Paulin


[...] Au Liban, la guerre pourrait ne jamais se terminer.

L'auteur, le livre (480 pages, 2024) :

Frédéric Paulin s'est fait une spécialité de romans (façon thrillers) avec lesquels il éclaire la géopolitique de notre Histoire contemporaine. 
On se rappelle notamment sa trilogie Benlazar sur le terrorisme venu du Maghreb et surtout son récit du sommet du G8 à Gênes
Prof d'histoire-géo, journaliste, il ouvre aujourd'hui une nouvelle série destinée à mieux nous faire comprendre les enjeux des conflits libanais. Vaste entreprise (!) dont le premier titre Nul ennemi comme un frère est tiré d'un proverbe qui évoque la trahison.
Issu d'une longue tradition française, le pays du Cèdre, la Suisse du Moyen-Orient dont la capitale fut même appelée le Paris du Moyen-Orient, fait toujours et encore aujourd'hui la Une des actualités : l'histoire que l'auteur va nous raconter tombe vraiment à point nommé.
Ce premier tome (début d'une nouvelle série) couvre la période des années 70 jusqu'en 1983, du début de la guerre civile libanaise jusqu'au 23 octobre 83 précisément, jour des terribles attentats contre les forces de la FMSB qui visèrent les américains à l'aéroport et les français dans l'immeuble Drakkar.
[...] Je suis le Liban qui a fait la guerre depuis tant d’années que parfois j’accepte que cette guerre ne s’arrêtera peut-être jamais.

Le contexte :

Depuis des millénaires, le Liban est le centre géopolitique du Moyen-Orient et aujourd'hui toujours, le centre névralgique d'une région sur le point d'imploser.
[...] Qui comprend ce qui agite depuis quelques années la Bekaa et le pays entier ? Pourtant tout le monde pressent le pire.
Nous voici dans les années 70 puis 80 au cœur d'une poudrière faite d'une multitude de communautés et de confessions irréconciliables. C'est ici, entre chiites, chrétiens, druzes et sunnites, qu'ont trouvé refuge les palestiniens chassés par les israéliens et les jordaniens.
Frédéric Paulin a convoqué le phalangiste chrétien Pierre Gemayel et son fils Bachir, le druze Kamal Joumblatt, Hassan Nasrallah et Abbas Moussaoui, ... tous ces noms qui faisaient la Une des journaux télévisés de notre jeunesse et certains encore aujourd'hui.
Quelques acteurs français également comme Charles Pasqua chef d'orchestre des basses œuvres du RPR, Pierre Marion nommé par Mitterrand à la tête de la DGSE lors de la réforme du SDECE, ...
Les années 70 ce sont celles où se succèdent à Beyrouth enlèvements, attentats, massacres et assassinats, celles de la révolution iranienne menée par les chiites de Khomeyni, celles aussi des premiers attentats d'Action Directe à Paris [clic], ...
Les années 80 ce sont celles de l'assassinat de l'ambassadeur français Louis Delamare en poste à Beyrouth, celles de Mitterrand au pouvoir, celles des attentats palestiniens à Paris (rue Copernic, rue des Rosiers), ...
Rappelons que 1982 c'est l'année de l'opération Paix en Galilée et l'invasion du Liban par les israéliens qui se conclura par les sinistres massacres de Sabra et Chatila ...
[...] Peut-être que le Liban n’a pas d’autre intérêt pour ses puissants voisins que d’être un champ de bataille où régler leurs comptes.

Le pitch :

Pour la trame romanesque de son livre, Frédéric Paulin a réuni, aux côtés des personnalités réelles de l'époque, quelques personnages de fiction qui vont nous servir de guides dans ce dédale libanais où se mêlent très étroitement politique, guerre et religion : Philippe Kellermann l'agent de l'ambassade shooté aux anxiolytiques, Zia al-Faqîh la belle interprète chiite qui parle (trop bien) le farsi iranien, l'arrogant Christian Dixneuf l'agent du SDECE (puis de la DGSE avec Mitterrand), la charmante juge antiterroriste Gagliago, les chrétiens maronites de la famille Nada, ...

♥ On aime :

 On profite avec plaisir et intérêt du parcours historique que Frédéric Paulin retrace brillamment pour nous : un intelligent résumé des événements de 1975 à 1983 quand Syriens, Iraniens, Israéliens et Palestiniens réglaient leurs comptes dans l'arrière-cour libanaise. Et un peu à Paris, aussi.
L'auteur nous balade d'une faction à l'autre, de Paris à Beyrouth : le récit est soigneusement documenté et c'est tout simplement passionnant. 
Nous allons même assister en direct à la naissance du Hezbollah qui fait tant parler de lui aujourd'hui.
Il va sans dire qu'on attend la suite avec impatience !
 Frédéric Paulin ne se contente pas de Beyrouth et détaille longuement les tergiversations et retournements de la diplomatie française au Moyen-Orient. Une politique française qui, de Chirac à Mitterrand, ne ressort pas vraiment grandie de ce récit, c'est le moins que l'on puisse dire.
 On regrette cependant que l'intrigue romanesque marque le pas sur le résumé historique : le lecteur, captivé par le récit des événements, aura bien du mal à s'intéresser aux déboires des personnages de fiction, pas tous recommandables. Pour une fois, l'alchimie entre Histoire et roman ne semble pas fonctionner à plein, peut-être parce que Frédéric Paulin a voulu brosser un trop large panorama dans lequel ses personnages de roman se sentent un peu perdus.
[...] Ici, au Liban, le pouvoir politique et économique est un héritage. Depuis des siècles, la transmission se fait par lignées familiales, chez les chiites de la Bekaa et du Sud, chez les chrétiens ou les Druzes de la montagne, chez les sunnites dans les grandes villes. Depuis la création de l’État libanais, moins de trente familles occupent le tiers des sièges des députés ou la présidence des partis.
[...] Si un grand pays comme l’Iran devenait un état chiite, la communauté chiite libanaise ne serait plus livrée à elle-même. [...] Si l’Iran devient une République islamiste avec à sa tête Khomeini qui est chiite, les chiites dans le monde entier vont acquérir un putain de pouvoir. Et pour ce que j’en connais le mieux, au Liban, ça va être la merde.
[...] La guerre civile libanaise est une guerre sans visage. La mort, là-bas, n’est pas celle que l’on côtoie dans les autres guerres. Pas de prison, pas de procès, pas d’exécution légale. On y meurt au petit déjeuner dans sa cuisine lorsqu’une roquette réduit en miettes un immeuble. On y meurt en traversant une rue alors que les chasseurs israéliens bombardent un quartier palestinien ou chiite. On y meurt d’une balle dans la tête tirée par un sniper au petit matin, en allant au travail. On y meurt à un barrage parce que sa carte d’identité est celle d’une communauté ennemie. On y meurt anonymement parce que l’État n’existe pas et que des pays étrangers ou des milices s’y sont substitués.
[...] Paix en Galilée n’est pas qu’une opération militaire, c’est une véritable ingérence politique destinée à hisser la minorité chrétienne au pouvoir en écrasant les autres milices alliées aux Palestiniens.

Pour celles et ceux qui aiment comprendre aujourd'hui.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Agullo (SP).
Mon billet dans la revue Actualitté et le journal 20 Minutes.

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