Cinoche : A very british gangster

Fascinant et dérangeant.

Nos avis sont assez mitigés en sortie de l'une des rares salles où est projeté le polar (pardon : le reportage) de Donal McIntyre : A very british gangster.
De ses trois ans d'enquête aux côtés de l'un des parrains de la mafia de Manchester UK, le journaliste en a tiré un véritable film, primé à Cognac, qui n'a rien à envier aux polars de Scorcese ou Coppola.
Un fascinant portrait d'homme que celui de Dominic Noonan brossé ici, avec de multiples facettes.
Mais Donal McIntyre et son équipe ne tiennent que le pinceau (en l'occurrence le micro et la caméra) et c'est Noonan qui choisit les dessins et les couleurs.
Dans ce film, Noonan est quasiment son propre metteur en scène (l'enterrement du frère est déjà entré dans les annales) et Donal McIntyre filme tout cela avec zéro recul, au sens propre comme au figuré.
C'est ce parti pris délibéré qui peut choquer (on plonge sans scaphandre en pleine immoralité) mais qui fait précisément la force du film : nos préjugés, nos catégories, nos cadres, nos références, tout est balayé d'un coup de zoom et nous voilà forcés d'ouvrir grand les yeux sur une tout autre réalité.

[...] Je voulais que le spectateur découvre ce monde comme moi, dans un état proche de la crise de nerfs. Je voulais qu’il puisse toucher, sentir et respirer l’environnement de ce gangster et de sa famille jusque dans ses moindres recoins. 
Pendant les trois années que j’ai passées à observer les Noonan dans leur intimité, j’ai été choqué et horrifié, mais également touché par ce qui se déroulait. Je défie quiconque de regarder ces vies pleines de contrastes à travers un prisme manichéen.
On se surprend donc à sourire lors des fêtes de famille (bien sympathiques ces braves gens ...) et on est près de verser une larme aux enterrements (bien émouvantes ces obsèques ...), à l'unisson de l'un des fils ou neveux, qui rêve d'Elvis et qui chante (je cite :) pour les mariages, les enterrements et les acquittements, surtout les acquittements.
Chez ces gens-là, lorsqu'on demande la différence entre le bien et le mal, on s'entend répondre qu'ils savent à peine lire ou écrire (mais compter, ça oui) alors vous pensez donc, le bien et le mal ...
Pourtant Dominic Noonan fréquente l'Eglise (catholique), qu'il préfère d'ailleurs au tribunal : on peut y entrer, avouer et en ressortir pardonné.
La caméra nous promène dans les rues de Manchester, véritable désert économique, social et moral.
Sans surprise, ce no man's land est devenu le Noonan's land.
Puisque notre société est un gigantesque broyeur et que si la plupart d'entre nous sortent de la mécanique par le haut, nombreux sont ceux qui tombent tout au fond et se retrouvent en miettes.
Dominic Noonan, et c'est fort bien montré, leur offre de se reconstruire et de réapprendre le respect d'eux-mêmes, tout simplement.
Autre angle de vue étonnant, s'il y a bien quelques parrains patibulaires et plus vrais que nature venus lui donner l'accolade à l'enterrement de son frère, l'équipe de Dominic Noonan est surtout faite de jeunes : la relève est donc assurée !
De jeunes et d'encore plus jeunes : les fils et les neveux jouent au foot dans la rue et grandissent au milieu de tout cela. Et la caméra s'attarde longtemps sur les yeux d'un petit rouquin d'une dizaine d'années à peine.
Lui saura peut-être lire et écrire mais assurément ne verra pas plus que ces aînés, de différence entre le bien et le mal.
Et pour être franc, on n'aimerait pas se retrouver à la place du flic ou du juge dans une vingtaine d'années, face alors au regard de ce jeune qui aura grandi ...
Pour conclure enfin ce billet, à notre époque bien prompte à diaboliser certaines religions, l'un des derniers atouts du reportage de Donal McIntyre est de nous ouvrir les yeux sur une Europe 100% blanche et 100% catholique.
Fascinant et  dérangeant ... on vous dit !

L'éclairage de Télérama et de Libé, et des avis plus partagés sur Critico-blog.

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