de la vie quotidienne aux Indes qui témoigne de l'attrait de ce pays aux yeux d'Orwell.
[...] Les Birmans, en prenant de l'âge, ne deviennent pas flasques et ventrus à l'instar des Blancs : ils s'arrondissent de partout à la fois, tel un fruit en train de mûrir.
[...] J'aimerais que vous veniez dans la véranda voir mes orchidées. J'en ai à vous montrer qui ressemblent à des clochettes d'or - on dirait vraiment de l'or. Et elles ont un parfum de miel, presque trop violent. C'est à peu près le seul mérite de ce sale pays : il est bon pour les fleurs. J'espère que vous aimez le jardinage ? C'est notre grande consolation ici.
Il y a même un suspens quasi policier lorsqu'un vieux notable birman corrompu se met à intriguer et comploter au sein du microcosme qu'est la petite ville de garnison.
Et cette petite fable laissera finalement un arrière-goût très amer.

Pour celles et ceux qui aiment les indigènes.
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Bouquin : Face à face

Coup de chapeau pour cette idée très originale de l’association International Thriller Writers : un recueil de nouvelles écrites en “face à face” par des grands noms du polar où chaque petite aventure (il y en a 11) est écrite par deux auteurs qui font se rencontrer chacun leur héros. 
Ainsi le Harry Bosch de Michael Connelly va rencontrer un ‘collègue’ de la côte Est qui n’est autre que le Patrick McKenzie de Dennis Lehane, etc... 
Les signatures prestigieuses sont la garantie d’une écriture de très bonne tenue : de toute évidence, les ‘couples’ d’auteurs ont pris le challenge très au sérieux et ont apporté beaucoup de soin à leurs proses et à leurs intrigues. 
L’idée de départ n’était pourtant pas évidente : ces héros livresques récurrents avaient généralement développé au fil des bouquins de fortes personnalités bien ancrées dans leur quotidien, leur région, leur histoire patiemment construite, ... et l’art est difficile de les amener à se ‘croiser’ lors d’une petite enquête, tout en respectant et l’un et l’autre. 
Quelques nouvelles relèvent donc l’exercice de style imposé, parfois de manière un peu artificielle, mais c’est justement le côté amusant de l’affaire. 
D’autres sont plus franchement réussies et parviennent même à faire oublier le cahier des charges initial. 
Quant au lecteur qui s’est invité à la fête, il ne connait généralement pas tout le monde mais c’est justement le côté intéressant de cette initiative qui lui fait découvrir de nouveaux héros aux côtés de ceux qu’il connait déjà trop bien ... avec donc l’envie de fréquenter de nouveaux auteurs. 
Opération réussie ! 
Pour celles et ceux qui aiment les polars.
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Bouquin : Dans les geôles de Sibérie

[...] Le mot kompromat est une création linguistique de KGB.

Comme en écho au bouquin de Sylvain Tesson, voici celui de Yoan Barbereau : Dans les geôles de Sibérie.
L'auteur fut, vers 2015, responsable de l'Alliance Française à Irkoutsk, au bord du lac Baïkal. 
La (très) belle vie d'expat jusqu'à ce qu'un jour le FSB débarque et l'embarque sous l'accusation de pédopornographie avec témoignage à charge de son épouse.
[...] Le mot kompromat est une création linguistique de KGB. Il dit la puissance du dossier compromettant.
S'ensuivent quelques mois de prison à Irkoutsk, quelques semaines d'internement psychiatrique et quelques autres mois de confinement à Irkoustk puis à Moscou.
Son bouquin raconte tout cela, un peu dans l'esprit de Sylvain Tesson : beaucoup d'introspection et de la kulture littéraire étalée jusqu'à plus soif.
On se demande bien où le bonhomme veut en venir : on n'apprendra rien sur l'accusation que l'on suppose mensongère, soyons bienveillants, pas plus que sur ses troubles relations avec son épouse.
Des évasions rocambolesques vantées par la quatrième de couverture, on ne découvrira finalement qu'une escapade en blablacar et un bracelet électronique forcé dans du papier alu.
Des séjours dantesques dans les goulags, on comprendra que l'accusé eut relativement la belle vie dans des cellules bien ordinaires, protégé par son statut de riche français plus ou moins politique.
[...] Le directeur voyait en moi une source d'ennuis, non seulement de témoin encombrant des exactions et petits arrangements entre les murs, mais encore un zek pouvant se plaindre et être entendu. Son intérêt lui commandait de me rendre la vie à peu près douce.
Ce pourrait être du plus grand comique ubuesque si cette pseudo-aventure nous était contée au second degré.
De tout cela, le lecteur se demande s'il n'a pas été floué et si sa participation ne se résume pas à une contribution à un programme de réinsertion.
Bref, ça sent l'arnaque, l'anguille sous la glace du Baïkal et on est passé complètement à côté.

Pour celles et ceux qui aiment les prisons.
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