Bouquin : Six Quatre


[...] Le six-quatre était la pire des affaires.


Un gros pavé ... captivant.
Une écriture très nippone et très analytique qui décortique tout menu et une intrigue policière et la société japonaise. Cette dissection minutieuse nous offre un voyage passionnant dans une province proche de la capitale (un Japon très centralisé visiblement, où Tokyo n'a rien à envier à Paris) où s'affrontent plusieurs directions policières et la horde des journalistes en quête de scoop.
L'intrication des vies privée et professionnelle et même l'emprise du professionnel sur le privé (logements, épouses, téléphones, ...), les relations hommes/femmes, le poids des rapports hiérarchiques et des codes d'une société très réglementée, les courbettes et les excuses publiques (le Japon c'est aussi beaucoup de monde dans peu d'espace, et pour tenir, tout cela demande quelque rigueur), voilà ce que, avec son gros polar,  Hideo Yokoyama nous propose de découvrir. Un sacré voyage en plein cœur du vrai Japon.
Côté polar, Six-Quatre, c'est le nom de code d'un ancien dossier, un cold case, celui de l'enlèvement d'une jeune fille avec demande de rançon. 'On' a visiblement bien merdé quelque part, la jeune fille est morte et le kidnappeur court toujours avec la rançon.
[...] Quatorze ans avaient passé depuis les faits. Le cas était exposé, donné en exemple de seule et unique affaire d’enlèvement suivi de meurtre qui se soit produit dans le pays sans qu’on ait pu mettre la main sur le criminel.
[...] Indiscutablement, le six-quatre était la pire des affaires que la police départementale de D eût connues. 
Nous voici donc plus de dix ans après, tout le monde espère le dossier bientôt enterré et voici que surgissent les mystérieuses Notes Kôda ...
L'inspecteur Mikami hésite, tiraillé entre son nouveau job de politicard (il est chargé des relations avec la presse) et son passé d'enquêteur (c'est un ancien de la Crim' et il avait participé à l'enquête 6-4). Un personnage complexe côté boulot, comme côté domestique (sa propre fille est en fugue, son couple part en vrille).
Un gros pavé, on l'a dit, et il faut donc un peu de persévérance pour franchir les premiers chapitres, apprécier le décorticage minutieux de Yokoyama et puis bien vite se laisser captiver par l'intérêt et de l'intrigue et du voyage et même surprendre par les rebondissements (mais oui, il y en a aussi et tout cela se conclut dans un final digne des meilleurs thrillers US !).
[...] Un drame riche en plans habiles et en stratagèmes.
L'humour n'est pas absent (même si l'on devine que plusieurs flèches nippones échappent à nos esprits occidentaux), comme ici à propos de la famille impériale :
[...] Le prestige, l’aura de mystère de la Maison se sont en bonne partie effacés ! Si cela continue, on en arrivera au niveau de la famille royale britannique, croyez-moi.


Pour celles et ceux qui aiment le Japon.
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Bouquin : Nulle part sur la terre


[...] Les ennuis c'est toujours gros.


Le gars sort tout juste de prison après avoir payé sa dette à la société. Visiblement pas toute la société, puisque à la descente du car qui le ramène chez lui, il se fait rosser par des rancuniers.
La fille, elle, marche le long de la route avec un baluchon, tirant une petite fille par la main, fuyant on ne sait trop quoi non plus. Ce qui va lui arriver est encore pire que le tabassage du gars.
Et quand les destins de ces deux-là se croisent au milieu de nulle part,  Michaël Farris Smith est là avec ses pinceaux pour nous dresser le portrait de ces deux losers (et de quelques autres).
[...] Un type qu’a passé du temps en taule, on sait jamais trop dans quel état il en ressort. Parfois meilleur, parfois pire.
– Parfois pareil.
– Non, pas pareil.
[...] – Vous avez des ennuis ? » Elle hocha la tête et regarda la petite.
« De gros ennuis, si je me trompe pas, dit-il.
– Les ennuis, c’est toujours gros.
[...] Il y avait une pointe d’inquiétude dans sa voix. Il la reconnaissait pour l’avoir entendue chez des hommes qui savaient de quoi demain serait fait et qui savaient qu’ils ne pouvaient rien y changer.
[...] J’ai comme l’impression qu’il y a quelque chose dans l’air par ici. Quelque chose qui se trame. Je sais pas ce que c’est. Mais je le sens.
C'est noir mais c'est beau.


Pour celles et ceux qui aiment les coins perdus.
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Bouquin : Le diable en personne


[...] Mais qu'est-ce qui s'est passé ?


Une époque troublée après la Grande Guerre et la prohibition, un état du sud, la Géorgie et sa capitale gangrenée jusqu'à la moelle : voilà pour le décor (intéressant parce que pas si souvent monté sur scène et parce que l'auteur nous promène, mine de rien, au plus profond des forêts et des marais sudistes).
Une intrigue minimaliste (et assez convenue) où d'affreux jojos (jusqu'au maire d'Atlanta) trafiquent tout ce qu'ils peuvent : drogue, pétrole et jeunes filles.
Le diable en personne.
Mais ce qui fait le charme indéniable de ce bouquin de Peter Farris ce sont les personnages qu'il met en scène.
Léonard, un vieux bootlegger qui se promène en ville avec un mannequin de couture (sa femme n'est plus là) et qui fait pousser des épouvantails dans ses champs.
[...] Il est pas humain, celui-là ! C’est le diable en personne.
Et Maya, une petite pute tout juste échappée des griffes des méchants.
[...] Brune, coupe au carré, beaucoup de maquillage pour des yeux n’exprimant qu’un vague désintérêt vis-à-vis de tout ce qu’elle regardait. Aucune direction apparente à sa vie.
L'ami Farris se joue des clichés du roman noir et sait fort bien raconter son histoire à l'humour féroce.
On s'y délecte à voir d'affreux méchants dézingués par des gentils encore plus méchants quand on les a cherchés un peu trop.
[...] — J’ai cru que t’allais le descendre.
Leonard gloussa.
— Parce que j’ai l’air de descendre tous les types qui débarquent ici ? Mais sa tentative d’humour tomba à plat.
[...] Il serait en train de cramer que je lui pisserais pas dessus.
Une sorte de conte de fées au pays des vilains, une comédie à la Donald Westlake avec un peu de rigolade en moins et de romantisme en plus.


Pour celles et ceux qui aiment quand ça finit bien.
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Bouquin : Kaboul Express


[...] Il a un plan. Quel plan ?


Il y a deux ans Cédric Bannel nous avait franchement bluffés avec son Homme de Kaboul qui nous emmenait avec intelligence au cœur d'un Afghanistan dont on parle beaucoup mais qu'on connait si peu.
Malheureusement depuis, Bannel semble avoir égaré la recette miracle et se perd dans des thrillers beaucoup plus conventionnels.
Pas inintéressants et toujours très agréables à lire mais la magie afghane n'est plus tout à fait là.
Voici donc une troisième aventure du qomaandaan Oussama Kandar et de sa désormais associée franco-française Nicole Laguna.
[...] — Oh, j'oubliais : le qomaandaan Kandar et ses principes moraux !
— Mes principes sont la seule chose que personne ne peut me prendre.
— Détrompez-vous, mon ami. De la vie aux principes, Allah peut reprendre tout ce qu'Il a donné.
Reconnaissons que même très conventionnelle, cette aventure est plus réussie que la précédente Baad, et que l'auteur se dépatouille habilement d'un sujet plutôt casse-gueule en nous démontant minutieusement les mécanismes d'un attentat des plus explosifs contre notre Douce France.
[...] — Attends ! Il y a le gamin. Il sait, lui !
Oussama et Chinar échangent un coup d'œil. Encore le garçon.
— Quel gamin ? Qu'est-ce qu'un gamin a à foutre avec ça ?
— C'est lui qui a tout préparé. Il a un plan.
— Quel plan ?
— Il l'a appelé Aube noire. Avec Merwais, ils vont frapper la France. Une attaque de plusieurs martyrs, avec des explosifs et des gaz toxiques.
Kaboul Express c'est le nom de la filière afghane qui alimente le monde en jeunes martyrs prêts à tout pour rejoindre les vierges promises.


Pour celles et ceux qui aiment les plans diaboliques.
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Bouquin : Mör


[...] Va savoir quel goût ça a ?


La française Johana Gustawsson. va-t-elle renouveler le polar nordique ?
En tout cas le polar européen : née à Marseille, elle vit à Londres, avec un suédois ...
Rien d'étonnant à ce que son polar Mör cherche à mêler une série de crimes bien actuels (en Suède) avec des réminiscences de Jack l'Éventreur (à Londres évidemment).
[...] Elle a dit que tout était lié à Jack l’Éventreur.
Mör signifie tendre en suédois, attendrie, ... comme une viande goûteuse et bien savoureuse ...
[...] Maintenant, va savoir quel goût ça a ?
[...] Une fois que tu as goûté à la viande humaine, tu ne peux plus t’en passer.
De quoi se régaler avec ce thriller bien mené autour de personnages intéressants (et féminins) : fliquette, profileuse, ...
La virée dans le Whitechapel du XIX° n'est pas forcément très réussie (ni très utile) mais on ne s'y attarde pas heureusement, pour découvrir peu à peu et avec grand intérêt, une autre histoire et un autre passé beaucoup plus intéressants. Histoire(s) et passé(s) qui donneront tout leur sens à cette série de crimes ... et au titre du bouquin.


Pour celles et ceux qui aiment les plaisirs de la chair.
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Bouquin : Dans les eaux du grand nord


[...] Mais ça ne ressemble pas à une chasse à la baleine.


Depuis Moby Dick, on a comme une attirance un peu particulière pour les chasseurs de baleines et les glaces des pôles [1] [2].
Alors à l'appel du britannique Ian McGuire on répond 'partant' comme ces shetlandais sans travail :
[...] assez bêtes ou malavisés pour s’embaucher sur un bateau commandé par un homme dont la terrible malchance était aussi bien connue.
Et nous voici embarqués pour Les eaux du Grand Nord pour une aventure maritime qui bien entendu ne peut que mal se terminer.
[...] Je suis capitaine de baleinier, mais ça ne ressemble pas à une chasse à la baleine, Mr Sumner. Je peux vous assurer que ça ne ressemble pas à une chasse à la baleine.
[...] J’imagine que le Seigneur ne passe pas beaucoup de temps ici, dans les eaux du Nord, répond-il avec un sourire. Sans doute qu’il n’aime pas trop le froid.
Hommes et Nature rivalisent de sauvagerie dans cette aventure pleine de bruit et de fureur, les cris sont ceux des hommes et la colère celle des glaces.
[...] L’iceberg se déplace à la vitesse d’un homme qui marche d’un bon pas et, sur son passage, il racle la banquise et recrache des radeaux de glace de la taille d’une maison, comme des copeaux tombant des mâchoires d’un tour. La banquise tremble sous les pieds de Sumner.
L'humanité ne sort pas véritablement grandie de cette aventure sans héros et McGuire nous dépeint une Angleterre bien sombre au lendemain de la débâcle indienne.
[...] Personne n’en veut plus, de l’huile de baleine ; maintenant, il n’y en a plus que pour le pétrole, le gaz de houille, tu sais bien.
— Le pétrole, ça ne durera pas, réplique Brownlee. C’est juste une mode. Et les baleines sont encore là.


Pour celles et ceux qui aiment la viande de phoque crue.
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Cinoche : Okja


Tout est bon dans le cochon.


La polémique du festival de cannes blanches aura bien servi le film du coréen Bong Joon Ho qui, après Snowpiercer, réussit encore à nous surprendre.
Plus qu'un film cochon, Okja est une fable écolo et féroce (c'est quand même coréen !) qui ne ménage aucune vacherie (mais on rit jaune) à l'encontre de notre monde courant à sa perte (à l'image du train de Snowpiercer). Okja démarre comme un conte de Miyazaki (très belles scènes dans les montagnes du Pays du Matin Calme) et ça se termine à la Soleil Vert.
Coup de cœur pour cette grosse bestiole (croisement OGM entre un lamantin et un hippopotame : animations particulièrement réussies) et son amie Seo-Hyun Ahn (13 ans !) qui vole(nt) la vedette à Jake Gyllenhaal.
Âmes sensibles s'abstenir.
Depuis Snowpiercer on sait que les coréens sont dans le wagon de tête de la course folle de notre pauvre monde : écoutons les messages de Bong Joon Ho.

Pour celles et ceux qui aiment le cochon où tout est bon.
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Bouquin : Quand sort la recluse


[...] Il voyait dans les brumes, tout simplement.


On l'a déjà dit et redit, c’est toujours un grand moment de plaisir annoncé et attendu que d’ouvrir un nouveau Fred Vargas. Que de retrouver le mystérieux et fantasque Jean-Baptiste Adamsberg et toute sa clique du commissariat du XIII°. Que d’avoir l’assurance d’apprendre tout un tas de choses sur on ne sait pas quoi encore mais on verra bien, ce sera forcément passionnant.
[...] — Je ne sais pas par où commencer. C'est très enchevêtré, les pensées primaires.
— Alors commencez par « Il était une fois ». Veyrenc dit qu'il y a une touche légendaire, avec ces recluses.
— Ah très bien, cela me va.
Quand sort la recluse est un épisode qui semble démarrer plutôt poussivement avec une sorte de pré-générique comme dans un film de James Bond pendant lequel Fred Vargas repositionne ses personnages et Jean-Baptiste au retour d'Islande [rappelez-vous]. On comprendra plus tard l'intérêt de replacer tout ce petit monde au commissariat du XIII°.
Et puis ça décolle en douceur, sans qu'on s'en aperçoive vraiment. Il faut alors s'accrocher fermement aux élucubrations du pelleteux de nuages.
Amateurs d'intrigues policières cartésiennes passez votre chemin.
Adamsberg va carrément nous inventer des meurtres et des criminels là où il n'y a rien, juste un vague article de presse sur le retour d'araignées venimeuses (les fameuses recluses).
[...] — Trois morts, c'est exact. Mais cela regarde les médecins, les épidémiologistes, les zoologues. Nous, en aucun cas. Ce n'est pas de notre compétence.
— Ce qu'il serait bon de vérifier, dit Adamsberg.
Comment donc a-t-il pu voir là quelque matière à enquête ?
C'est d'ailleurs la question que se posent tous les collègues de la brigade : faut-il suivre le fou clairvoyant sur cette piste qui ne rime à rien ?
[...] Cette confusion, Danglard et Retancourt la déploraient toujours. Chefs de file de la ligne pragmatique de la Brigade, tenants de la logique linéaire et de la rationalité, ils réprouvaient la manière dont Adamsberg avait conduit la journée et mené son enquête disparate et avare de mots.
Le roman prend alors toute son ampleur : tandis qu'Adamsberg flotte quelque part dans les brumes d'une improbable intrigue, floutée et incertaine, son équipe est déchirée entre ceux qui le suivent aveuglément et ceux qui ont peur que l'esprit de leur patron ne s'égare définitivement dans les limbes.
Fred Vargas et Jean-Baptiste Adamsberg touchent tous deux ici à une puissance évidente et une maturité indiscutable. Au fil des ans, l'amusante et pétillante magie Vargas des premiers ouvrages est peu à peu devenue un véritable paradigme poétique, capable de décrypter les brumes sous-jacentes à notre univers.
[...] - Proto-pensées ?
- Des pensées avant les pensées, vos " bulles gazeuses ". Des embryons qui se promènent et prennent leur temps, apparaissent et disparaissent, qui vivront ou mourront. J'aime bien ceux qui leur laissent leurs chances.
[...] D'aucuns disaient que l'on ne pouvait pas toujours savoir si le commissaire était en veille ou en sommeil, parfois même en marchant, et qu'il errait aux limites des ces deux mondes.
C'est bien là la substantifique moelle des romans de Dame Vargas, une fois qu'on a été piqué, on y revient, accro.
Mais n'oublions pas non plus le passé scientifique de l'auteure : archéozoologue ...
Comme dans tous ses bouquins, on va donc croiser tout un bestiaire : araignée recluse évidemment, mais aussi murène, merle, et que sais-je encore.
Et puis archéo-machin ? Oui, alors là aussi comme d'hab, on apprendra plein de trucs sur il était une fois ... mais chut, chez Vargas évidemment une recluse peu en cacher une autre, n'en disons pas plus.
En prime, une très belle fin ...
On souhaite à Dame Vargas de continuer à surfer sur un succès largement mérité.


Pour celles et ceux qui aiment les araignées.
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Cinoche : Gold


Il ne faut pas saler les carottes.

Plutôt agréablement surpris par ce Gold de Stephen Gaghan.
Encore un film inspiré d'une histoire vraie comme Hollywood et le public en sont friands aujourd'hui, celle de la mine de Bre-X Busang dans la jungle indonésienne, qui dans les années 90 propulsa une bulle spéculative jusque dans les hautes sphères des bourses de Vancouver et New-York (même la fameuse banque Lehman Brothers recommanda d'acheter des actions Bre-X). Une bulle qui finira par éclater à grands frais lorsque sortira au grand jour ce qu'on ne voulait surtout pas voir jusqu'ici et qu'on se rendra compte qu'il n'y avait finalement pas d'or là-bas dans la jungle de Bornéo.
Le film Gold c'est la trajectoire d'un promoteur prospecteur (il réunit les fonds nécessaires aux explorations minières) à bout de souffle et en bout de course, ruiné et alcoolique.
Il se met en cheville avec un géologue de terrain en Asie et veut réaliser son rêve, honorer la mémoire de son père, trouver de l'or, à tout prix, coûte que coûte.
Le géologue va se charger de le réaliser, ce rêve ... et tous les deux vont raconter une histoire trop belle pour être vraie que le spectateur comme le courtier de Wall Street veulent croire. À tout prix.
Certes Matthew McConaughey est omniprésent et cabotine à qui mieux mieux (les verres de whisky défilent ad nauseam) mais finalement convient plutôt bien à ce personnage de grand gosse qui n'avait qu'une obsession : trouver de l'or et prouver à tout le monde (son père, sa nana, ses pairs, ...) qu'il valait mieux qu'un ivrogne loser au bout du rouleau.
Il y croyait à son histoire et savait la raconter : il savait parler d'or à ceux qui entendaient argent.
Le film est plutôt sympa mais la vraie Histoire, elle, est tout simplement effarante parce qu'elle s'est déroulée hier seulement (pas en 1850) et qu'elle démontre 'brillamment' la folie de notre monde qui court et court encore après l'argent, jusqu'à sa perte. Insensé.
À lire (plutôt après le film) cet article du Monde.

Pour celles et ceux qui aiment ce qui brille (et le whisky).
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Bouquin : Profil perdu


[...] Il aimait. Il aimait tout en elle.

Coup de cœur de BMR et de MAM pour ce polar français : Profil perdu de Hugues Pagan, un ancien flic qui a troqué son flingue contre un stylo et qu'on n'avait pas vu dans les vitrines des libraires depuis de nombreuses années (il écrivait beaucoup pour la télé).
Un excellent polar à la française qui nous change des américains ou des nordiques.
Mais avec un héros (le flic Schneider) digne des meilleurs nordiques et américains.
[...] Il avait cessé de longue date d’essayer de comprendre Schneider. Personne de sensé ne pouvait comprendre Schneider. Tout au plus pouvait-on deviner sans trop de risque de se tromper qu’un jour ou l’autre, pour une raison ou pour une autre, l’inspecteur principal Schneider avait cessé d’avoir une existence propre.
[...] Vous êtes loin d’être un mauvais bougre, Schneider. Vous avez seulement l’art subtil de vous faire des ennemis mortels.
[...] Vous savez que vous êtes un drôle de type. Pas facile de faire le tour, même avec les deux bras et un radar. Schneider sourit. Il avait un curieux sourire, qui n’était pas dépourvu d’un certain charme.
[...] Depuis longtemps, Schneider avait abandonné la prétention stupide d’imaginer ce qui pouvait bien agiter le cœur des hommes.
[...] Mourir n’est pas compliqué. Ce qui est compliqué, c’est de vivre. Peut-être qu’il faut avoir des dispositions pour ça, ou bien avoir commencé jeune. – Comme le piano. Il acquiesça en silence.
Une élégance un peu sèche, un parfum un peu rétro (façon années 90), des personnages bien dessinés, une intrigue bien noire et un ton bien désabusé, une prose bien soignée et des dialogues bien tournés, qui nous prennent pour ne plus nous lâcher.
 En prime, une belle histoire d'amour aussi.
[...] L’amour peut parfois revêtir le tour d’une bouleversante alchimie, dès lors qu’on décide de ne plus le considérer comme une simple discipline gymnique.
Inutile de vous dire que l'on va très vite repartir 20 ans en arrière pour découvrir les bouquins précédents de cet élégant vieux monsieur tout de noir vêtu.

Pour celles et ceux qui aiment l'amertume d'un noir bien serré.
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Bouquin : Looping


[...] – C’est un poème, cette femme !

Encore un coup de cœur pour ce Looping, petit roman très frais de l'écrivain et actrice Alexandra Stresi.
Une feel good story que cette vraie fausse biographie de Noélie, la grand mère de l'auteur qui traversa le siècle dernier, deux guerres et la Lybie de Mussolini.
Une de ces italiennes qui quittèrent leur pays ...
[...] Voyager ne se faisait pas dans leur milieu, qui n’en était d’ailleurs pas un. Il était plus modestement condition. On n’était pas de condition à voyager, voilà tout. Émigrer, si, ça aurait pu.
Sur fond d'Histoire sérieuse mais sans prise de tête (juste un peu d'intelligence curieuse), un superbe portrait de femme, aventurière, amoureuse, libre, indépendante, bref pas du tout à sa place dans son époque.
[...] Il suffit souvent de s’intéresser aux choses pour qu’elles deviennent intéressantes. Cette leçon simple peut remplir une vie.
 Pour ce premier roman, Alexia Stresi réussit brillamment son brevet de voltige aérienne et son écriture sautillante et surprenante, toute en élégance, s'accorde à merveille avec le ton enjoué de son bouquin.
[...] – C’est un poème, cette femme !
Un poème, je n’aurais pas su. Un portrait fidèle, j’ai essayé.
On y croise même l'inventeur du Nutella !
Alexandra Stresi se trouve être également la compagne de François Berléand : quel heureux homme si un peu du sang de la grand-mère Noélie coule dans les veines de la petite-fille !

Pour celles et ceux qui aiment s'envoyer en l'air.
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Bouquin : Le bureau des jardins


[...] Ce qu’on apprend compte moins que la personne qui vous l’enseigne.

L'écrivain et scénariste Didier Decoin a eu la main heureuse avec ce titre énigmatique : Le bureau des Jardins et des Étangs. Et nous la main heureuse en piochant cette nouvelle japonaiserie dans une liste.
Quelques pages seulement et nous voici, telles les carpes dont il est question, hameçonnés par cette belle littérature poétique que l'on croirait sortie tout droit d'un conte japonais mais qui est le fruit d'un gros travail de documentation de l'auteur sur le Japon de l'an mil, lorsque Kyoto s'appelait encore Heian-kyo, la capitale tranquille et paisible.
Le fruit également d'un autre travail, celui de la plume de l'auteur : une écriture ronde et belle, à l'image des calligraphies de l'époque, au vocabulaire évocateur et riche, qui réussit même à éviter mes effets trop appuyés.
Une belle histoire nous est contée, celle de Miyuki, la veuve d'un pêcheur chargé(e) d'approvisionner en brillantes et chatoyantes carpes les étangs de la capitale impériale.
[...] Miyuki avait laissé les villageois parler jusqu’au bout, lui conter la mort de son époux, enfin, ce qu’ils en savaient, très peu de chose en vérité, elle s’était contentée d’incliner la tête sur le côté comme si elle avait du mal à croire ce qu’ils lui disaient. Quand ils eurent terminé, elle poussa un cri étranglé et tomba.
[...] Les restes du pêcheur de carpes seraient brûlés sur un bûcher dressé à l’extérieur du village. Les os seraient retirés des braises en commençant par ceux des pieds et en finissant par ceux du crâne, et placés dans l’urne funéraire dans ce même ordre – ainsi épargnait-on au défunt l’inconfort et le ridicule de se retrouver la tête en bas.
Le départ depuis le petit village provincial pour livrer les dernières carpes pêchées, le rude trajet à travers la montagne enneigée, l'arrivée à la capitale au plus fort d'un concours de parfums ...
[...] – Tu sens ? chuchota-t-il à l’intention de son assistant. Kusakabe regarda autour de lui. [...]
– Si je sens quoi, sensei ?
– L’œuf. Enfin, il me semble.
– Le jaune ou le blanc ?
À Heian-kyo, Miyuki fera la rencontre du vieux Nagusa, noble intendant de la cour impériale, directeur du Bureau des Jardins et des Étangs.
[...] Nagusa, n’allait pas tarder à disparaître, il sentait que sa vie serait bientôt soufflée comme une chandelle qui papillote et s’éteint parce que, dans les profondeurs du Palais, un serviteur désireux de contempler la pleine lune a relevé un store et fait naître un filet d’air glacé et coupant qui ondule de couloir en couloir jusqu’à venir escamoter la petite flamme.
Une histoire et une écriture pleines de poésie, celle du monde flottant. Et le portrait d'une charmante dame de l'époque.
On regrette juste que tout cela soit un tout petit peu trop long, le temps sans doute de s'immerger dans les brumes de la culture nippone que Didier Decoin nous rend particulièrement accessible.

Pour celles et ceux qui aiment l'empire du soleil levant.
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