Le ciel t'attend (Grégor Péan)

[...] Leur heure est peut-être venue.

●   L'auteur, le livre (400 pages, 2024, 2023 en VO) :

Terry Hayes est un scénariste qui a travaillé sur la série des Mad Max et qui partage sa vie entre Grande Bretagne et Australie.
On a découvert il y a peu son premier thriller : Je suis Pilgrim.
Voici un nouvel épisode, son troisième roman et le second traduit en français : L'année de la sauterelle.
Car chacun sait que les sauterelles ou les criquets (The year of the locust en VO) se développent et croissent sans bruit durant plusieurs années avant que leurs nuées s'envolent et s'abattent sur le pauvre monde. Ainsi, Terry Hayes nous invite à assister à l'essor d'une nuée de djihadistes qui sommeillaient dans les montagnes reculées d'Afghanistan : l'année de la sauterelle est annoncée pour très bientôt. L'occident peut trembler.
[...] «  Une sauterelle, dis-je. —  Pendant des années, il n’y a rien, expliqua Falcon, puis c’est l’invasion, on ne peut plus les arrêter, elles détruisent tout sur leur passage. Peut-être est-ce le moment. Leur heure est peut-être venue.  »
[...] Dans le monde du renseignement, il existe un nom réservé à ces actes terroristes de grande ampleur, et la station de Kaboul était convaincue qu’un autre Feu d’artifice était en préparation.
[...] La CIA avait découvert que l’un des plus grands terroristes au monde était ressuscité d’entre les morts et qu’elle l’avait plus ou moins localisé.

●   On aime bien la première moitié :

❤️ On aime bien l'écriture très pro, fluide et bien rythmée, de cet auteur qui arrive un peu sur le tard dans le monde très convenu du thriller d'espionnage mais qui réussit à tirer habilement sa plume du jeu. 
Ses bouquins ne révolutionnent pas le genre mais on est bon public et on veut bien encore et toujours, embarquer aux côtés du super héros très fort et très malin qui va sauver les États-Unis (et le reste du monde avec, ouf) des griffes des méchants terroristes islamistes. 
Tout cela avec une bonne dose de clichés éculés, un peu de technologie branchée, un peu d'humour désabusé, un savant mélange de testostérone et d'adrénaline, en somme rien de bien nouveau sous le soleil de Kaboul mais encore faut-il savoir doser ces ingrédients avec soin et un peu de brio si possible. Tout comme son super-héros, Terry Hayes fait le job et il le fait bien.
❤️ On savoure le plaisir de se laisser promener au fil des longues digressions de cet auteur, c'est un peu sa marque de fabrique. Un personnage nous raconte telle anecdote périlleuse, un autre se souvient de telle mission au Moyen-Orient ou de telle aventure au Vietnam, puis on va nous détailler longuement et inutilement telle escale d'avion à Ryad ou tel campement dans les montagnes, ... laissant l'intrigue principale se dérouler peu à peu en arrière-plan, lentement au fil des pages.
C'est ce qui fait d'ailleurs tout le charme de ces gros pavés quand le lecteur se laisse ainsi balader car nullement pressé d'arriver au terme d'un long voyage de 400 pages.
 On s'étonnera sans doute à mi-parcours du culot de Terry Hayes qui se lâche un peu et qui sort de son chapeau une péripétie vraiment too much et d'un genre plutôt surprenant ici, mais dont on ne peut rien dire sans divulgâcher évidemment et qui prendra assurément le lecteur à contre-pied : attention, une sauterelle peut en cacher une autre !
Mais restons bon public et faisons confiance à cet auteur inventif et scénariste exubérant, pour trouver le moyen de retomber sur ses pattes.

●   L'intrigue :

Un agent doit pénétrer en Afghanistan pour exfiltrer un informateur susceptible de renseigner la CIA sur un dangereux terroriste que tout le monde croyait mort mais qui serait en train de préparer rien moins qu'un terrible attentat, un feu d'artifice façon 11 septembre.
[...] —  Imagine une fuite –  un terroriste revenu d’entre les morts, un Feu d’artifice programmé pour Thanksgiving, la majeure partie du monde occidental comme cible potentielle et pas la moindre idée sur la façon dont cela pourrait se produire… La panique à elle seule risquerait de nous anéantir en vingt-quatre heures.  »
[...] Tout commença par une mauvaise nuit, la pire de toute la mission, et cela empira rapidement.
[...] —  Je ne suis pas surpris, commentai-je à voix basse. Pour lui, comme pour l’Agence, c’était un échec. La mission SAUTERELLE était terminée, et le Feu d’artifice restait d’actualité.  »
Bien entendu, l'exfiltration va partir en vrille de manière ni très propre, ni très cool, bref c'est la cata, surtout pour l'informateur et même pour notre héros.
Mais nous ne sommes qu'au tout début du bouquin et le lecteur peut donc se pelotonner plus confortablement dans son fauteuil pour anticiper le plaisir d'encore quelques heures de cinoche sur grand écran en imax et technicolor.

Pour celles et ceux qui aiment les héros invincibles.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions JC. Lattes.

À l'origine la femme derrière le tableau (Cécile Cerf)

[...] Je vois une scène interdite et je suis interdit.

      L'auteure, le livre (300 pages, 2022) :
Cécile Cerf est agrégée de lettres : il n'en fallait sans doute pas moins pour oser s'atteler à l'histoire du légendaire tableau de Courbet, L'origine du monde [clic].
Son enquête historique nous permet de découvrir À l'origine, La femme derrière le tableau.
      On aime :
❤️ L'histoire passionnante de ce tableau mythique et sulfureux que ses propriétaires gardaient secret (la couverture du livre en témoigne !) et dont on perdit la trace pendant plus d'un siècle.
❤️ Le point de vue résolument féminin ou féministe de l'auteure (nous sommes le 8 mars !).
      Le contexte :
L'histoire vraie du célèbre tableau du jurassien et athée Gustave Courbet : L'origine du monde.
À la fin du XIX°, Courbet est le chef de file des peintres Réalistes, exclus des salons parisiens encore confits dans l'académisme romantique tandis que Paris se remet difficilement de La Commune, celle des pétroleuses.
[...] Cette Commune voudrait tout détruire et revenir à cela. Et Courbet, qui proclame partout qu'il en a assez du marbre et des Aphrodite polies.
Le tableau fut commandé par un diplomate d'origine turque, Khalil Bey et l'on veut croire que le modèle (dont on ne voit pas le visage) était peut-être sa maîtresse, Constance Quéniaux, une danseuse.
[...] Ce Paris insouciant d'avant la Commune où un ambassadeur de la Sublime Porte pouvait entretenir une demoiselle de l'Opéra et faire portraiturer son intimité par un Jurassien athée.
Khalil Bey, ruiné, fut bientôt obligé de vendre ses collections, et l'on perdit la trace de ce petit tableau sulfureux pendant plus d'un siècle jusqu'à ce que le psychanalyste Lacan en fasse l'acquisition et que ses héritiers le cèdent finalement au musée d'Orsay.
      L'intrigue :
La crudité réaliste du sexe peint en gros plan déchaina les passions, à l'époque tout comme encore aujourd'hui : en 2013 même, une nouvelle affaire défraya la chronique des arts.
Cécile Cerf se régale (et nous avec) à rapporter les propos particulièrement féroces des bourgeois phallocrates du XIX° et l'intelligentsia parisienne ne ressort pas vraiment grandie de ces pages, c'est le moins qu'on puisse dire : les Alexandre Dumas (fils), Théophile Gautier, Gustave Flaubert, Maxime du Camp,...  se déchainent avec une rare violence contre Courbet en particulier et les femmes en général.
[...] Aujourd'hui la sauvagerie revient, par les femmes, encore et toujours. Le peuple redevient horde, la femme redevient une femelle.
[...] La Commune et la peinture réaliste de Courbet sont les deux faces d'un même phénomène : ces hommes impuissants, ces femmes qui veulent la toute-puissance, qui veulent voter, faire la guerre, décider de tout, mènent Paris au bûcher. Voilà la famille moderne.
Le narrateur (Maxime du Camp) mène l'enquête pour enfin savoir quelle était donc cette femme qui avait osé poser pour Courbet : le prétexte à visiter et "interviewer" ce qui compte dans le Tout-Paris de l'époque.
[...] Ne trouvez-vous pas plaisant qu'il ait choisi une artiste pour modèle, et précisément une danseuse, et qu'il lui ait coupé la tête et les jambes, alors que chez une ballerine, on vante le cou-de-pied et le port de tête ?
      On aime moins :
Le bouquin nous donne quelques belles pages (édifiantes !) sur les danseuses de l'Opéra dont Constance faisait partie : c'est le sujet de prédilection de l'auteure qui veut nous faire partager sa passion. Mais ces digressions sont un peu trop nombreuses et envahissantes au point que souvent, le tableau de Courbet passe au second plan.
On aime moins aussi les derniers chapitres sur Charcot et la Salpêtrière : ces pages féministes sont peut-être salutaires et nécessaires, bien sûr, mais flirtent un peu trop avec le guide touristique wikipédia.
On regrette aussi un peu que le roman se cantonne à son titre, son époque et son sujet (l'origine du tableau) sans aller plus loin pour retracer toute l'histoire mystérieuse et mouvementée de cette peinture jusqu'au musée d'Orsay.

Pour celles et ceux qui aiment les dessous (de la peinture).
D’autres avis sur Babelio.