Cinoche : 3h10 pour Yuma

Quand le train sifflera.

Décidément les grands espaces de l'Ouest envahissent nos écrans. Après There will be blood, on remonte un peu plus loin dans le passé du Far-West avec le remake de 3h10 pour Yuma.
À l'époque où, peu après la Guerre de Sécession, les diligences de l'agence Pinkerton convoyaient les fonds destinés à la construction du chemin de fer par les chinois (les coolies venant remplacer les noirs après l'abolition de l'esclavage).
À l'époque où la vie d'un homme valait dans les 200 dollars.
Oui, toute l'imagerie des westerns qui ont illuminé notre enfance est bien rassemblée ici.
On y retrouve même un jeune adolescent, les yeux émerveillés devant ses hommes qui tirent plus vite que leur ombre ... cet ado c'est nous au temps où ces westerns envahissaient les grilles de l 'ORTF.
Mais les images sont devenues âpres et réalistes, filmées comme en 2008 : gros plans sur les cow-boys, leurs vaches, leurs chevaux, leurs pétoires et les roues des diligences.
Et ce film enthousiasme aussi les yeux neufs, en témoigne notre teenageuse maison qui n'a jamais connu que TF1.
Russel Crowe campe (et fort bien) le méchant qui convoite le contenu des diligences, Christian Bale incarne un éclopé, rescapé de la Guerre de Sécession, qui pour sauver son ranch et sa famille de la sècheresse et des spéculateurs (la voie ferré arrive !) accepte, pour 200 dollars, d'escorter le méchant jusqu'au train de 3h10 qui l'emmènera jusqu'à la cour fédérale de Yuma pour y être jugé et pendu.
Mais les complices du méchant rodent et n'ont pas dit leur dernier mot, prêts à acheter tous les habitants du coin pour retrouver leur chef.
Comme tout bon western, celui-ci se termine dans les rues d'une bourgade de l'Ouest, les méchants embusqués sur les toits. Le gentil et son prisonnier devront traverser le village pour gagner la gare où arrivera en sifflant le train de 3h10 pour Yuma. Trop fort !
Au-delà de cette excellente reprise d'anthologie, le film a le mérite de brosser le portraits de plusieurs personnages ambigus :
- Henri Fonda méconnaissable en détective Pinkerton vieillissant qui a sans doute tué au moins autant que le méchant
- Ben Foster, l'acolyte du méchant, chargé des basses œuvres qu'il magnifie par sa cruauté perverse et qui semble entretenir une trouble relation avec son chef
- Christian Bale, faible, éclopé, incapable aux yeux de sa femme et de ses fils de sauver le ranch familial
- et bien sûr Russel Crowe, séducteur sans foi ni loi, capable du meilleur comme du pire.
Tout au long du film se tissent les liens qui uniront l'intègre Christian Bale et le noble bandit Russel Crowe, et toute cette complexité permet une fin éblouissante, riche d'interprétations.


Pour celles et ceux qui aiment les cow-boys ou les trains.

Bouquin : À coups redoublés

L’assommoir.

Kenneth Cook nous retourne la tête en bas, chez nos voisins des antipodes, en Australie, le pays «down under» comme on dit là-bas.
Avec son troisième roman traduit en français, À coups redoublés, plutôt que tête en bas, c'est plutôt tête en vrac.
Tout se joue dans un pub-resto-pub-hôtel-pub-bordel-pub de la lointaine banlieue de Sydney entre quelques personnages : Mick le tenancier obèse du pub-resto-pub-... qui frelate discrètement ses doses de whisky aux côtés de sa grosse femme et de son gros chat, Peter un jeune gringalet qui espère bien séduire ce soir une jeune fille facile avec sa chemise et sa moto et John qui travaille du merlin à l'abattoir avant de venir se soûler au pub-resto-pub-... de Mick.
Chaque chapitre de ce petit bouquin (à peine plus de 100 pages) s'ouvre sur les minutes d'un procès. Car procès il y aura. Puisque victime il y aura.
Et chaque chapitre nous replonge dans ce qui s'est passé ce soir-là.
Pour décrire la beuverie du samedi soir quand tout le monde vient au pub-resto-pub-... de Mick écluser bières sur bières et autres alcools. Draguer et baisouiller. Castagner un peu aussi.
Sauf que ce soir-là, ça a mal tourné.
Ça ne pouvait que mal tourner. On le comprend dès les premières pages du bouquin. Quand Mick empoigne sa batte de base-ball dès qu'un client s'échauffe un peu. Quand John rentre de l'abattoir déjà ivre du plaisir qu'il a pris à assommer ses bœufs au merlin. Chronique annoncée d'une bagarre qui va mal finir.
Mais il faudra attendre la toute dernière page pour savoir qui a pris le coup fatal et ce bouquin pourrait bien figurer au rayon polars.
Sauf qu'il s'agit d'une étude de mœurs. L'étude sans concession de la profonde noirceur des mœurs des compatriotes de Kenneth Cook qui nous plonge la tête en bas dans un abime de bêtise, dans un gouffre de beaufitude.
L'immensité des territoires australiens et l'immensité du vide des vies de ces gens-là semblent propices à l'épanouissement de l'immensité de la bêtise la plus crasse. C'est noir et c'est froid.
Précisément, ce froid c'est aussi celui de l'écriture de K. Cook qui nous raconte tout cela du ton détaché de l'entomologiste qui vous montre la mouche qui tourne en rond dans son bocal jusqu'à se péter la figure sur le verre (de bière). Plus aucune humanité dans les personnages (tout est parti dans les chiottes en pissant la bière) mais plus d'humanité non plus dans l'écriture.

[...] Comme deux chiens qui s'entretuent pour établir leur suprématie, puis, une fois le vainqueur désigné, réalisent qu'ils n'ont plus besoin de se battre. Le chien dominant garderait toujours un air de supériorité envers le vaincu et resterait mal disposé à son égard, allant même jusqu'à lui montrer les dents à l'occasion, mais ils ne se battraient plus et cette certitude provoquait un certain réconfort chez les deux bêtes.

C'est noir, c'est froid et c'est terriblement désabusé.
Ce manque d'humanité résonne de façon glaciale dans l'immensité australienne.
Paradoxalement, l'écriture déshumanisée nous éloigne un peu plus de ces personnages lointains. Et ça nous touche moins.
Reste un pamphlet à distribuer gratuitement dans les débits de boisson ...


Pour celles et ceux qui aiment le noir et la bière.
Pitou en parle très bien, Cathe aussi.

Cinoche : Le nouveau protocole

La constance du forestier.

Le film de Thomas Vincent, Le nouveau protocole, prend le relais de La constance du jardinier, le bouquin de Fernando Meirelles et ça démarre très fort : en Afrique sub-saharienne (officiellement au Soudan même si les images sont tournées au Burkina-Faso), une équipe de blouses blanches teste de nouveaux médicaments sur les populations locales sous couvert de campagnes de vaccination.
Au même moment un forestier des Vosges apprend que son fils vient de se tuer dans un accident de voiture difficilement explicable, sauf qu'il servait de cobaye dans un protocole de test de nouveaux médicaments.
Le ton est donné et Clovis Cornillac, pit-bull rageur et entêté, descend de sa forêt pour s'attaquer aux grands trusts pharmaceutiques.
D'autant qu'il rencontre au passage une altermondialiste parano qui va l'aiguillonner dans sa quête de la vérité.
Si la sombre première partie du film est plutôt bien vue (avec un Cornillac éperdu de douleur à la perte de son fils), la suite plus rocambolesque est moins convaincante et manque un peu de rythme scénaristique même si les courses-poursuites entre gentils et méchants vont bon train.
Mais la vérité se révèlera plus ambigüe comme la fin du film, aux allures de Free World (façon retour à la case départ), qui nous remet à notre place de simple spectateur des turpitudes du monde libre : les vraies campagnes de fausse vaccination cesseront au Soudan.
Au Soudan, oui ...


Pour celles et ceux qui aiment faire passer la pilule.

Bouquin : Yoko Ogawa

AmazonAmazon On avait déjà eu l'occasion de parler de la japonaise Yoko Ogawa, avec L'annulaire et plus récemment avec La petite pièce hexagonale.
Revoici la reine de l'étrange avec deux recueils de nouvelles parus simultanément l'an passé : La bénédiction inattendue et Les paupières.
Les nouvelles des paupières mettent en scène des rencontres : un passager dans un avion, une vieille femme qui vend des légumes, un vieux célibataire et une écolière, ou encore une collectionneuse d'odeurs.
Les nouvelles de la bénédiction ont pour thème récurrent l'écriture, et Yoko Ogawa s'y met elle-même en scène : l'une des nouvelles raconte comment l'inspiration lui est venue pour écrire une nouvelle de l'autre recueil et ainsi la boucle est bouclée.
Ces deux recueils qui se reflètent l'un dans l'autre sont tous deux excellents et l'auteure y maîtrise parfaitement l'art de l'étrange, du bizarre, de l'insolite. La moindre des situations banales et quotidiennes prend très vite sous sa plume des allures inquiétantes, sans que l'on sache trop où cela va nous mener.
[...] - Il y a quelqu'un qui nous épie. 
- Ce n'est pas grave, disait-il, comme s'il le savait depuis longtemps. C'est le hamster. C'est lui qui nous observe. Il a fallu lui enlever les paupières à cause d'une maladie des yeux, et il ne peut plus les fermer. 
Et ses doigts arrivèrent à mes yeux. Ils se promenèrent à loisir sur mes paupières.
Comme si Yoko Ogawa avait l'art et la manière de déceler dans notre quotidien les fissures, les failles entre notre monde et un autre qui se déploie juste à côté, sous les yeux de ceux qui savent regarder, un monde parallèle.
Pendant un moment, le temps d'une petite nouvelle, on oscille ainsi entre deux univers, sans jamais basculer de l'autre côté, mais sans jamais revenir tout à fait intact de notre côté.
Si vous avez déjà la chance de connaître Yoko Ogawa ne manquez pas ces deux recueils.
Sinon, ne ratez pas l'occasion de découvrir à travers ses deux meilleurs bouquins une figure incontournable de la littérature japonaise contemporaine.
Malgré les évidents jeux de miroirs entre les nouvelles de l'un et l'autre, ces deux livres peuvent bien sûr être lus indépendamment l'un de l'autre.

Pour celles et ceux qui aiment jeter un oeil de l'autre côté du miroir comme Alice. 
Cuné a lu La bénédiction.

Miousik : Cocoon

À écouter avec un verre à soi.

C'est sur le blog de MC que nous avons découvert Cocoon.
Avec un nom pareil ils ne pouvaient pas nous échapper :
Mark Daumail et Morgane Imbeaud, deux petits frenchy qui chantent en angliche.
Deux voix en parfait accord qui tissent une pop/folk sucrée et légère, idéale pour se cocooner les oreilles.
À la première écoute on avait craqué pour le swing qui balance de :
Vultures
mais à la longue, le superbe
Microwave
nous a scotchés.
Dont les très belles paroles sont ici.

You said you would be out for a while
But now it's been a year
You should be back home
Micro-waving meals-for-one
The more that I sleep
The more I get tired
It's time to wake up
I owe it all to you


Pour celles et ceux qui aiment se cocooner les oreilles.
Philippe en parle aussi. Ce site également.

BD : Le complexe du chimpanzé

La tête dans les étoiles.

Voici une nouvelle BD annoncée en 3 volumes, dont 2 sont parus : Le complexe du chimpanzé, avec Marazano à la plume (Genetiks, Zéro absolu, ...) et Ponzio au pinceau (Genetiks, ...).
On aime (beaucoup) le dessin quasi photographique de Ponzio, qui rappelle celui de Christophe Bec (qui d'ailleurs était déjà le dessinateur de Marazano dans Zéro absolu) dont on avait déjà parlé avec Sanctuaire. On est donc en terrain connu.
Le scénario de Marazano nous plonge dans un avenir très proche (en 2035), avec juste ce qu'il faut d'anticipation pour rendre crédible le projet de la Nasa d'aller poser le pied sur Mars.
Alors que le Congrès vient de couper les budgets, une mystérieuse capsule amerrit dans l'océan avec à son bord ... Neil Armstrong et Edwin Aldrin ! Apollo 11 est de retour ... à nouveau ?!
Que s'est-il passé en 1969 ? Que faisaient les Russes à cette époque ? Qui sont ces étranges « ersatz » qui reviennent sur Terre 65 ans après ? Le mystère ira en s'épaississant au fil de ces deux premiers tomes et permet de revisiter l'histoire de la conquête spatiale.

[...] Le complexe du chimpanzé, un phénomène qui a été observé pour la première fois chez les chimpanzés ayant servi de cobayes pour des vols spatiaux. Les chimpanzés sont suffisamment intelligents pour comprendre qu'ils sont les sujets d'une expérience qu'ils ne maîtrisent pas ... le stress causé par cette dichotomie entre capacité de comprendre la situation et incapacité à la gérer peut vraiment vous faire péter les plombs.

Sauf que cette fois, les chimpanzés, c'est nous ... !
L'héroïne de cette BD est une astronaute de la Nasa qui a la tête dans les étoiles et donc justement, une seule idée en tête : être la première à poser le pied sur Mars. Quitte à entretenir une relation conflictuelle avec sa fille laissée à elle-même en Floride. Ce qui nous vaut une belle alternance de planches entre l'espace (voir un exemple ici) et le bord de mer (un exemple ici).
Une belle histoire pour tous ceux qui comme moi, le 20 juillet 69, avaient le nez en l'air.
Qu'on nous permette de reprendre aussi cette belle phrase du russe Tsiolkovski, le père de l'astronautique, cité en exergue du second album :

[...] La Terre est le berceau de l'humanité.
Mais passe-t-on sa vie entière dans un berceau ?



Pour celles et ceux qui auraient aimé faire un petit pas avec Neil Armstrong.

Bouquin : Les demeurées

La lecture des mots.

Mais pourquoi donc les auteurs modernes français s'obstinent-ils à Goncourir pour la prose la plus tarabiscotée ?
Voilà donc Jeanne Bénameur sur le podium aux côtés de Philippe Claudel, Tanguy Viel, Muriel Barbery et quelques autres.
[...] Elle dresse les yeux comme un chien sans flair tente vainement de suivre une trace. Quelque chose disparaît. La lumière a manqué. Une fois encore, la mère et la fille ont failli à la lueur dernière. Une fois encore, la petite se sent de trop dans la poussière, devant la porte. Rien n'ira plus bas que la terre.
Soyons indulgents, cette fois, Jeanne Bénameur aurait un alibi : son phrasé alambiqué désarçonne mais c'est (peut-être) pour mieux nous faire pénétrer dans l'esprit tordu de deux «abruties», deux idiots du village comme on dit.
Deux idiotes en l'occurrence : la mère et la fille, Les demeurées.
Et puis fort heureusement, au bout de quelques pages (l'opuscules n'en compte que 80), ça se calme un peu, à moins que l'on s'habitue.
Et la prose savante s'efface un peu pour laisser place à l'histoire. À l'humanité.
Car c'est une histoire poignante, comme on dit.
L'histoire d'une gamine accrochée à sa mère et d'une mère cramponnée à sa fille, car ces deux-là n'ont qu'elles deux pour survivre.
L'histoire d'une gamine que l'institutrice du village, Mademoiselle Solange, se met en tête d'amener à la lecture (Jeanne Benameur a été prof).
Et c'est là que ça se complique.

[...] Dès que les paroles claires de Mademoiselle Solange menacent de pénétrer à l'intérieur d'elle, là où toute chose pourrait se comprendre, elle fuit. D'une enjambée muette, elle se niche où le plâtre du mur se délite, au coin de la grande carte de géographie, près du bureau. Entre les grains usés, presque une poussière, elle a sa place. Elle fait mur. Aucun savoir n'entrera. L'école ne l'aura pas. Elle demeure. Abrutie comme sa mère.

Et sur le chemin de la maison, l'enfant récalcitrante recrache littéralement ses leçons, tous les mots appris de l'instit, pour être sûre qu'ils quittent sa tête.
Car la petite sait bien que ces mots risqueraient de l'arracher à sa mère. Et les deux demeurées veulent demeurer ensemble.
Qui de l'enfant têtue ou de l'institutrice obstinée aura gain de cause ?
On ne vous le dira pas bien sûr, d'autant que la réponse n'est pas si simple et que ce petit bouquin recèle quelques surprises.
On tient là une très belle histoire, un joli conte de Noël, s'il n'était pas si triste, si dur parfois.
Et surtout une très belle histoire de « mots », avec de quoi ravir tous les amoureux des livres et de la lecture.


Pour celles et ceux qui aiment les mots et la lecture.
Sylvie et Calou en parlent.

Bouquin : Ainsi mentent les hommes

Ce qu’on appelle broder une histoire.

On avait été enthousiasmé, esbrouffé, estomaqué par la puissance d'un petit texte de Katherine Kressmann Taylor : Inconnu à cette adresse, entendu au théâtre puis lu sur papier.
Alors bien sûr on a voulu rempiler avec cette dame à la belle écriture.
Ainsi rêvent les femmes et Ainsi mentent les hommes sont deux recueils de nouvelles.
On a choisi la version au masculin : Ainsi mentent les hommes.
Ainsi «se» mentent les hommes ou les femmes, ce pourrait être le titre de ces quatre nouvelles : Humiliation, Remords, Mélancolie et Solitude, le ton est donné.
Une écriture à l'ancienne (ça date de 1953), à l'anglo-saxonne (la dame est américaine), au charme un peu désuet mais qui cache une terrible violence.
Celle faite aux êtres : la tyrannie d'un père, le sadisme d'un prof, l'étouffement d'une famille, le désespoir de l'âge, ...
Et sous l'apparence anodine de quelques dialogues châtiés, la mort nous frôle à chaque page.
Alors on se réfugie dans le mensonge, seule échappatoire possible.
On est quand même resté un peu sur notre faim, mais il faut avouer qu'il est bien difficile de soutenir la comparaison après l'exceptionnelle correspondance d'Inconnu à cette adresse.
La dernière nouvelle (Solitude) mérite quand même le détour : une vieille dame dans le besoin, son vieux mari est malade, vient faire des ménages chez un couple bourgeois.
La vieille dame se raconte à la maîtresse de maison.
La vieille dame se raconte des histoires sur un passé meilleur.

[...] « Cette année-là, à Aix, nous avons vu Cézanne plusieurs fois. Il paraissait si vieux. Je suis sûre qu'il ne se doutait pas qu'il allait mourir si peu de temps après. Il m'a montré des choses tellement merveilleuses sur les couleurs, et sur les formes aussi. Je peignais, en ce temps-là, voyez-vous. »

Ainsi mentent les hommes pour échapper à leur misérable condition.
Mais est-ce aussi simple que cela ? Non, bien sûr ...


Pour celles et ceux qui aiment les mots et les broderies.
InColdBlog et BiblioBlog en parlent, d'autres avis sur Critiques Libres.

Miousik : Kat Onoma

Comme son nom l’indique.

Comme son nom ne l'indique pas, Kat Onoma c'est pas du folklore africain ramené par MAM de son voyage au Bénin, non, c'est du rock français.
De Strasbourg. Du rock français intello qui date plutôt d'hier (les années 80) que d'aujourd'hui.
Leur nom, c'est du grec (ça vous pose un groupe ça) et ça veut dire « comme son nom l'indique ». Oui, c'est exactement ce que je voulais dire.
La voix grave et profonde de Rodolphe Burger, aux accents de Lou Reed, chante parfois du Shakespeare ou du Beckett, rien que ça. Enfin, « chanter » n'est pas tout à fait le mot - « parler », serait plus juste.
Le contraste entre une musique chaleureuse et une diction étrangement distanciée.
C'est pas qu'on est trop fan de tout ça, mais une des chansons nous a bien plu : ça s'appelle Balade mexicaine,  et ça se laisse écouter bien calé au fond du fauteuil, un rien gris, un rien parti. Comme du Lou Reed quoi !


Pour celles et ceux qui aiment la voix du mâle.
RFI en parle.

Bouquin : Le mystère des cinq stupas

Tintin au Tibet.

Enfin non, pas Tintin au Tibet mais plutôt La copine de Tintin au Tibet.
Puisque ce petit polar met en scène une détective amatrice, une jeune étudiante. Ça me rappelle la Bibliothèque verte (tiens, même couleur) et la série des Alice, détective !
La comparaison s'arrête là, car c'est le Tibet d'aujourd'hui, envahi par les chinois et convoité par les indiens.
On retrouve donc les éditions Kailash dont on avait déjà parlé ici même avec un chinois : Petit marché, double bonheur.
Une édition toujours aussi cheap, avec mauvaise reliure, mauvais papier et fautes de frappe (pour ne pas dire d'ortograf). Mais bon, à force, ça fait couleur locale.
Cette fois avec Le mystère des cinq stupas, la collection Mystère et boule d'opium (j'invente rien) nous emmène sur le versant indien du Tibet, sous la plume d'un ... alsacien, Bernard Grandjean.
Nous voici au pied des sommets de l'Himalaya, près du monastère de Tashi Chöling, non loin de Dorje Ling (Darjeeling) et de Mysore (le pays du yoga de MAM : le ashtanga yoga), dans l'état du Sikkim coincé entre le Bouthan et le Népal, entre la Chine et l'Inde.
Là où le thé au beurre de yak ne faillit pas à sa réputation :

[...] À cet instant un moinillon portant une énorme théière de cuivre entra dans la pièce et aussitôt l'entêtante odeur de moisi qui y régnait fit place au puissant parfum du thé salé. Betty chercha du regard le trou du plancher qui lui permettrait de vider discrètement sa tasse, car malgré son année entière d'apprentissage, elle n'avait jamais pu se faire à la boisson nationale des Tibétains. À défaut de trou, elle repéra près de la fenêtre un pot de géraniums qui pourrait faire l'affaire.

Mais derrière l'exotisme de pacotille pour jeune étudiante occidentale en vacances, se cachent des drames bien plus sérieux.
Même si l'on doit prendre un peu de distance avec l'obscurantisme des moines tibétains (comme d'ailleurs de tous les moines en général), force est de constater que le Tibet est un pays où les parents sont prêts à exiler eux-mêmes leurs propres enfants pour qu'ils échappent aux écoles chinoises et puissent préserver, à l'étranger, leur culture.

[...] Tout le monde, y compris l'opinion internationale, sait que de nombreuses familles tibétaines font passer leurs enfants en Inde et au Népal, afin qu'ils échappent à la sinisation et soient instruits dans la langue et la tradition de ce qui fut leur patrie. Invoquer des trafics de main d'œuvre était un prétexte bien dérisoire pour justifier la reconduite à la frontière, et ainsi ne pas indisposer le gouvernement chinois ...

Trafic d'enfants et tension indo-chinoise à la frontière (et quelle frontière ! à plus de 6.000 mètres !) servent de toile de fond à cette petite enquête. Un voyage intéressant au pays des stûpas (ou chortens ou encore mchod-rten).
Une prolongation amusante du Cercle du karma, lu récemment.


Au passage, un peu de réclame pour le site d'une amie (Marie) qui organise un soutien aux populations du Tibet au travers d'une association Lab Dra Khampa.
En Tibétain, Lab Dra signifie "école" et Khampa sont les habitants de la région du Kham.


Pour celles et ceux qui aiment les voyages par les livres.

Miousik : Dev Hynes

De la pop qui fait pop pop pop !

L'article de Télérama nous avait mis l'eau à la bouche.
Nous voici donc embarqués aux côtés de Lightspeed Champion, emmené par Devonte Hynes, ancien guitariste de Test-Icicles pour un album de pop mâtiné de folk.
C'est beaucoup plus sage que Test Icicles (heureusement !) et l'on compare souvent Dev Hynes à Elvis Costello.
Il y a des comparaisons moins flatteuses !
Un album riche (au point qu'il y a parfois plusieurs chansons dans un seul morceau !), enjolivé comme un sapin de Noël, brillant et clinquant.
Ça peut surprendre et dérouter à la première écoute mais quelques pièces valent quand même le détour.
À essayer pour changer de nos gentilles balades habituelles :
- Everyone I Know Is Listening To Crunk

- et surtout : Galaxy of the lost


Le Monde en parle aussi.

Bouquin : Tu es une rivière

Un long fleuve tranquille.

Avec Triste vie, on vient de parler de Chi Li, auteure connue pour être une figure de proue du néo-réalisme chinois ...
Revoici dame Chi Li avec Tu es une rivière.
Et c'est pas plus gai que Triste vie, l'auteure ne renie pas son étiquette : Lala se retrouve veuve à trente ans, affligée de 7 gamins et c'est la dure et sordide vie de cette famille de la Chine profonde qui nous est contée ici, du début des années 60 à la fin des années 80.
En chinois, l'idéogramme qui signifie population représentait (avant la simplification de l'écriture) ... une bouche à nourrir !
La prose de Chi Li est toujours aussi simple, claire et fluide (les 200 pages défilent presque aussi vite que le minuscule Triste vie).
Elle convoque d'un ton très égal les menus soucis et les grand drames, les brosses à dents et les puces ou les poux, les amours folles et les morts cruelles. Bref, la vie, toute la vie et rien qu'elle.

[...] - Est-ce que l'eau courante a été installée au bout  de la ruelle ? 
Yanchun se précipita, d'un air docte, pour répondre par l'affirmative. On avait déjà commencé à vendre l'eau. C'est la femme de Sun Guai qui était chargée de surveiller le robinet, et elle percevait deux fen pour deux seaux d'eau. À la maison, ils avaient deux seaux moyens - plus grands que les petits mais plus petits que les grands -, si bien qu'ils payaient moitié prix, ce qui était avantageux.
Comme dans l'opuscule précédent, on retrouve ici aussi les enfants au centre du roman (et il y en a !). Ils ne sont pas qu'un décor et les relations parents/enfants sont décortiquées sous le scalpel de Chi Li, et c'est plutôt rude.
[...] Quand Wang Xianlang voulut lui répondre, il demanda à Lala si elle avait quelque chose à transmettre à sa fille : 
- Oui, dit-elle : Dong'er, tu as vraiment le coeur trop dur; j'ai peut-être des torts envers toi, mais ça n'empêche, je t'ai portée pendant neuf mois, et c'est moi qui t'ai torché les fesses ! 
Wang Xianlang ne fit pas la commission.
Dans cette intéressante histoire de la famille de Lala, c'est aussi plus de trente ans de l'histoire contemporaine chinoise qui défilent avec les années de la Révolution Culturelle et la ruralisation forcée, tous ces événements qui n'en finissent pas de hanter la littérature chinoise.
Des événements sur lesquels Chi Li porte un regard presque nostalgique, comme d'ailleurs on avait déjà pu le relever dans Triste vie.
[...] Quelque soit la façon dont, plus tard, l'histoire raconterait ce vaste mouvement d'exode des jeunes instruits, Dong'er ne le renierait jamais.
Des événements vus par le petit bout de la lorgnette, depuis une petite ville de province que vient chatouiller l'écume de l'Histoire. Une écume qui témoigne ainsi de la puissance de ces vagues de fond qui ébranlèrent ce pays gigantesque et son milliard d'habitants.
L'écriture facile et rapide de Chi Li accentue le mouvement : le torrent de la vie emporte tout sur son passage, certains se retrouveront abandonnés sur la rive, d'autres finiront noyés ou brisés sur les rochers, mais le flot tumultueux poursuit inexorablement son chemin, emportant avec lui ceux qui auront survécu (ouah ! il est inspiré le BMR ce soir !).
La rivière de la vie c'est aussi l'histoire récente de la Chine : un pays démesuré et son innombrable peuple qui auront dévalé en moins de trente ans la route chaotique que nous avons mis plus d'un siècle à parcourir.
Comme celle de la vie, cette rivière-là n'aura pas été un long fleuve tranquille.
Triste vie prolonge ce flot en décrivant « la suite », les années 80/90, l'industrialisation et la modernité.
Pour celles et ceux qui aiment savoir qu'ailleurs l'herbe n'est pas plus verte. 
D'autres avis sur Critiques Libres.

Cinoche : There will be blood


La ruée vers l’or.

Dans l'Ouest américain, dans les années 1910-1920, la ruée vers l'or a fait place à la ruée vers l'or noir.
Les prospecteurs ont conservé leurs pioches et leurs pelles et ont continué de creuser cette terre sauvage pour en extraire le pétrole.
Le film s'ouvre sur des scènes terribles de cette dure condition des mineurs. Dès les premières images, le ton est donné et on est scotché sur son siège et on le restera jusqu'aux dernières images, dans un autre registre, mais tout aussi fortes.
La bande son, due au guitariste de RadioHead, y est aussi pour quelque chose qui souligne dramatiquement chaque scène et fait croître la tension.
Dans un far-west désolé et désertique, où l'on survit avec quelques chèvres, on peut se retrouver du jour au lendemain assis sur un tas d'or noir.
Superbe reconstitution de cette course au trésor qui met en scène ces nouveaux cow-boys en train de faire naître notre époque.
Daniel Day-Lewis campe magistralement l'un de ces prospecteurs, un entrepreneur, prêt à tout pour exproprier quelques paysans enfermés dans leur religion, forer ses puits et faire jaillir le sang noir de la terre.
C'est presqu'une naissance, une délivrance, celle de l'Homme englué dans la boue, les pieds qui pataugent, qui s'enfonce dans le sol pour exploiter cette richesse et pouvoir ainsi s'élever au-dessus de sa condition.
Mais la terre ne se laisse pas facilement forer et chaque puits aura son prix en vies humaines. Ce qui nous vaut quelques images d'une rare violence.
There will be blood, oui : le sang va couler, celui des hommes comme celui, noir, de la terre.
Mais plus que la violence, c'est une dureté, une extrême dureté, intense, physique, qui émane de ce film et de la vie de ces hommes de l'Ouest.
Après cette première partie sauvage, la seconde moitié du film se concentre sur le duel entre deux personnalités. Un drame quasi théâtral, même si la scène de théâtre est vaste comme peut l'être le far-west.
Daniel Day-Lewis incarne donc l'un de ces entrepreneurs, l'un de ces pétroliers (oil men en VO), obnubilés par les pétro-dollars.
Un misanthrope halluciné dont l'obsession est d'écraser ses concurrents, de faire place nette autour de lui,  d'écarter toute humanité (jusqu'à son fils, son frère, ...), de se réfugier dans la solitude.
Face à lui, un autre illuminé, un prédicateur de l'Église de la Troisième Révélation, en la personne de Paul Dano (le frère mutique de Little Miss Sunshine). Tout aussi convaincant dans le rôle trouble d'un quasi-exorciste, un visage d'ange qui cache d'autres démons.
Tous deux bâtissent : l'un son derrick, l'autre son église. Tous deux sont faits de bois.
Tous deux sont faits du même bois et sont hantés par les mêmes folies tandis que leurs visages se masquent sous les noires couleurs du pétrole.
L'espace Californien est grand, mais il ne l'est pas assez pour ces deux-là.
Paranos et mégalos, ils finiront pas sombrer tous les deux : Daniel Day-Lewis dans l'alcool et la misanthropie, Paul Dano dans le pêché de la chair.
Et, c'était annoncé, le film se terminera dans le sang. Noir encore, mais celui d'un homme cette fois.
L'argent, le pétrole et le fanatisme : toute une époque en train de naître. La nôtre.
Un film « impressionnant ».



Pour celles et ceux qui aiment voir couler le ... pétrole.
D'autres avis sur Critico-Blog.

Bouquin : La part du mort

On aime voyager en classe polar.
Après l'Afrique du Sud avec Mankell, Hong-Kong avec Burdett, l'Irlande avec Bruen, les réserves Navajos US avec Hillerman, la Chine avec Fan Tong, Tokyo avec Hara Ryo, la Finlande avec Ekman, on n'arrête pas !

Cette fois, nous voici partis ... en Algérie avec Yasmina Khadra et La part du mort.
Un ancien militaire algérien, Mohammed Moulessehoul, se cache derrière ce pseudo.
L'islam attise les curiosités et cet écrivain prolixe, très à la mode, surfe sur le succès.
Sa prose s'en ressent qui donne dans les effets de style savamment orchestrés, qui nous agacent passablement comme chez Barbery, Claudel, et d'autres encore, si prisés aujourd'hui.
Du Fred Vargas puissance dix où la moindre phrase est prétexte à un exercice de style et de vocabulaire.

[...] En quelques minutes, de gros nuages arrivent sur la ville, le derrière botté par des coups de vent.

La première partie de son polar s'en ressent : on traîne un peu les pieds derrière le commissaire Brahim Llob dans une Alger désœuvrée, en proie aux magouilles en tous genres entre les pattes velues des politiciens affairistes.
Le commissaire Llob est une grande gueule intègre, le seul flic honnête de cette ville gangrénée de corruption, et visiblement Yasmina Khadra veut en découdre avec les profiteurs et les prévaricateurs.
Mais comme lui, on ne croit pas vraiment à cette histoire de serial killer qui ne tue personne, ni à celle de cet autre lieutenant de police, un gigolo qui ne trompe personne, et certainement pas sa call-girl de luxe.
Et puis tout d'un coup, à mi-parcours, au détour d'un chapitre, le bouquin décolle.
C'est parti et on ne le lâchera plus jusqu'à la fin.
On croit vite tout comprendre mais on se laisse mener par le bout du nez jusqu'à l'utime dénouement, pressé de découvrir qui tirait les ficelles derrière le manipulateur qui agissait dans le dos de celui qui en coulisse ...
Yasmina Khadra, ou plutôt Mohammed Moulessehoul, fouille là où ça fait mal dans le passé de son pays et de ses compatriotes.
Un passé que l'on partage aussi, puisqu'il est donc question, je cite :  de la guerre de libération et de la révolution qui a permis de se débarrasser de l'ennemi impérialiste (toujours salutaire de voir l'Histoire écrite de l'autre côté de la barrière !).
Mais tout n'était pas rose, enfin vert et blanc, même dans le camp algérien et la libération de 1962 ressemble fort à beaucoup d'autres, celle de 1945 par exemple, quand certains se découvrent soudain le besoin de se refaire une virginité politique et une bonne réputation idéologique à moindres frais ...

[...] - Je ne vous cache pas que le sujet me gêne. Personnellement, je n'ai pas grand-chose sur la conscience. J'ai fait la guerre d'un bout à l'autre, sans excès et sans tricher. J'ai assisté à des choses horribles, aussi. Mais je ne tiens pas à retourner le couteau dans la plaie, monsieur Llob. Les gens d'ici en portent des séquelles irréversibles. De nos jours, il arrive que les échos de ces évènements dramatiques réveillent certaines rancunes et , parfois, le sang coule de nouveau.

Car c'est bien de ça dont il s'agit : les drames et les crimes d'aujourd'hui ne sont que l'écho des évènements pas si lointains qui ont marqué l'affranchissement de l'Algérie. Les héros ont vieilli et se sont compromis, les enfants ont grandi et aspirent à un monde meilleur.
Le passé si terrible évoqué ici ne date que de 1962 et Yasmina Khadra situe son bouquin en 1988 ... juste avant la montée de l'intégrisme islamique et la quasi-guerre civile qui ensanglantera de nouveau le pays.

Ah, j'allais oublier ! Et pour une fois, qu'on nous pardonne un tel excès de langage sur ce blog policé au discours habituellement châtié. Je ne peux résister à l'envie de citer crûment Yasmina Khadra (qui se donne parfois des airs de San Antonio) lorsqu'il met en scène Mohand, un libraire passionné de bouquinerie ...

[...] Avec lui aucune chance de s'amuser. Pour rien au monde je ne voudrais échouer sur une île déserte avec lui. Incapable de se mettre au lit sans un texte contre la figure, les mauvaises langues racontent que lorsque Mohand porte la main sur la foufoune à Monique, c'est juste pour y tremper le doigt afin de tourner les pages de son bouquin.

N'est-elle pas ainsi délicieuse, ami(e)s des livres ?


Pour celles et ceux qui aiment traverser la Méditerranée.
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