Cinoche : Une séparation

Téhéran (bis).

Il y a un peu moins de deux ans, le public français découvrait le cinéaste iranien Asghar Farhadi avec À propos d'Elly. Aujourd'hui tout le monde se précipite(1) vers Une séparation. Avec raison.
Cette séparation raconte plusieurs histoires, qu'on peut lire, comme toujours chez Farahdi, à plusieurs niveaux. L'une des histoires est une histoire de famille : la séparation d'un couple avec une jeune adolescente au milieu.
Asghar Farhadi est un cinéaste de tout premier ordre, un grand pro de la direction d'acteurs (il est originaire du monde du théâtre).
Il ne lui faut que quelques plans pour qu'on se sente entièrement à leurs côtés, complètement immergé dans cette famille, adoptant le point de vue de l'un puis de l'autre.
Pour Elly, notre billet disait : il faut moins de deux minutes à Asghar Farhadi pour que l'on fasse partie de la bande.
L'un des grands mérites des films de Farhadi est de nous faire découvrir un peuple iranien(2) très très loin des clichés véhiculés par les médias et les journalistes. Des gens comme nous(3). Bon, disons comme nous il y a quelques années.
Notre billet sur Elly disait : on oublie complètement que l'on est en Iran, tant ce groupe d'amis à l'ambiance bon enfant pourrait être au bord du Pacifique en Californie ou ailleurs encore.
Avec cette séparation, on pourrait se croire au cœur du cinéma social italien des années 70/80.
Un couple se sépare donc, elle (superbe Leila Hatami !) veut quitter le pays et partir à l'étranger.
Lui ne veut pas. Leur fille (très juste Sarina Farhadi), toute jeune adolescente, se retrouve écartelée au milieu, tout à la fois enjeu, trait d'union, témoin ou ancrage. C'est aussi à travers son regard que l'on voit souvent ce qui se passe.
Le père s'occupe du grand-père, atteint d'Alzheimer et à demi grabataire. Il engage une jeune femme pour s'occuper de lui. Elle vient des quartiers pauvres au sud de Téhéran et fait plusieurs heures de trajet chaque jour pour venir travailler chez ces gens plus aisés (classe moyenne comme on dit : elle est prof d'anglais, il travaille dans une banque).
La jeune femme est très pieuse. Elle leur cache qu'elle est enceinte et qu'elle travaille en cachette de son époux pour essayer de sortir son mari de la panade. Une dispute, un accident, la jeune femme tombe dans l'escalier et perd son enfant. Le drame est noué. Le couple démuni porte plainte et tente d'obtenir réparation.
Personne ne sortira indemne de cette tourmente. Le rouleau compresseur de la vie est en marche, suivi de près par celui de la 'justice'.
Bien sûr on peut lire le film de Farhadi comme l'opposition de deux couples situés sur deux barreaux bien éloignés de l'échelle sociale : il est beau parleur, ils ont des amis, professeurs, médecins, la belle-famille peut payer la caution, ...
Le couple démuni n'a que le Coran pour toute aide ou protection.
C'est aussi le devenir des enfants iraniens : l'adolescente du couple aisé bien sûr mais aussi la petite fille de l'aide-ménagère qui l'accompagnait dans les transports jusqu'au travail. Leurs regards se croisent tout au long du film, parfois proches mais souvent aussi éloignées que leurs parents. L'avenir de la jeune Sarina Farhadi est au cœur du film, du début à la (très belle) fin.
C'est aussi un film sur les mensonges, professés en toute bonne foi, imaginés pour arranger les choses, ils emportent les acteurs chaque fois un peu plus bas sur la mauvaise pente. On ne peut guère vous en dire plus sur ce plan sous peine de trop en dévoiler, mais chaque mari(s), épouse(s), cache, tait, ment, ... croyant bien faire. Même les enfants finiront par perdre leur innocence.
La séparation des couples, des générations, des milieux sociaux, ... Les portes, mêmes vitrées, occupent une place importante dans ce film.
Le credo d'Asghar Farhadi est de laisser le spectateur faire son propre film à partir des images qu'il nous livre. Le pari est de nouveau réussi et malgré la multiplicité de ces histoires ou niveaux de lecture, le film, très maîtrisé, est d'une belle unité.
Un film stressant : une forte tension imprègne l'histoire, les dialogues sont à cran, la caméra nous emporte au plus près.
Et des acteurs qui sont, tous, vraiment tous, excellents.
Fin 2009, il ne fallait pas manquer Elly. Cette année ne manquez pas cette Séparation. Du très beau cinéma.

(1) : salle comble et c'est tant mieux !
(2) : tout au moins, celui de Téhéran, 13 millions d'habitants ...
(3) : bien entendu, ne faisons pas l'amalgame entre les iraniens et leurs dirigeants, pas plus qu'entre les américains d'il y a peu et Bush ou qu'entre les français et Sarko.


Pour celles et ceux qui aiment le vrai cinéma.
Critikat en parle.

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