Cinoche : Les émotifs anonymes

Conte de Noël.


Voici donc le conte de ce Noël 2010.
Un peu dans le prolongement du récent Nom des gens, Les émotifs anonymes de Jean-Pierre Améris, est une autre jolie histoire d'amour entre deux éclopés de la vie(1).
Deux hyper-timides, deux émotifs angoissés, deux handicapés du social, deux incapables du relationnel.
Perpétuellement en sueur, il change de chemise toutes les dix minutes et s'avère incapable ne serait-ce que de serrer une main.
Elle révise ses fiches de conversation et chantonne sans cesse des mantras pour s'auto-convaincre d'avoir confiance en elle.
Mais ce prétexte psychologique n'est que la distance nécessaire à faire passer tout plein d'émotions tout au long d'un film qui, sans ce ressort humoristique ne serait qu'une histoire d'amour un peu cucul.
Un film au charme désuet, tourné dans des décors rouges et verts, un peu façon Caro/Jeunet.
Un film bien évidemment porté par le sourire rayonnant d'Isabelle Carré et la présence touchante de Benoit Poelvoorde.
Bien évidemment ils tomberont maladroitement amoureux l'un de l'autre et on restera le coeur serré tout le film, anxieux de savoir si notre monde de brutes laissera une petite place à ces deux albatros.
De très beaux moments de cinéma parsèment cette histoire comme la scène où Poelvoorde chante son amour des yeux noirs [Otchi chornye en russe] d'Isabelle Carré, celle où, quitte à se “promener” sous une pluie battante, ils retardent le moment terrible où ils vont devoir partager la même chambre, ou bien encore le final emporté par le Big Jet Plane d'Angus et Julia Stone.
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(1) : on pourra trouver quelques échos entre ces deux histoires, comme par exemple le “principe de précaution” abusivement appliqué par le père de Jacques Gamblin comme par celui de Benoit Poelvoorde.

Pour celles et ceux qui aiment le chocolat.Pascale et Sandra en parlent.

Miousik : Fredrika Stahl

Petite musique de Noël.

On connaissait de loin la franco-suédoise(1) Fredrika Stahl dont jusqu'ici le phrasé très jazzy ne nous avait guère accrochés.
Son dernier album  (Sweep me away - 2010) est plus pop-folk et nous plait beaucoup plus : vous pouvez en écouter quelques morceaux depuis notre playliste Deezer.
Mais, pour ces fêtes de fin d'année, on vous a mis en ligne une de ses chansons, une petite musique de Noël : Twinkle twinkle litte star, que vous reconnaîtrez sûrement puisqu'elle enjolive la pub télé d'une petite auto qui électrise tout sur son passage.
Cliquez sur ce petit cadeau de Noël, la chanson est presque en version intégrale (chuuut !).
Twinkle, twinkle, little star,
How I wonder what you are.
Up above the world so high,
Like a diamond in the sky.
Twinkle, twinkle, little star,
How I wonder what you are !
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(1) : et oui, encore une : née à Stockholm, elle a le bon goût d'habiter en France.

Pour celles et ceux qui aiment les petites musiques de Noël.

Cinoche : Le nom des gens


La lutte des classes.

C'est une jolie brune.
Elle s'appelle Bahia.
Non, c'est pas brésilien : Bahia BenMahmoud avec un "h" qu'elle roule et aspire comme il sied au folklore du bled. Maman était française mais papa, algérien.
Lui, il s'appelle Arthur Martin.
Oui, comme les cuisines, si pratiques et si ergonomiques.
Un nom banal. Pour cacher le vrai : Cohen. Maman était une enfant juive rescapée de la guerre.
C'est un film sur Le nom des gens. Enfin, sur l'origine du nom des gens. Bref, sur l'histoire des gens. Leur passé. Leurs secrets.
Lui, c'est le trop rare Jacques Gamblin. Plus que parfait pour ce rôle de vieux garçon coincé qui survit grâce au principe de précaution : forcément, il est spécialiste en épizootie, une discipline nécessaire en ces périodes de grippe aviaire. Sauf que le principe de précaution, on l'applique dans sa famille un peu trop : on ne s'appelle plus Cohen, on ne parle pas des grands-parents immigrés grecs, on ne parle pas de la guerre d'Algérie (dans le Hoggar, papa faisait dans le nucléaire). On ne parle de rien et c'est déjà tout un art.
Ce principe de précaution dont il a hérité, comme son nom, Arthur Martin l'applique aussi dans ses “relations” avec les femmes.
Alors forcément, quand Bahia BenMahmoud débaroule dans sa vie, ça va secouer !
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifEt, rien que pour cette Bahia, alias Sara Forestier, le film vaut très très largement le déplacement, même sous la neige !
Mon dieu, quelle pêche ! Quel naturel ! Quel sourire ! Quels yeux (verts) ! Et le reste .... qu'on a largement le temps d'admirer vu qu'elle parcourt les trois quarts du film à moitié à poil(1) !
Bahia Benmahmoud est une activiste socialiste : elle baise avec les fachos de droite pour les convertir à des causes plus justes.
Arthur Martin est jospiniste et de nos jours (je cite) c'est aussi rare qu'un canard mandarin sur l'île de Ré (2).
On rit souvent et de bon coeur, Sara Forestier déménage, on l'a dit et il faut la voir, Jacques Gamblin est parfait en contrepoint.
On aurait d'ailleurs aimé que le film reste concentré sur leur histoire (de très beaux moments comme celui des crabes) et celle(s) de leurs parents plutôt que de s'aventurer sur le terrain plus casse-gueule de la socio-politique.
Le message est plein de bonnes intentions (trop de racistes et de fachos se contentent de jauger les gens d'après leur nom, etc.) mais cent fois entendu. Le propos est gentil, traité de façon amusante, mais bon.
Reste un film amusant, pas vraiment sérieux, plein d'aimable dérision, surtout pas prise de tête, et une belle histoire d'amour. Et puis Jacques Gamblin. Et puis surtout Sara Forestier.
(1) : ou bien la moitié du film et les trois-quarts à poil, on ne sait plus trop les proportions exactes, mais la recette est bonne 
(2) : on vous laisse la surprise des épisodes jospin : le film n'ira pas jusqu'à nous réconcilier avec le bulot lâcheur mais c'est plutôt fin et plein de dérision

Pour celles et ceux qui ont voté Chirac à contre coeur en 2002. 
Pascale en parle.

Bouquin : Des éclairs

Le siècle des lumières.

Ah ! Encore un petit bouquin de Jean Échenoz.
Hmmm ... d'avance on est certain que ce sera délicieux.
Une des plus belles plumes de l'édition française, dans les mains d'un auteur discret et constant. Passer à côté de ses remarquables derniers ouvrages serait impardonnable !
Avec Courir, lu il y a peu grâce à Véro, Échenoz nous contait l'histoire galopante de Zatopek et, comme ça en passant, l'Histoire d'un demi-siècle qui courait follement lui aussi.
Cette fois Échenoz remonte un peu plus loin, au soir d'un autre siècle finissant, pour nous faire partager la pseudo-biographie de Nikola Tesla (qu'il appelle Gregor dans son roman), ce serbe qui finira américain après avoir inventé un truc, finalement assez utile, l'électricité.
Après la course de Zatopek, finalement rattrapé par son siècle, l'histoire de Tesla ne pouvait que nous taper dans l'œil, ne serait-ce qu'en référence au film Le prestige où apparaissait David Bowie dans le rôle de ... Nikola Tesla himself. Un savant fou, façon Dr. Frankenstein de l'électricité, courant après les pigeons.
Un portrait finalement assez proche de celui que brosse ici Échenoz.
Un surdoué des ondes électriques, un peu branque, franchement asocial, obnubilé par les oiseaux en général et les pigeons en particulier (et pas du tout par les femmes), qui inventera tout plein de choses et s'en fera piquer tout autant par les rusés affairistes que seront Edison, Marconi ou Westinghouse. Tesla avait la bosse des maths mais pas celle des affaires.
[...] Je sais bien que Gregor est antipathique, désagréable au point de laisser penser qu'il n'a que ce qu'il mérite, mais quand même. Le voici sans un sou et menacé de prison juste au moment où Edison, Westinghouse, Marconi et les autres, profitant de ses idées acquises à bas prix sinon carrément volées, s'épanouissent en affaires et se font un maximum d'argent. Non seulement lessivé, il voit bien amèrement que nombre d'entreprises, ne vivant que sur ses propres inventions, du courant alternatif à la T.S.F. en passant par les rayons X, se développent avec profit sans qu'il recueille l'ombre d'un dollar.
La guerre entre Edison, chaud partisan du courant continu, et Westinghouse fervent adepte du courant alternatif, décrite et mise en scène par Échenoz vaut son pesant de volts. Au passage l'un deux inventera la chaise électrique ...
Tesla joue plutôt les électrons libres entre les deux et finira par faire la fortune de Westinghouse : ce sera donc le courant alternatif !
Tout cela est plein d'humour, plein d'intérêt pour ce monde à mi-chemin entre science et industrie et l'écriture d'Échenoz est toujours aussi impeccable et lumineuse.
L'histoire de Tesla n'a peut-être pas la foulée épique et le souffle Historique de celle de Zatopek(1) mais nous tenons là un deuxième épisode(2) qui ne demande qu'à tomber entre vos mains.
(1) : ceux qui découvrent Échenoz commenceront donc par courir après Zatopek
(2) : en fait, le troisième : Échenoz a également écrit une pseudo-biographie de Ravel

Pour celles et ceux qui aiment les docteurs frankensteins.
Les éditions de minuit éditent ces 175 pages qui datent de 2010.
Les Éditions de minuit proposent intelligemment de découvrir en ligne les premières pages du roman : c'est ici.
Une bio d'Échenoz. Vincent en parle.

Miousik : Sara Schiralli

From Rome to London.


Un peu à l'instar de l'islandaise Emiliana Torrini, voici une autre italienne qui cache bien son jeu et son accent derrière un patronyme aux consonnances très italiennes, voici donc Sara Schiralli from London.
Je crois que c'est à Froggy's (ou à Radio Nova) que l'on doit cette bien agréable découverte.
L'album est varié : depuis les tendres (et très beaux) Stolen ou So Raw, au très enjoué Don't miss what you never had, y'en a pour tous les goûts et presque rien à jeter (c'est plutôt rare).
Petits frissons aux accents de ces So raw ou Stolen ...
Saluons également au passage le site officiel de la dame avec les paroles de ses chansons ! Enfin ...

Pour celles et ceux qui aiment la pop-folk.

Bouquin : Un employé modèle

Serial killer, down under.


Bien évidemment on ne pouvait pas résister à l'envie d'épingler un petit coeur dans un endroit insolite de notre carte du monde des polars : tout là-bas, down under, en Nouvelle-Zélande.
[...] La Nouvelle-Zélande est connue pour sa tranquilité, ses moutons et ses hobbits. Christchurch est connue pour ses jardins et sa violence.
C'est donc désormais chose faite grâce à Paul Cleave et son Employé modèle.
Et ça démarre très très fort : on vous livre ici les deux pages du premier chapitre qui valent leur pesant de kiwis.
Entrez, entrez, mesdames et messieurs, amateurs de serial killers, trucidages tordus,  meurtres en série et autres charcutages délirants, entrez, entrez et vous serez servis !
Mais tenez vous bien : vous n'aurez pas affaire à 1 serial killer mais à 2 ou 3 ! et tant qu'à faire, ce sera même l'un d'eux qui mènera l'enquête et pas la police de Christchurch, complètement dépassée par les événements et l'imagination foisonnante de Paul Cleave !
Joe, le technicien de surface du commissariat principal de Christchurch se fait passer à longueur de journée de bureau pour le débile attardé qu'il n'est pas et pendant ses heures de loisirs, il se livre à son hobby préféré : tueur en série.
Pas par pulsions meurtrière ou sexuelle, non. C'est son hobby, tout simplement (vous aussi, je suis sûr que vous avez un hobby, vous comprendrez) :
[...] Je ne souffre pas de compulsion à tuer tout le temps. Je ne suis pas un animal. [...] Je ne suis qu'un type normal. Un Joe moyen. Avec un hobby.
Et puis il a des circonstances atténuantes : il est bien esseulé et ses deux seuls amis sont ses poissons rouges, Cornichon et Jehovah.
Et puis une maman tyrannique qui n'a qu'une obsession : que son fils adoré ne devienne surtout pas gay et continue à venir manger chez elle son fameux pain de viande.
On ne vous en dit pas plus mais bien sûr, il n'y a rien de bien sérieux là-dedans : c'est pas pour rien que les Néo-Zed ont la tête en bas, et l'auteur lorgne plutôt du côté de Donald Westlake.
Malheureusement, après le démarrage en fanfare lu plus haut, le bouquin souffre de nombreuses longueurs pas toujours très utiles et Paul Cleave s'attarde un peu en route. Dommage qu'il n'ait pas su trouver ou garder le rythme infernal qui aurait convenu à son polar délirant. Une prochaine fois peut-être : c'est son premier roman.
Ah, j'allais oublier un avis important aux lecteurs (pas aux lectrices, ce passage a beaucoup fait rigoler MAM, mais moi pas du tout, mais alors pas du tout, y'a des “choses” pour lesquelles je n'ai aucun humour, aucun) : messieurs donc, vous lirez rapidement et en diagonale le chapitre 25 (l'horreur) et les deux ou trois suivants (les soins). En tout cas, arrangez-vous pour ne pas finir la soirée sur ces chapitres : vous ne pourriez pas vous endormir avant au moins la page 270, le temps que la douleur, même imaginée, s'estompe, croyez-moi ...
Ceci dit, reconnaissons à Paul Cleave d'avoir su trouver comment faire parler de lui de l'autre côté de la planète !

Pour celles qui aiment les serial killers (quant à “ceux” : ils auront été prévenus !). 
C'est Sonatine qui édite ces 422 pages parues en 2006 en VO et qui sont traduites de l'anglais par le courageux Benjamin Legrand (et oui, il a dû traduire une à une et mot à mot toutes les pages des chapitres 25, 26, 27, ...). 
Pimprenelle et Marguerite sont (un peu trop) enthousiastes, Pierre est plus mesuré, mais c'est un homme, il a souffert pendant plusieurs chapitres tout comme moi.