Bouquin : Un homme est tombé

Polar chez les indiens

Répétons-le encore, dès fois que d'aucuns auraient loupé les billets précédents : l'avantage des polars, c’est qu’ils permettent de voyager facilement et de découvrir de nouveaux pays et de nouvelles gens.
Après la Chine et l'Irlande évoquées récemment, nous voici, avec Tony Hillerman et ses enquêtes navajos, dans le Far West moderne, chez les indiens donc (les navajos forment la plus importante minorité indienne aux US). Après avoir vécu deux ans dans le Pacifique Sud, on se rend compte que l'on connait finalement mieux les aborigènes d'Australie que les Indiens d'Amérique qui, pourtant, ont peuplé les films de notre enfance (mais il faut dire qu'ils étaient sévèrement encadrés par les cow-boys ...).
Et les parallèles entre les deux peuples sont nombreux.
L'importance de la tradition orale et du chant, le silence à observer sur le nom des morts, la convoitise des blancs pour leurs terres, le caractère sacré des montagnes que viennent escalader des grimpeurs blancs, ...
[...] - Celui qui vivait ici avant, reprit-elle en utilisant la circonlocution navajo pour éviter de prononcer le nom d'un mort, il disait que c'était comme si nous, les Navajos, on allait escalader cette grande église qu'ils ont à Rome, grimper au sommet du mur des Lamentations ou sur cet endroit où le prophète de l'Islam est monté au ciel.
- C'est un manque de respect, acquiesça Chee.
  Avec Tony Hillerman on plonge avec chaque épisode (ici : Un homme est tombé) au coeur de cette culture : les crimes sont commis sur le territoire de la Réserve et la police tribale mène l'enquête au rythme des autochtones qui savent prendre leur temps et dont on dit qu'ils vivent « à l'heure navajo » (il ne doit même pas y avoir de traduction pour«ponctualité»!).
[...] Leaphorn attendit. Attendit encore. Mais Demott n'avait nulle hâte d'interrompre ses souvenirs. Une brise soufflait dans le sens du courant, douce et rafraîchissante, faisait bruire les feuilles derrière l'ancien lieutenant et fredonnait cette petite mélodie que le vent léger chante dans les sapins.
- C'est une drôlement chouette journée, finit par dire Demott. Mais clignez des yeux deux fois et l'hiver s'abattra sur la montagne.
- Vous vous apprêtiez à me dire ce qui n'allait pas chez Hal.
- Je n'ai pas les diplômes qu'il faut pour pratiquer la psychiatrie.
Il hésita un très bref instant, mais Leaphorn savait que la réponse allait venir. c'était quelque chose dont il voulait parler ... et ce, probablement, depuis très, très longtemps. 
Un roman très intéressant pour ceux qui sont curieux de découvrir l'ouest américain et ses populations.


Pour celles et ceux qui aiment les histoires d'indiens, même sans cow-boys.
L'incontournable page de Cottet.


Cinoche : La fanfare

Conte de Noël.

L'israëlien Eran Kolirin doit être né sous une bonne étoile car son premier vrai film, La visite de la fanfare, écume les festivals et récolte les lauriers.
Très librement inspiré d'une histoire vraie, le film raconte les mésaventures d'une fanfare de la police égyptienne égarée dans un village paumé du bled israëlien ...
À la suite d'une méprise, la fanfare partie pour Petah TikvahLa porte de l'espoir », une implantation agricole juive historique) se retrouve à Bet HatikvahLa maison de l'espoir », un trou perdu, genre Bagdad Café, une colonie récente ignorée du monde ... jusqu'à ce film).
On pouvait craindre le pire à partir d'un tel scénario, rempli de sous-entendus politiques et de bonnes intentions ...
Mais non, c'est tout en justesse et en finesse qu'Eran Kolirin brosse quelques portraits emplis d'humanité.
Tout le film se noue en quelques mots lorsque Dina, la tenancière du café de lieu propose à la fanfare de passer la nuit chez elle et quelques voisins ou amis. Une longue soirée s'annonce ...
Car à Bet Hatikvah donc, désert humain perdu dans le désert tout court, on erre comme des âmes en peine, on tourne en rond à la discothèque, on s'ennuie ferme devant la télé, entre « des tonnes de solitude » comme il est dit.
On ne se parle pas, on ne sait pas se parler.
Et c'est la magie paradoxale des hommes de cette fanfare égyptienne, rigides dans leurs uniformes et qui pourtant ne baragouinent que trois mots d'anglais rocailleux, que de traverser le village et la soirée et d'arriver à créer finalement quelques liens fugaces entre les uns et les autres.
Cela nous vaut quelques scènes d'anthologie, à la limite de l'absurde, comme celle du repas d'anniversaire où ce ne sont pas arabes et juifs qui s'affrontent (ils ont bien du mal à échanger quelques mots d'anglais communs) mais plutôt les juifs entre eux, une famille comme tant d'autres où pèse le non-dit et où l'on s'envoit des vacheries en hébreu sous le regard lourd d'incompréhension des invités arabes.
Avec la belle Dina qui tient le café du lieu et les minces rênes de l'intrigue, c'est une présence pleine de charme qui traverse ce film lent et tout en tendresse : celle de l'actrice Ronit Elkabetz qui mériterait d'être plus connue de ce côté-ci de la Méditerranée.
Pour finir, pfffuiitt, la fanfare disparaitra aussi soudainement qu'elle était apparue et chacun reprendra sa place devant le café de Dina.
D'ailleurs, sont-ils jamais venus en visite, ces égyptiens ?


Pour celles et ceux qui aiment les photos de groupe avec orchestre. 
D'autres avis sur Critico-Blog et la critique de l'Huma ou du Monde.

Bouquin : Delirium tremens

Guinness-polar.

L’avantage des polars, c’est qu’ils permettent de voyager facilement et de découvrir de nouveaux pays et de nouvelles littératures.
Comment ça,on se répète ?
Alors avec Ken Bruen et Delirium Tremens, en route pour l’Irlande, pays du whiskey et de la Guinness (« aaah, la Guinness ! » soupire BMR, un verre bien crémeux à la main) !
Car comme le titre de ce polar l’indique, adeptes des AAA passez votre chemin !
Si vous pensiez avoir tout lu concernant les détectives à la bouteille facile, c’est que vous n’aviez jamais mis les pieds en Irlande, à Galway, chez Jack Taylor, le détective de Ken Bruen !
[…] Le Grogan’s n’est pas le plus ancien pub de Galway. C’est le plus ancien pub de Galway à ne pas avoir changé. […] J’aime ce pub car c’est le seul qui ne m’a jamais interdit l’entrée. Jamais, pas une seule fois. […] Aucune décoration au bar. Deux crosses de hurling (?) sont croisées au-dessus d’un miroir tacheté. Plus haut encore, il y a un triple cadre. On y voit un pape, saint Patrick et John F. Kennedy. JFK est au centre. Les saints irlandais. Autrefois, le pape occupait le poste de centre, mais après le concile du Vatican, il s’est fait virer. Maintenant il s’accroche à l’aile gauche.
Toute l’Irlande en quelques lignes !
Mais dans ce polar noir comme la bière, cet ivrogne invétéré de Jack Taylor n’apprécie pas que les bouteilles et, si le foie est fatigué, le cerveau, lui, est bien alerte :
[…] J’étais devenu un bibliophile dans le vrai sens du terme. Je n’aimais pas seulement lire, j’aimais les livres eux-mêmes. J’avais appris à en apprécier l’odeur, la reliure, l’impression, le contact des ouvrages entre mes mains.
Si avec tout ça vous n’êtes pas convaincu de vous embarquer à bord du ferry ou de l’avion pour Galway …
Ce voyage est aussi l’occasion de découvrir la plume aiguisée de Ken Bruen.
Une excellente surprise : une prose vive et acérée, pleine d’humour et de dérision, douce et amère à la fois (comme la Guinness, quoi !).
Et une histoire pleine d’humanité, comme on les aime.
Car d’intrigue policière, l’affaire est plutôt mince.
On sent bien que là n’est pas la question.
C’est juste pour le décor, juste le billet pour le bateau ou l’avion.
L’essentiel est ailleurs. Dans les personnages : Jack Taylor bien sûr, le détective imbibé , mais aussi toute la galerie de portraits qui gravite autour de lui.
Au passage on a remarqué la jeune Cathy B. et ses Doc Martens, peut-être une cousine de la jeune punkette de Millenium.
Il y a d’autres enquêtes de Jack Taylor (Télérama parlait récemment de la dernière livraison : Le Dramaturge) et on retournera donc en Irlande très bientôt (Toxic Blues a été lu aussi).
D’ailleurs il y a encore de la Guinness au frigo.

Pour celles et ceux qui aiment la bière et le whiskey. 
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Bouquin : Petit marché, double bonheur

Maigret à Canton.


 L’avantage des polars, c’est qu’ils permettent de voyager facilement et de découvrir de nouveaux pays et de nouvelles littératures.Comment ? On l’a déjà dit ?
Et bien ça se vérifie une nouvelle fois encore !
Cette fois, c’est Fan Tong qui nous emmène en Chine, à Canton, avec Petit marché, Double bonheur.
Décidément, après Millenium, les couvertures au dessin naïf semblent à la mode.
Perso, le look de la collection « Mystère et boule d’opium » des éditions indiennes Kailash ne nous branche pas trop et cette façon « roman pour ados » ne nous accroche guère (d’autant qu’impression et reliure sont de piètre qualité) mais enfin, peu importe le flacon de la couverture pourvu qu’on ait l’ivresse de la lecture.
Et ça valait effectivement le coup de passer outre cette première « impression ».
Car voici un petit bouquin bien intéressant.
On pourrait presque comparer le commissaire Wang de Canton à son homologue parisien le commissaire Adamsberg, celui de Fred Vargas. En tout cas par la façon de scruter ses contemporains avec l’air de ne pas y toucher, de mener tranquillement ses propres réflexions pour lui seul (enfin, pour nous aussi) sans tenir compte de ses collègues.
Ce brave commissaire Wang parait très attaché aux valeurs traditionnelles et juge « pauvres » ses concitoyens qui vont faire la queue dans les supermarchés.
Il préfère le petit marché traditionnel de son quartier, le Bai Yun Shan.
[…] Le petit marché était un hall couvert, une structure de ciment et de poutres métalliques, peu gracieuse mais fonctionnelle. Il abritait au plus une cinquantaine de commerçants : les fruits et légumes au centre, les viandes, volailles et poissons côté nord, les épices et condiments sur l’aile ouest. Le reste était assez hétéroclite : deux coiffeurs, une couturière, un petit restaurant sichuanais à l’est, un marchand de nouilles, un réparateur de vélos et une fleuriste au sud.
Voilà toute la Chine en quelques lignes !
Mais c’est la Chine contemporaine et l’heure est à l’ouverture, sur l’Occident, sur la France, jugez plutôt :
[…] Elle prévint : il y aurait un tas de bonnes choses en plus du vin : du foie gras, du fromage … Il ignorait jusqu’à la consistance de ces aliments. Il savait simplement – il avait entendu dire, plutôt, par son amie française – que le fromage sentait horriblement mauvais mais était merveilleusement doux au palais.
L’intrigue policière n’est guère complexe mais, comme souvent, ce n’est pas là le propos : elle sert plutôt d’allégorie dans cette Chine en mutation où les petits marchés sont menacés et prêts d’être remplacés par les supermarchés d'un groupe aux dents longues et au nom trompeur : Double bonheur.
Derrière une prose qui peut paraître parfois un peu naïve, souvent pleine d’humour, Fan Tong s’avère un observateur très fin des mœurs de son pays et de son époque.
La fin étrange de son roman est d’ailleurs pleine de sous-entendus et ceux qui auraient cru à une amusante fabulette se réveilleront surpris.
Comme tout roman asiatique, celui-ci ne saurait rompre avec la tradition des proverbes, sentences et aphorismes. On a beaucoup aimé ces deux-là :
[…] Entre sa femme et lui, il y avait comme des brins de paille dans l’eau du riz. 
[…] Une tête trop pleine empêche les idées de bien circuler. 
(celle-là, elle est trop bonne !)
Idéal pour découvrir facilement et rapidement la Chine, avant les romans policiers plus aboutis de Qiu Xiaolong par exemple.
De quoi nous donner envie de continuer la série des enquêtes du commissaire Wang.

Pour celles et ceux qui aiment les voyages par les livres.

Bouquin : Insoupçonnable

À mali, malin et demi.

Hélas, mauvaise pioche avec Tanguy Viel et son roman Insoupçonnable (enfin 1 sur 26, on n'a pas eu à se plaindre cette année !).
L'histoire est a priori séduisante qui est celle d'une machination ourdie par un couple d'arnaqueurs à l'affût d'un riche héritier et d'une rançon.
[...] Cela, je ne sais pas ce qui t'a pris, Lise, ce qui a traversé d'un point à un autre ton esprit ce jour où tu m'as présenté Henri, quand au lieu de tout ce qui était prévu et parfait elle a dit : Je te présente mon frère. Elle ne devait pas dire ça, elle devait dire «je te présente un ami», elle a dit «mon frère».
Mais ces deux faux-frère et soeur trouveront plus retors qu'eux mêmes et le crime ne sera pas parfait ...
[...] Je listais chaque détail comme au supermarché on raye une par une les courses faites. 
Disparition du corps, fait. 
Vêtements sur la plage, fait. 
Nettoyage de la voiture, fait. 
Ramassage des billets blancs, fait. 
Alors est-ce que c'est aussi comme au supermarché quand, même avec une liste et la meilleure volonté, on rentre chez soi et il manque obstinément quelque chose ?
Sauf que l'on ne croit pas un instant à ces personnages, froids et distants.
Ni à cette rocambolesque histoire, brillant exercice de style intellectuel mais sans plus.
Et pour ce qui est de l'exercice de style, Tanguy Viel s'en donne à coeur joie : sa prose est du même tonneau que les auteurs à la mode comme Barbery ou Claudel.
Il y a de la phrase (en longueur) et de la virgule (en quantité) !

Pour celles et ceux qui aiment les exercices de style. 
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Bouquin : Le chat dans le cercueil

Huis-clos à Tokyo.


Le chat dans le cercueil c'est un peu, à Tôkyô, la version moderne du huis-clos dont on avait déjà parlé : Le temple des oies sauvages et qui, lui, se déroulait à Kyôto.
Le temple des oies sauvages s'est transformé en une maison moderne de Tôkyô, à l'américaine.
Le roman se déroule en effet dans les années 50/60, après la guerre, pendant l'occupation américaine.

[...] Dans la ville, se trouvaient les vastes logements réservés de l'armée américaine. Après la guerre, les soldats cantonnés au Japon et leurs familles avaient formé un quartier de résidents à l'extrémité de la ville. Il occupait près de seize hectares,
ou plutôt non, il était probablement plus grand. L'accès à ce quartier entouré de hautes clôtures était interdit aux Japonais et, comme j'étais curieuse du mode vie des étrangers, je jetais parfois un regard furtif à travers les clôtures sur leur existence luxueuse.
Cette curiosité des japonais pour l'american way of life constitue l'intéressant décor cette histoire. Pas vraiment un polar, plutôt ce qu'on appelle parfois un suspense psychologique.
Dans cette maison «à l'américaine», vivent un veuf, artiste peintre occidentalisé, et sa fille qui, pour oublier la perte de sa mère, se réfugie dans les pattes de Lala, sa chatte.

Le père artiste fait venir une jeune provinciale pour s'occuper de sa fille et de la maison en échange de quelques cours de peinture. Entre ces trois-là (quatre, avec le chat) se nouent d'étranges liens.
Et lorsque le père ramène à la maison une belle femme qui vient troubler le fragile équilibre, on se doute bien que tout cela va mal finir, très mal finir.
Mais c'est sans compter sur l'effroyable pirouette finale qui fera passer tous vos sombres pressentiments pour d'aimables bluettes ...


Pour celles et ceux qui aiment les histoires tragiques. 
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Bouquin : Balzac et la petite chinoise


Fahrenheit 451.

Dai Sijie est un chinois, écrivain et cinéaste, qui vit en France. Sa prose est donc facile, très européenne, pleine de références à la croisée des mondes entre Orient et Occident, comme en témoigne le titre de son roman : Balzac et la petite tailleuse chinoise.
[…] Son unique talent consistait à raconter des histoires, un talent certes plaisant mais hélas marginal et sans beaucoup d’avenir. 
Nous n’étions plus à l’époque des Mille et Une Nuits. 
Dans nos sociétés contemporaines, qu’elles soient socialistes ou capitalistes, conteur n’est malheureusement plus une profession.
Ce petit bouquin, cette petite fable, est un véritable hymne à la littérature, à la liberté d’écrire, à la liberté de lire.
À la fin de la Révolution Culturelle (Dai Sijie a lui aussi fait un «séjour» à la campagne), deux jeunes fils d’intellectuels sont envoyés dans une lointaine province montagneuse de Chine, condamnés à ce qui ressemble beaucoup à des travaux forcés, même si ce sont les travaux des champs.
Ils y découvriront un véritable trésor : une valise remplie de «lingots d’or».
Enfin, de livres pour être plus précis : Stendhal, Dumas, Flaubert et bien sûr Balzac.
Ils y feront également la connaissance de la fille du tailleur du village voisin (la petite chinoise).
Comme on l'a vu plus haut, les deux jeunes gens (et l'auteur !) possèdent des talents de conteurs, au point qu'ils en viennent à «raconter des films» de la ville pendant des heures aux gens du village qui n'auront jamais vu un écran de cinéma de leur vie !
Une étrange alchimie résultera de cet étonnant mélange.

[…] - Et maintenant où ils sont, ces livres ? 
- Partis en fumée. Ils ont été confisqués par les Gardes rouges, qui les ont brûlés en public, sans aucune pitié, juste en bas de son immeuble. 
Pendant quelques minutes, nous fumâmes dans le noir, tristement silencieux. 
Cette histoire de littérature me déprimait à mort : nous n’avions pas de chance. À l’âge où nous avions enfin su lire couramment, il n’y avait déjà plus rien à lire.
De quoi nous faire regretter d'avoir loupé son dernier film au cinoche l'an passé : Les filles du botaniste.
Qu'on nous permette également d'en profiter pour citer une très très belle phrase, celle du poète allemand Heinrich Heine (qui serait resté sans doute méconnu si les nazis ne s'en étaient pris à ces bouquins) :
Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler les hommes.
Cette sentence tristement prémonitoire date de ... 1820 !


Pour celles et ceux qui aiment les livres. 
D'autres avis sur Critiques Libres ou chez Lo et Pitou.

Miousik : Amy MacDonald

Pop song.

La demoiselle n'a pas 20 ans et s'est déjà fait un nom depuis sa lointaine Écosse en quelques mois grâce à internet : Amy MacDonald.

C'est pop, c'est frais et on aime bien la chanson-titre de son premier album :

- This is the life

Bouquin : L'artiste tibétain

Au pays du yéti.


 Après l'excellent Cercle du karma, on avait promis de reparler de cette région où repose le toit du monde.
Voici donc Thöndrupgyäl et L’artiste tibétain.
Autant nous avons été emballés par le voyage de Kunzang Choden dans Le cercle du karma, autant ce voyage au Tibet ne nous a guère convaincu.
Certes l’exotisme et le dépaysement sont là, mais c’est bien tout et on n’a pas retenu grand-chose au-delà de ce décor de belles montagnes.
Dans cette nouvelle (un opuscule de plus !) il est surtout question d’amour filial, ce que cachait d’ailleurs le titre original en VO : L’amour de la chair et des os, puisque selon la croyance tibétaine, la mère transmet la chair et le père, les os.

Un peu de réclame pour le site d'une amie (Marie) qui organise un soutien aux populations du Tibet au travers d'une association Lab Dra Khampa.

En Tibétain, Lab Dra signifie "école" et Khampa sont les habitants de la région du KHAM.


Pour celles et ceux qui aiment les découvertes ethniques.

Cinoche : We own the night

Tu quoque mi fili ?

Décidément, la mafia russe est dans le collimateur en ce moment.
Elle envahit les écrans ... après avoir peut-être conquis aussi le terrain.
Après Les promesses de l'ombre, voici La nuit nous appartient.
We own the night, telle était la devise du NYPD à la fin des années 80. Mais la rue et la nuit leur étaient chèrement disputées par les trafiquants venus de l'est.
Joaquin Phoenix (déjà remarqué comme l'empereur de Gladiator ou comme le Johnny Cash de Walk the Line) porte le film sur ses épaules. Il y joue le rôle du mauvais fils, amoureux de la belle Eva Mendes, des fiestas discos et des paradis artificiels, et mouton noir de la famille puisque le frangin et le paternel sont à la tête de la brigade des stups ...
Une famille écartelée entre d'un côté les plaisirs faciles, et de l'autre la rigueur de la morale.
Évidemment tout cela ne peut que mal tourner et aucun d'eux ne sortira indemne de l'histoire, certains n'iront même pas jusqu'au bout.
À l'heure des choix impossibles, on frôle parfois la tragédie grecque.
Un peu comme American Gangster (même lieu, mêmes drogues et quasi même époque), le film de James Gray arrive à renouveler le genre et ceux qui croyaient avoir tout vu en matière de poursuite de bagnoles pourront encore s'y laisser (sur)prendre.
C'est filmé nerveusement, au plus près des souffles, des cris, des émotions et des respirations des hommes.
Du bon ou du mauvais côté, ils risquent leur peau, ils ont peur et nous aussi.


Pour celles et ceux qui aiment les polars qui savent renouveler les polars. 
D'autres avis sur Critico-Blog. Niko a bien aimé lui aussi.

Bouquin : Chinoises

Mots sur la brise nocturne.

 Xinran c'est un peu la Ménie Grégoire de la Chine, pour ceux qui s'en souviennent (de Ménie Grégoire, je veux dire).
Journaliste et animatrice d'une émission de radio, elle recueille les témoignages de femmes. De femmes de Chine. De Chinoises, donc.

[...] Bonsoir, amis de la radio, vous écoutez "Mots sur la brise nocturne". Mon nom est Xinran, et je débats en direct avec vous du monde des femmes. De dix à douze tous les soirs, vous pouvez vous mettre à l'écoute de la vie des femmes, des battements de leurs coeurs et écouter leurs histoires.
De ses enquêtes et témoignages, elle en tirera ce bouquin. Parce que le Vieux Chen lui a dit :

«Xinran, vous devriez écrire tout cela. Écrire permet de se décharger de ce que l'on porte [...]. Si vous n'écrivez pas ces histoires, leur trop-plein va vous briser le coeur».
Résultat, c'est notre coeur à nous qui se fendille un peu à cette lecture.
Parce que c'est tout simplement effarant : comment peut-on vivre cela ? comment peut-on faire vivre cela ?
On se croirait au Moyen-âge, au mieux au siècle dernier (enfin, l'avant-dernier).
Mais non, toutes ces histoires ont été recueillies entre ... 1970 et 1990 ! Effarant.
[...] - Je vous raconterai l'histoire de ma fille, si vous voulez, mais pas ici. Je ne veux pas que les enfants me voient pleurer».
Ou encore :
[...] Il ne me restait qu'à demander à la directrice Ding si elle acceptait que je l'interroge. Elle a acquiescé, mais m'a suggéré de patienter jusquau jour de la fête nationale avant de revenir la voir. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m'a répondu : 
- Mon histoire ne sera pas longue, mais la raconter va me rendre malade pendant plusieurs jours. J'aurai besoin de temps pour m'en remettre».
Tout est dit : au lecteur aussi, il faudra quelques jours pour s'en remettre, même si la distance du livre de papier et de la lointaine Chine rend les choses heureusement moins vraies.
C'est la dure condition féminine qui est donnée à lire ici. La terrible condition des femmes chinoises de la fin de ce siècle (le dernier, cette fois) alors que la Chine est en train de s'ouvrir et qu'il est désormais possible de parler. Un peu.
Il est question d'inceste, de viols, d'ignorance et de misère sexuelle, de mariages arrangés (par le Parti, on n'est plus au Moyen-âge ! ah, ah), de séparations entre mère et fille, tout cela sur le fond de l'histoire toute récente de la Chine (et ce n'est pas le moins intéressant du bouquin).
Et notamment les drames nés pendant les terribles années de la Révolution Culturelle.
L'écriture est sobre et simple (Xinran est journaliste), le propos tout en retenue, entièrement au service de ces histoires crues, dures et vraies, qui se suffisent malheureusement à elles-mêmes.
La plus belle (sans doute parce que c'est la seule qui met en cause une catastrophe naturelle et non pas la noirceur humaine) est celle du tremblement de terre [extraits] :
[...] Ce matin-là, avant l'aube, j'ai été réveillée par un bruit étrange, un grondement et un sifflement, comme si un train était entré dans notre maison. [...] Tout est arrivé si vite. Je me suis traînée face au trou béant qui avait été l'autre moitié de ma maison. Mon mari et mes enfants s'étaient évanouis sous mes yeux. [...] 
Cela fait presque vingt ans maintenant, mais presque tous les jours à l'aube, j'entends un train qui gronde et qui siffle, et les cris de mes enfants. Parfois je suis si effrayée par ces sons que je me mets au lit très tôt et je glisse un réveil sous mon oreiller pour me réveiller avant. Quand il sonne, je m'assieds jusqu'à ce qu'il fasse jour, parfois je me rendors après quatre heures. Mais au bout de quelques jours de ce traitement, j'ai envie d'entendre ces bruits de cauchemar de nouveau, parce que j'y entends aussi les voix de mes enfants.
Ouf. Il faut avoir le coeur bien accroché pour aller au bout de cette douzaine d'histoires (comme autant de petites nouvelles, de petits reportages) et découvrir derrière ces épouvantables tranches de vie, la vie justement, la force vive qui a permis à ces femmes de traverser ces épreuves, d'y survivre ... et de les raconter.
Pour finir sur une note un peu plus légère, on relèvera quelques dictons et proverbes qui émaillent ce bouquin ... comme tout bon livre chinois :
Dans chaque famille, il y a un livre qu'il vaut mieux ne pas lire à haute voix. 
La première personne qui a mangé du crabe a dû aussi manger de l'araignée avant de se rendre compte que ce n'était pas bon. 
À la campagne, le ciel est haut et l'empereur est loin. 
L'argent rend les hommes méchants, la méchanceté rend les femmes riches. 
Les épouses des autres sont toujours mieux, mais les meilleurs enfants, ce sont les notres.      
L'eau porte le bateau, elle peut aussi le faire chavirer. 
Si vous vous tenez droit, pourquoi redouter que votre ombre soit tordue ? 
Le poulet dans se mangeoire a du grain, mais le pot à soupe n'est pas loin. 
La grue sauvage n'a rien, mais son monde est vaste. 
Il faut craindre les mains des hommes et la langue des femmes.
Et pour finir, en guise de conclusion et de résumé :
Les femmes sont comme l'eau et les hommes comme les montagnes. 
Les hommes ont besoin des femmes pour se former une image d'eux-mêmes - comme les montagnes se reflètent dans les rivières. 
Mais les rivières coulent des montagnes. Où est la bonne image ?
Mais quelle terrible image des hommes donne donc le miroir tendu ici par Xinran ?

Pour celles et ceux qui aiment les histoires vraies même quand elles sont terribles.Loutarwen et Lhisbei en parlent aussi.

Bouquin : Baka !

Une privée à Tokyo.

Dominique Sylvain est plus connue pour son polar Passage du Désir (qui ne nous avait pas laissé un souvenir impérissable, il y a quelques années déjà, avant l'ère du blog), mais on a bien voulu retourner à Tôkyô avec elle et son premier roman, Baka !, revu et corrigé dans une nouvelle édition.
Et ma foi, il faut bien avouer qu'on a été plutôt déçu par cet auteure que l'on compare ici ou là à Fred Vargas, bien à tort, selon nous.
C'est d'ailleurs plutôt de Léo Malet et Nestor Burma que se revendique la dame.
Quoiqu'il en soit, même si l'on avait pris soin de revêtir un de nos yukata ramenés de Nikko cet été et de siroter un verre de saké chaud, la magie ne nous a pas ramenés au pays des nippons.
Le bouquin accumule les clichés de la vision occidentale du pays du Soleil Levant : yakuza (la mafia locale), jôshi ou shinjû (double suicide amoureux) , katana (sabre), hikikomori (ados cloîtrés dans leur chambre avec internet), ... tout y passe !
Un peu comme si, à partir d'une liste de commissions, on avait essayé de bâtir une intrigue avec tout ça.
Et justement, du côté de l'intrigue (c'est un polar), on reste également sur sa faim sans croire un seul instant aux personnages insignifiants, aux péripéties rocambolesques de la française détective au Japon, ni aux multiples coups de théâtre qui clôturent ce voyage à Tôkyô.
Voilà un portrait peut-être trop sévère, j'en conviens.
Même si l'on devine ici ou là quelques traces de vécu authentiques (parapluies, bains, ... D. Sylvain a effectivement séjourné à Tôkyô), seule trouve grâce à nos yeux la capacité de l'auteure à parcourir et décrire les villes, qu'il s'agisse de Paris au début du livre ou de Tôkyô tout au long de l'histoire.
Après le détective privé de Nuit sur la ville de la semaine dernière, on relèvera juste qu'il est encore ici question de collusion entre business et élections politiques ... il y a peut-être quelque chose de pourri au royaume des sushis.
Heureusement que nos démocraties occidentales sont à l'abri de ce genre de soupçons !
[...] Un futon plié sur les tatamis tenait compagnie à un parapluie en plastique blanc et un vêtement de toile bleue. L'hôtesse expliqua qu'il s'agissait d'un yukata.
Elle lui fit traverser la cour silencieuse depuis que les roulements de tambour avaient cessé, lui montra une salle de bains à l'intéressante odeur d'humus, expliqua son utilisation à grand renfort de phrases roucoulantes qui mêlaient anglais et japonais. Louise comprit qu'il fallait se savonner et se rincer avant de faire trempette dans un énorme baquet fumant. La jeune femme lui remit la clé de sa chambre et s'en alla après un nouveau chapelet de formules aussi chantantes qu'incompréhensibles.

Pour celles et ceux qui aiment les images d'Epinal et de Tôkyô.

Miousik : Alela Diane

Folk song.

Dans la série des voix féminines qu'on ne peut ignorer, il faut absolument découvrir celle d'Alela Diane.
Cette californienne cache bien son jeu sous une simplicité déconcertante.
Quelques accords de guitare qui roulent en boucle, une voix incisive, d'une clarté éblouissante, aux accents lancinants, tantôt folk, tantôt soul, parfois blues, des refrains quasi-répétitifs (ever again, ever again, ever again, ...).
Il s'en dégage une force étonnante et une ambiance unique : mieux qu'un long discours, cliquez sur ces extraits choisis.

On aime bien, on aime beaucoup :

- Pirate's Gospel

- et le très beau Rifle on ne s'en lasse pas !

De Pirate's Gospel :
While some folks pray their path to Jesus
We're gonna sing the pirate's gospel
We're gonna sow our feet for dancing
We're gonna keep our eyes wide open
We're gonna sing the pirate's gospel
We're gonna chant the pirate's gospel
You'll find us clap the pirate's gospel


à suivre avec Mariee Sioux.

Cinoche : Lions et agneaux

Bac de philo.

Les films US sur la guerre en Irak/Afghanistan sont à la mode, même s'ils ne semblent pas avoir beaucoup de succès outre Atlantique.
Après l'excellent Dans la vallée d'Elah (ne le manquez pas) et en attendant le Brian de Palma prévu chez nous début 2008, voici Robert Redford avec Lions et Agneaux qui nous explique comment les agneaux de la politique envoient les lions de l'armée au casse-pipe.
Avec trois histoires montées en parallèle, qui se déroulent en quasi temps réel pendant 1h30 (initialement c'était une pièce de théâtre), le professeur de géo-politique Robert Redford nous explique en trois briefings ce qu'est le monde aujourd'hui.
À Washington, une joute oratoire entre Tom Cruise (très à l'aise ! dans le rôle d'un politicien exécrable et ambitieux qui manifestement croit à ce qu'il dit, même s'il est le seul) et Meryl Streep (superbe également, dans le rôle troublé de la journaliste qui hésite à acheter la soupe que veut lui vendre l'homme de pouvoir) : le sénateur essaie d'obtenir des médias, le soutien nécessaire à son ambition personnelle, pardon : le soutien nécessaire à une nouvelle opération militaire en Afghanistan.
Seconde histoire, en Afghanistan justement, l'opération militaire en question qui bien évidemment foire lamentablement, appuyée qu'elle était sur des renseignements approximatifs. Deux soldats, un black et un hispano, s'y retrouveront en difficulté, dans un décor de carton-pâte digne d'un mauvais jeu vidéo.
Troisième histoire enfin, la joute oratoire qui oppose Robert Redford, prof de sciences-po vieillissant, qui explique à un jeune californien qui gâche son intelligence en séchant les cours, que si certains (le black et l'hispano par exemple) sont prêts à s'engager (dans l'armée) et risquer leur peau pour sauver la démocratie, la moindre des choses est que lui aussi (le gosse de riche blanc) s'engage (en politique, c'est moins dangereux).
Robert Redford et Meryl Steep incarnent aussi une génération vieillissante, pleine de remords à l'idée d'avoir gâché le monde ces dernières années, et qui voudrait convaincre une nouvelle jeunesse de prendre le relais.
Ouh la la ! que c'est lourd !
Robert Redford, pédant et pontifiant, nous donne à voir dans ce film le pire du cliché US : des ricains imbus de leurs personnes, le regard rivé sur leur nombril, convaincus d'être le centre démocratique du monde et chargés de faire respecter le bon droit partout ailleurs. De quoi alimenter toute une nouvelle génération d'anti-américains primaires !
Le prof-réalisateur oublie un peu vite que la guerre ne vise pas vraiment à (r)établir la démocratie mais répond plutôt à des objectifs militaro-industriels et pétroliers et que les jeunes blacks-hispanos ne s'engagent pas tous pour sauver le monde en général et les US en particulier mais la plupart pour échapper à la condition qui leur est faite at home.
De tout cette morale à deux dollars on retiendra juste une réplique (de Meryl Streep) : la seconde guerre mondiale aura duré cinq ans ... que fait-on depuis six ans en Afghanistan ?
Bref, évitez ce donneur de leçons et suivez plutôt Tommy Lee Jones dans La Vallée d'Elah, en attendant peut-être le Brian de Palma l'an prochain !

Pour celles et ceux qui aiment les devoirs de philo. 
D'autres avis peu enthousiastes également sur Critico-Blog.

Cinoche : De l'autre côté

Ça va, ça vient.

Fatih Akin est un jeune cinéaste allemand d'origine turque. On a presque tout dit.
Car son film, De l'autre côté, oscille sans cesse entre ces deux pays, ces deux nationalités, ces deux cultures, entre ces deux faces d'un même monde.
Le sommet de ce doux mélange sera atteint lorsqu'un immigré turc d'Allemagne finira à Istanbul dans une librairie spécialisée dans la littérature allemande. Ouf !
Car c'est aussi un film sur les livres : le jeune prof de littérature, la librairie et tous ces livres qui passent de main en main, comme autant de cadeaux tout au long du film.
De l'autre côté a obtenu un prix à Cannes pour son scénario et c'est d'autant plus amusant que, selon Fatih Akin lui-même, la construction si savante du film n'a été finalement décidée qu'au dernier moment lors du montage, après un tournage beaucoup plus "chronologique" !
Et pour le coup, c'est un coup de maître.
Les histoires s'entremêlent, les personnages se croisent, sans se voir, nous allons ici et là, d'une ville à une autre (Brême et Istanbul, toutes deux superbement filmées), et même d'un moment à un autre puisque le film revient en arrière pour recroiser les mêmes personnages d'un autre point de vue. Tout cela est impossible à résumer mais s'avère très réussi (et sans confusion aucune).
Il s'en dégage un charme certain.
De l'autre côté c'est aussi ces personnages qui se cherchent (eux-mêmes ou les autres) mais qui ont du mal à se trouver. D'un côté les turcs, de l'autre côté les allemands. D'un côté les jeunes, de l'autre côté les parents. D'un côté les morts, de l'autre côté les vivants.
Un film grave (on y est emprisonné, on y meurt, ...) mais un film d'une profonde humanité, empreint de bonté et de pardon. Une belle histoire, une belle leçon.
On y retrouve avec plaisir Hanna Shygulla.


Pour celles et ceux qui aiment les hommes et les femmes d'Europe. 
D'autres avis sur Critico-Blog.

Bouquin : L'âme du chasseur

Après Mandela.

Après Les soldats de l'aube, lu il y a quelques années (c'était avant l'éclosion de la blogoboule), voici L'âme du chasseur du même auteur sud-africain : Deon Meyer.
C'est écrit à l'américaine, vite fait bien fait, comme un scénario pour Hollywood.
On est donc bien loin des polars littéraires comme ceux que nous avons pu découvrir avec Mankell, Connelly, Indridason et d'autres, et le style relève plutôt du roman de plage ou de TGV.
Mais tout l'intérêt de ce bouquin (et il est d'un grand intérêt) vient du contexte dans lequel se déroule l'intrigue : l'Afrique du Sud d'après Mandela, l'Afrique du Sud d'aujourd'hui, celle d'après le 11 septembre 2001.
Les services de renseignement du nouveau régime (un nouveau régime qui peine encore à se mettre en place) livrent bataille alors que les plaies de la guerre civile sont encore bien loin d'être refermées.

[...] Miriam dévisagea Janina d'un air glacial, ses yeux, sa bouche, ses mains. 
- Je ne vous crois pas. 
Janina soupira. 
- Parce que je suis blanche ? 
- Oui. Parce que vous êtes blanche.

Et l'on devine derrière tout ça que d'autres (CIA, extrémistes islamistes, ...) éprouvent un malin plaisir à souffler sur les braises.
L'intrigue de base est plutôt simple (pour Hollywood sans doute !) : pour aider un ancien ami, un grand black, ancien militant (doux euphémisme) désormais rangé, se trouve embringué dans le convoyage de renseignements explosifs. Il se retrouve vite pourchassé par divers rapaces et enfourche une BMW GS avant de traverser tout le pays et le roman raconte cette course-poursuite à moto (l'auteur n'a peut-être pas une âme de chasseur mais assurément une âme de motard).
Mais P'tit (c'est l'ancien nom de guerre du héros) n'aime pas qu'on le chatouille quand il veut rendre service et il va vite retrouver ses anciens réflexes (c'était un ancien tueur à la solde du KGB).
Même si c'est plutôt bien ficelé, il n'y a pas là de quoi se triturer les méninges.
Du moins de ce côté.
Car ce n'est pas tout et au fil des pages et des flash-backs on découvre tout un monde : celui d'une Afrique du Sud plutôt méconnue, les accointances entre les services secrets d'ici ou d'ailleurs, les luttes raciales d'hier (Boers, Anglais et Xhosas) auxquelles répondent les intrigues intestines d'aujourd'hui.
Et ça, c'est passionnant.

Pour celles et ceux qui aiment la moto, les voyages et l'Histoire. 
Bleu et noir et l'Actu du Noir en parlent.

Bouquin : Nuit sur la ville

Un privé à Tokyo.

Tous les ingrédients du polar américain sont là : le privé à moitié looser dans son bureau miteux, le flic vindicatif qui lui cherche des poux, les gros durs de la mafia qui forcément lui en veulent aussi, la belle héritière qui lui court après, le magnat richissime qui se cache derrière tout ça, les bagnoles et l'intrigue alambiquée qui mêle famille, business et élections municipales, ... tout y est !

[...] Je garai ma Blue Bird en marche arrière - un vrai miracle que cette voiture roule encore - , contournai l'immeuble de deux étages aux murs couverts de crépi et entrai par devant. Je sortis mon courrier de la boîte aux lettres à la serrure cassée et montai l'escalier menant à mon bureau, au premier étage au fond d'un couloir où le soleil ne pénétrait jamais.
À un détail près.
Un tout petit détail.
Le privé ne s'appelle pas Philip Marlowe mais Sawazaki de l'agence Watanabe et il n'enquête pas à Los Angeles mais à Tôkyô.
Car ce n'est donc pas du Raymond Chandler mais du Hara Ryô.
Bref, c'est un polar japonais où l'auteur s'amuse avec tous les clichés et les standards du roman noir. On est donc en terrain connu, balisé.
Et puis tout d'un coup, plouf, nous voici perdus parce que les personnages ont une réaction à peine compréhensible à nos yeux d'occidentaux. Et ça repart. Pour mieux s'étonner un peu plus loin de nouveau.
On ne sait trop sur quel pied danser et l'auteur semble s'amuser avec nous comme il s'amuse des codes de la littérature policière.
À vrai dire, le jeu est peut-être plutôt conçu pour des lecteurs nippons moins familiers des standards du genre, car il faut bien avouer que, une fois passé l'effet de surprise, on s'y est un peu ennuyé et on a eu du mal à se laisser emporter par l'intrigue tarabiscotée dans laquelle s'est laissé prendre le privé Sawazaki.
C'est tout de même l'occasion de découvrir les coulisses du pouvoir dans la métropole de Tokyo.
Une curiosité pour les accros du polar ou du Japon ou des deux.

Pour celles et ceux qui aiment les détectives du roman noir à l'américaine.

Cinoche : Les promesses de l'ombre

Mafia russe.

Décidément après A very british gangster et American gangster, les mafieux n'en finissent pas de nous fasciner.
Cette fois, c'est au tour de la mafia russe avec Les promesses de l'ombre de David Cronenberg.
La mafia russe, celle que l'on a pu voir envahir les lieux de tourisme et de villégiature, de l'Australie jusqu'au Canada ...
À la différence des deux films de « gangsters » cités plus haut, celui-ci aborde le sujet avec une optique bien différente.
Bien sûr on y apprend plein de choses sur la mafia russe installée à Londres (mais ce pourrait être à Paris ou ailleurs) et poursuivie par les anciens du KGB.
Et l'on s'amuse (on rit jaune quand même) à voir ces mafieux russes se comporter comme de vrais siciliens : on a changé la musique et l'accent, on a changé les flingues par les rasoirs et les spaghettis par le bortsch, mais c'est à peu près tout.
Mais cette fois, ce n'est pas là l'essentiel du propos, non, on est plutôt ici dans une presque tragédie aux personnages modelés avec soin et on notera tout particulièrement un trio d'acteurs particulièrement brillants : Armin Mueller-Stahl, un allemand étonnant dans le rôle du parrain, Vincent Cassel dans le rôle [difficile] du fils et surtout Viggo Mortensen dans le rôle de l'homme de main.
Ce trio-là n'en finit pas de jouer au chat et à la souris, c'est très trouble et c'est très fort.
De l'autre côté, du côté du bon droit, une blonde innocente qui tombe sur le journal intime d'une prostituée (venue des pays de l'est, c'est évident) et qui se jette dans la gueule du loup.
Pourtant Viggo Mortensen l'aura mise en garde : elle ferait mieux de rester du bon côté, chez les « very nice people ». D'ailleurs le seul qui franchira la barrière ...
Car il ne faut pas frayer avec ces gens-là.
Chez ces gens-là, madame, pour bien « marquer » sa différence on va jusqu'à se tatouer les états de service sur tout le corps. Et chez ces gens-là, madame, on en vient donc à négocier à poil dans les bains publics pour mieux voir à qui on a affaire.
On est scotché à son siège, fasciné par le trouble ballet de ces personnages.
Comme pour rompre cette fascination, comme pour nous rappeler qu'il ne s'agit pas de notre monde, David Cronenberg nous assène quelques scènes d'une rare violence, insoutenables.
Insoutenables, alors par réflexe on se cache les yeux, on ne veut pas voir. Oui, c'est ça, on ne peut pas voir la vraie réalité de cet autre monde, nous autres qui faisons partie des « very nice people ».
Mais la véritable violence, celle de la vraie réalité, pas celle du film, n'est pas dans les images : elle se cache dans les textes du journal intime de la jeune prostituée, lus peu à peu tout au long du film.
Par réflexe on se cache les yeux ... mais on oublie facilement de se boucher les oreilles.


Pour celles et ceux qui aiment les hommes, les vrais, les tatoués. 
D'autres avis sur Critico-Blog, Libé en parle très bien.

Cinoche : American gangster

Black mafia.

Le titre du dernier film de Ridley Scott, American gangster, rappelle inévitablement le documentaire de McIntyre A very british gangster consacré à un parrain de la drogue à Manchester UK.
Et il y a effectivement quelques parallèles : American gangster est basé sur une histoire vraie et sans être un documentaire, il en a un peu le rythme puisqu'il s'agit d'une longue description (le film dure plus de 2h30, même si on ne s'y ennuie pas un seul instant) des affaires d'un trafiquant de drogue.
L'histoire d'un gangster donc, de son ascension, de son apogée et de sa chute (dans laquelle il entraînera beaucoup beaucoup de monde ... on vous laisse le découvrir).
Un gangster américain. Noir américain pour être précis.
Et cela change un peu des Scorcese et autres Coppola qui nous ont nourris jusqu'ici de mafieux italiens : on passe directement du côté de Harlem et là où beaucoup de critiques ont vu une comparaison difficile pour Ridley Scott, nous nous y avons apprécié une façon fort habile de renouveler le genre avec un film qui prend le temps de poser ses personnages, leur histoire, leur contexte.
Autre parallèle également avec A british gangster, le parti pris de dépeindre (du moins au début) le méchant sous les traits apparents d'un gentil : Denzel Washington, le bandit de Ridley Scott, est un homme d'affaires consciencieux qui, pour Thanksgiving , distribue généreusement des dindes aux nécessiteux de Harlem et qui fait le bonheur de sa nombreuse famille ...
En face, Russel Crowe incarne le flic incorruptible (le seul de tout NY !) et endosse là un rôle parfait, presque taillé sur mesure (avec un look années 70 plus vrai que nature !).
Autre atout de ce film et pas le moindre, l'ancrage historique de ce trafic dans le contexte de ces années 70 : celles de la guerre du Viet-Nam qui fournissait à la fois la source d'approvisionnement et les moyens de transport.


Pour celles et ceux qui aiment les histoires vraies. 
D'autres avis sur Critico-Blog.

Bouquin : Une île sous le vent

Portraits de femmes.

Sympathique découverte (grâce à Katell, si je me souviens bien).

Après Brady Udall qui lâchaient ses chiens il y a quelques jours, voici un autre recueil de nouvelles venues des US : Une île sous le vent de Barbara Kingsolver.
L'écriture est plus posée, plus lente que chez B. Udall.
Les nouvelles sont un peu plus longues aussi.
Mais la règle est un peu la même : on plonge, le temps de quelques pages, dans l'instant d'une vie, entre un passé qui se découvre sous les mots et un futur qui se devine au fil des pages.
Mais si Udall le mormon photographiait des hommes (la plupart sans femmes), Barbara Kingsolver, à l'opposé, tire le portrait de femmes, de beaux portraits de femmes.

[...] Elle aimerait aller au cinéma voir de vrais flims mais Ed ne veut pas. « Attends quelques années, on les passera à la télé », dit-il systématiquement. Le noir et blanc et les coupes des scènes brûlantes ne semblent pas le gêner. Ils pourraient aujourd'hui s'offrir un nouveau poste, mais Ed prétend pouvoir deviner les couleurs absentes de l'écran. Il le «prouve» parfois en s'écriant « Tu vois, la chemise de ce type est verte. » Ou : « La fille est rousse. » Il lui arrive parfois de se tromper. Il a cru pendant des années le Peter Graves de Mission Impossible blond, jusqu'au soir où, regardant la télé chez Millie et Darel,  il le découvrit aussi blanc qu'un vieux monsieur. « Ton poste est mal réglé », s'obstinait-il à dire à Darrel, refusant d'admettre l'évidence.
Des portraits de filles, de mère, de femmes dont le couple se défait, ...
[...] Je conduis toujours la Pontiac que j'ai achetée il y a dix ans, mais six petits amis et un mari se sont succédés dans ma vie. Ce même mari, Buddy, que j'ai épousé et dont j'ai divorcé deux fois.
- Au moins tu peux compter sur ta voiture.


Après Katell, d'autres avis sur Critico-blog.