Cinoche : My sweet pepper land


Il était une fois dans l'Est

Nous voici déjà au tiers de l'année cinéma avec seulement deux coups de cœur au compteur : c'était la LunchBox à Mumbai et le Buyers Club à Dallas.
Autant dire que dans ce désert culturel, My sweet Pepper Land est un petit film kurde qui a vraiment de quoi nous remonter le moral.
On y retrouve la superbe Golshifteh Farahani déjà vue dans À propos d’Elly.
Actrice iranienne, réalisateur irakien, paysages de la frontière turque ... c'est tout l'avantage cinégénique du Kurdistan, un pays qui n'a jamais vraiment eu le droit d'exister sauf peut-être entre 1920 et 1923 jusqu'à ce que les Grandes Puissances fassent valoir des enjeux géopolitiques plus sérieux que les espoirs de la population locale.
Depuis la chute de Saddam, une partie du Kurdistan a gagné une relative indépendance et le film de Hinner Saleem  débute par une mise en perspective magistrale de ce nouveau ‘pays’ : les kurdes découvrent l'autonomie, on y a besoin de police, de justice(1), bref de tout sauf de pétrole ...
Une citation du réalisateur :
"Je crois que le Kurdistan d’aujourd’hui ressemble à l’Amérique de l’époque du western : on y découvrait le pétrole, on y construisait des routes, des écoles et des infrastructures, et on tentait d’y faire appliquer la loi."

Hinner Saleem réussit à planter son décor en quelques minutes (bande son et mise en scène façon Sergio Leone !) et à nous faire découvrir avec humour un ‘pays’ complètement méconnu : rien que pour cela, son film vaut le détour.
Et ce n'est pas tout, puisqu'une belle histoire va nous être contée qui aborde d'un air souvent léger et parfois ironique des sujets très sérieux et très actuels.
Dans ce Kurdistan en devenir, une jeune institutrice et un ancien résistant devenu flic vont se trouver réunis par le hasard ou le destin : tous deux partent rejoindre un petit bled paumé de montagne, près de la frontière turque(2) pour y apporter l'éducation, la démocratie, l'ordre et la loi.
Mais dans ces montagnes reculées aux traditions moyenâgeuses très présentes, une femme seule qui prétend éduquer les enfants n'est pas la bienvenue.
Et dans ces montagnes reculées soumises à de petits chefs de guerre et trafiquants locaux, un ancien héros de la résistance qui vient jouer au shérif intègre n'est pas le bienvenu.
La scène d'arrivée de nos deux héros dans ce qui tient lieu là-bas de saloon(3) est tout simplement fabuleuse.
Autant dire que le séjour de nos deux missionnaires ne sera pas de tout repos.
On ne vous en dira pas plus sur cet ‘eastern’ kurde qui se déguste exactement comme un bon vieux western : paysages grandioses (mais temps de chiottes, il faut le dire), héros solitaires, méchants armés jusqu'aux dents, musique superbe, scènes de duels, confrontations d'orgueils, conflits d'honneurs et regards assassins, ...
Sachez quand même qu'on y découvre d’étonnantes brigades entièrement féminines (quelque part entre ninjas et guerilleras) qui harcèlent l'armée turque depuis leurs montagnes imprenables : elles seraient plus de deux mille [clic] échappant ainsi à l’occupant turque et peut-être aussi au machisme kurde.
Sachez aussi qu'on y découvre une très belle musique (jouée par Golshifteh Farahani elle-même) sur un étrange instrument : le hang ... qui n'a rien de kurde (on aurait pourtant bien voulu y croire !) mais qui a été inventé récemment par deux suisses ! Comme c’est super beau et qu’on est sympa, on vous en livre un bel extrait ici : [clic], tout à fait en accord avec la mélancolie des montagnes pluvieuses du Sweet Pepper Land.
Le plaisir d'une belle histoire dédiée aux femmes, la satisfaction d'un bon cinéma bien loin d’Hollywood et l'intelligence de nous faire découvrir de l'intérieur, un pays dont on parle beaucoup mais qu'on connait si peu : c’est sans conteste le film du moment à ne pas manquer.
Et dépêchez-vous, on est en retard : il est sorti le 9 avril mais le bouche à oreille fait qu'il est encore à l'affiche.
(1) - magistrale ouverture sur une scène de pendaison 100% humour noir qui montre combien il est difficile d'accéder du jour au lendemain au statut de démocratie de plein exercice !
(2) - les avions de chasse turcs survolent la zone et viennent détruire les ponts pour saper les infrastructures de cette base arrière de leurs résistants kurdes en Turquie
(3) - saloon qui donne son titre au film tel un Bagdad Café local : si c'est pas de l'humour au 3° degré ça !


À lire : un petit article [clic] sur la guérilla féminine au Kurdistan turque.
Pour celles et ceux qui aiment les westerns.
D'autres avis sur Sens Critique. AvoirAlire en parle aussi.










Cinoche : Une rencontre

Leçon de physique.

Ce ouikende, BMR a joué les grands seigneurs et s’est aimablement dévoué pour accompagner MAM et deux copines (C. et V.) voir la dernière comédie romantique à la mode : Une rencontre de Lisa Azuelos (la fille de Marie Laforêt).
Secrètement, BMR se disait qu’avec Sophie Marceau en haut de l’affiche, ce ne pouvait pas être tout à fait une mauvaise affaire, même s’il fallait se farcir Cluzet en prime, tant pis.
Et bien contrairement à toute attente, c’est peut-être BMR qui aura le plus apprécié ce film, et soit-disant pas que pour Sophie Marceau.
En référence légère à la mécanique quantique et au principe d’incertitude d’Heisenberg, c’est l’histoire d’une rencontre qui n’a pas eu lieu ou peut-être que si. Non sans doute pas : tous deux ont des principes, Sophie Marceau ne joue pas avec les hommes mariés(1) et Cluzet tient trop à sa famille pour fauter avec une autre, aussi belle soit-elle.
Donc pas question de romance entre eux, je t’aime, moi non plus. Juste une rencontre par hasard, puis une autre, encore une autre et puis bientôt le film nous embrouille et on ne cherche plus à démêler le vrai du faux, l’imaginaire du réel, le fantasme de la vraie vie, … C’est plutôt habilement monté et cela donne un peu de relief à cette histoire ressassée, un peu de piment à cette romance galvaudée.
Évidemment Sophie Marceau est toujours aussi lumineuse(2). Elle parvient même à nous faire oublier Cluzet ou du moins à nous le rendre acceptable, il va avec l’histoire alors on veut bien les prendre tous les deux.
On l’a dit, BMR a bien apprécié Sophie Marceau le film même si l’histoire semble avoir du mal a trouver une fin honorable.
MAM s’est presque ennuyée à cette romance qui manque de profondeur et qui n’a pas l’humour du précédent LOL.
La copine C. est réfractaire à la physique quantique et son personnage préféré est le gamin de Cluzet.
Bref on tient là une nouvelle preuve de la justesse de la théorie quantique et de l’expérience du chat de Schrödinger : de toute évidence, le jugement de BMR est complètement faussé dès qu’apparait une jolie femme à l’écran.

(1) - dans le film hein, dans la vraie vie on ne sait pas : il reste peut-être une chance
(2) - BMR n’a pas vu le précédent LOL mais manifestement Sophie Marceau a trouvé en la personne de Lisa Azuelos un regard passionné


Pour celles et ceux qui aiment Sophie Marceau.
D’autres avis sur Sens Critique.

Miousik : Liz Lawrence

Voice from Maryland.

Une voix fraîche et sautillante venue du Maryland, celle de Liz Lawrence.
On aime bien la mélodie du refrain de Bedroom Hero :

Like the time, we denied who we were
Too drunk to remember the time
We denied who we were

et le swing enjoué de Monday morning.

Yakakliker pour écouter notre playliste.



Bouquin : L’homme qui a vu l’homme

Euskadi Ta Askatasuna

Malgré son titre bonhomme, L'homme qui a vu l'homme, le bouquin de Marin Ledun est plutôt sec et raide. Jusqu'ici on enviait le way of life des surfeurs des plages de la Côte d'Argent mais la vie n'est visiblement pas toujours très cool au Pays Basque.
On se souvient de la ‘sale guerre’(1) menée pendant les années 80 au Pays Basque par l'appareil répressif espagnol avec l'amicale bienveillance de son homologue français : des années sombres qui firent la triste renommée des GAL (Groupes anti-terroristes de libération) venus exterminer les membres d'ETA repliés en territoire français, en Euskadi-Nord.
En 2009-2010 de nouvelles exactions ont lieu dont la disparition(2) de Jon Anza dont semble s'être inspiré Marin Ledun.

[…] Un enlèvement qui tourne mal – mais comment le fait même d’enlever et de torturer un mec pourrait-il bien tourner ?

À cette époque, quelques mois avant qu'ETA abandonne officiellement la lutte armée (ce sera fin 2011), certains voient resurgir les fantômes des années de la ‘sale guerre’.

[…] Elle voit bien que ces histoires de guerre sale qui resurgissent les ennuient au plus haut point. Qu’ils aimeraient lancer une autre rumeur autour de la disparition de son frère. L’idée d’un règlement de comptes entre factions rivales ou d’une guerre de succession au sein d’ETA leur conviendrait parfaitement. Après tout, c’est peut-être le cas. Qui pourrait apporter la preuve du contraire ?

Ce bouquin est l'occasion de plonger dans l'histoire récente de cette région, de revisiter les amours incestueuses entre les appareils judiciaires et policiers, de se perdre dans les arcanes de la désinformation et de la manipulation, de s'étonner encore et toujours de l'impunité avec laquelle peuvent agir des groupuscules miliciens (en France, en 2009).
Sans se laisser emporté par son engagement, Marin Ledun évite soigneusement d'en faire trop sur le volet politique et le héros de son livre n'est pas ETA : les motivations (parfois) de cette organisation et ses actions (souvent) sont suffisamment ambigues pour qu'on ne suive pas aveuglément ses militants.
Non, le propos de l'auteur vise plutôt à retracer le patient (et dangereux) travail d'investigation des journalistes(3) : il y en a deux dans son roman, ni des saints, ni des héros, mais deux journaleux qui font leur boulot.
L’un d’eux, Iban, n’est qu’un demi-basque et encore il ne parle même pas la langue, pas franchement adopté au pays : il nous va nous servir de poisson pilote dans les dédales de l’intrigue.

[…] Tout le monde parle par énigme dans ce pays ou est-ce qu’il y a un truc qui m’échappe ?
[…] Iban est perdu, il ne maîtrise ni le vocabulaire, ni les signes, ni les codes. Il ne connaît pas l’histoire. Pour lui, tout ça n’est qu’un folklore exotique de secte et de cinéma. Il ne voit que des cagoulés dans les deux camps et des paradoxes. Ceux en blanc, qui postent des communiqués et prônent la lutte armée et la réconciliation. Ceux en noir, sur une aire de repos, qui enlèvent et torturent.
[…] Qu’est-ce qu’il croit ? Qu’il peut débarquer de nulle part et se mêler des histoires d’un pays qui n’est pas le sien ?

Cela donne un récit sec et un bouquin très dur, sans cesse sous tension, une sorte de thriller politique où Marin Ledun ne nous fait guère de concessions : pas vraiment de héros sans peurs et sans reproches, pas d’empathie romancée, pas de scoops politico-journalistiques, pas de rocambolesques péripéties, ...
Mais des faits, beaucoup de faits (inspirés de faits réels on l’a dit), parfois difficilement soutenables(4) , juste hier en 2009, ici en France.
La description coup de poing d'un monde déshumanisé qui renvoie pratiquement dos à dos les flics compromis avec leurs mercenaires et les indépendantistes figés dans leur rigueur militante.
Marin Ledun tient sa prose et son intrigue d'une main de fer et nous donne un récit noir, très dur mais indispensable. Et une vision guère optimiste de notre société.
Pourquoi donc ce bouquin laisse-t-il ce sentiment d’âpre désespérance ?
Peut-être parce qu’il ne s’agit pas d’un serial-killer un peu fou et donc à nous étranger mais bien d’une histoire presque ordinaire avec des acteurs presque ordinaires ?

(1) -  en référence aux méthodes déjà employées, avec le succès que l'on sait, en Algérie
(2) - enlèvement, séquestration et torture, ...
(3) - on pense un peu au bouquin du suédois Magnus Montelius, lu récemment, même si l'ambiance et le contexte politique sont ici radicalement différents
(4) - mais là encore, aucune complaisance pour certaines scènes trop faciles, presque un modèle du genre, pourtant casse-gueule


D'autres avis sur Babelio. Jean-Marc, Sia et Guillaume (l'auteur de L'île des hommes déchus) en parlent.
Un article de l'Express (de 1995) sur les GAL.





Bouquin : Alice et ses nombreux maris


Pierre, Vincent, Wilbur, Swami et les autres.

Une histoire belge de l'auteur Francis Dannemark (ah, ah).
L'histoire d'Alice qui ne pensait jamais à rien (et de tous ses maris, plus un).
L'histoire d'une vieille dame anglaise, de celles qui prennent le thé avec grâce, élégance et raffinement.
L'histoire d'Alice qui, à l'occasion du décès de sa sœur, retrouve son neveu Paul et entreprend de lui raconter sa vie mouvementée, riche en voyages, en anecdotes et en maris.
Au fil de quelques thés et de quelques restos italiens en compagnie de son neveu, la vieille dame très digne défile la pelote de sa vie, de ses voyages (Italie, Canada, Inde, Australie, ...) et donc de ses maris : des maris qui ont une fâcheuse tendance à passer de vie à trépas, alors que notre veuve a une joyeuse tendance à dire ‘oui’ chaque fois qu'on la demande en mariage, toute aussi prompte à oublier son précédent chagrin qu'à s'enthousiasmer pour une nouvelle aventure.
[…] — Quand il a lancé l’idée de se marier, je lui ai dit qu’il fallait que je réfléchisse et il a trouvé que c’était la moindre des choses. Il n’aurait pas dû dire ça si gentiment. J’en ai profité pour ne pas réfléchir du tout et je lui ai dit oui.
— Je n’oserais pas dire que je suis étonné, ai-je dit à Alice
Ou encore :
[…] J’ai eu droit à une séance de massage. Il avait de si grandes mains qu’il a pu me masser la cheville avec l’une et me caresser la nuque avec l’autre. Puis il m’a dit qu’il fallait que je m’allonge un peu et il s’est allongé avec moi… et puis voilà. Nous sommes rentrés à New York ensemble. Il ne m’a pas demandé mon avis. Je me suis laissé faire. C’était bien. Et quand il m’a demandé de devenir sa femme, j’ai dit oui avant qu’il ait fini de poser sa question. Pour ne pas être tentée de réfléchir.
C'est plus facile lorsque l'on vit l'instant présent sans se soucier de ce que nous a donné puis repris le passé, pas plus que de ce que nous réserve l'avenir.
[...] J'avais compris que l'on ne vit qu'un jour à la fois, et plutôt aujourd'hui que demain.
Autant dire que les accidents, les rencontres et les épousailles s'enchaînent pour notre plus grand plaisir !
[…] C’était une citation de Mark Twain : « Let us so live that when we come to die, even the undertaker will be sorry. » Un long silence s’est installé. « Vivons de telle sorte que, lorsque viendra le temps de mourir, même le fossoyeur soit désolé »
Le titre est long mais le petit livre est léger, charmant, divertissant, amusant. En un mot : frivole.
L'écriture de Francis Dannemark est aussi douce et pétillante que sa vieille dame Alice.
Un agréable petit moment de détente qui passe presque trop vite et dont il ne reste peut-être pas grand chose : juste la fugace impression de cette vieille dame aperçue dans le salon d'un grand hôtel de Bruxelles.
À force de légèreté, ce court roman nous a même semblé un peu superficiel.



Pour celles et ceux qui aiment feuilleter les vieux albums photos.
D'autres avis sur Babelio.Yv en parle aussi.


Bouquin : En mer

Le père et la mer.

Toine Heijmans est un journaliste hollandais. Après quelques ouvrages professionnels, voici son premier roman : En mer. Couronné du Médicis étranger, ben ça alors. Et tous les blogs en parlent.
Alors on se méfie un peu du roman facile à la mode mais on essaye quand même, on commence d'abord par l'extrait numérique ebook des premières pages et puis on clique vite sur acheter la suite car dès les premières pages on a lu, on a vu, que le journaleux écrivait plutôt bien. Et même très bien.
L'histoire d'un homme, l'histoire d'un père. Visiblement pas très à l'aise, pas tout à fait à sa place, dans son rôle social, de mari, de père ...
Pas mal dépressif le gars. Il a pris un congé sabbatique et est parti faire un tour en mer de quelques mois. Il revient au port et pour la dernière étape, il a embarqué sa fille Maria qui était venue le rejoindre. Reste plus que deux jours de mer avant la dernière escale.
Mais dès les premières pages, on sent que ça va très très mal se passer. D'ailleurs il le dit !

[...] Jusqu’à présent tout s’était bien passé, et tout allait bien se passer.

Exactement.

[…] Ce n’était pas très malin. Je fais parfois des choses dont je sais qu’il vaudrait mieux ne pas les faire. Mais je les fais quand même. Je me suis souvent demandé pourquoi il en était ainsi.
[…] Un bateau peut appareiller, mais finit toujours par rentrer au port. C’est ainsi que ça fonctionne partout dans le monde. Les seuls bateaux qui restent dehors sont ceux qui ont coulé. Je suis d’ailleurs resté dehors bien assez longtemps.

Il part en vrille le bonhomme. Dépressif, ça on a dit. Maniaque et un brin obsessionnel aussi.

[…] À bord, il faut être routinier et ordonné, ça rassure. Les amarres dans le coffre aux ancres. Café à huit heures. Les bottes dans la cale. Transcrire régulièrement la position dans le journal de bord. Écouter les prévisions météo sur la VHF. Ranger le pavillon quand le soleil se couche. Mettre le téléphone dans le four lorsque l’orage menace. On survit par routine. Lorsque tout va mal, mieux vaut savoir où tout se trouve. Sans routine, les pensées se bousculent. On pense à tout à la fois. Aux nuages, au four, au café, aux bottes, au pavillon. Au journal de bord, aux amarres. À ta fille qui dort dans la cale avant, la petite cale.

Avec sa fille Maria, il veut bien faire. Prouver à la face du monde en général et à celle de son épouse Hagar en particulier qu'il est un bon père, un bon mari, un homme responsable, un bon gars bien à sa place dans la société. Une obsession qui rappelle un peu celles de David Vann.

[….] Je dois réfléchir. Je dois décider après mûre réflexion. Je dois agir en adulte. Hagar disait : « Je voudrais tellement que tu sois un adulte. Un homme qui prend des décisions. » Je suis un adulte, Hagar. Je vais te le montrer.
[...] Les capitaines ne peuvent pas prendre de mauvaises décisions, mais ils le font tout de même. Je me disais: Entre un père et un capitaine, il n'y a guère de différence. 

On est déjà presque arrivés au port et la petite Maria n'est plus sur le bateau. Et maintenant c'est presque le vent d'hiver de Laura Kasischke qui souffle sur la mer du nord.
Mais Toine Heijmans se démarque habilement de ces ombres menaçantes qu'auraient pu représenter D. Vann et L. Kasischke. D'abord par son écriture, minimaliste, obsessionnelle qui traduit à merveille les raisonnements morbides de son personnage. Juste assez proche pour qu'on s'y identifie avec un peu d'empathie, juste assez tordu pour nous emmener avec lui au fond des eaux du nord.
Et puis y'a le récit de ce gars dont visiblement les plombs ont sauté : pression sociale, professionnelle, familiale, ... notre société moderne est sans pitié. Un véritable rouleau compresseur. Tout comme les rouleaux de la mer qui ne connait pas d'états d'âme. Et malheur à celui qui ne garde pas la tête hors de l'eau.

[...] Mon sort est entre les mains de la mer. Qu'est-ce que ça peut lui faire, à la mer, si j'échoue ? Jusqu'à présent, je voyais dans la mer une compagne, une amie pour faire route ensemble. [...] Mais la mer ne peut pas être une amie. L'eau n'a ni sentiment ni histoire. Elle ne fait rien, elle est, c'est tout. Si elle t'assassine, si elle te noie, il n'y a là rien à rechercher que ta propre stupidité. La mer n'est ni une amie ni une ennemie.
C'est un fait: tu es là dans l'eau. Que tout ton avenir en dépende, le tien et celui des autres - l'eau n'y peut rien. L'eau s'en fiche complètement. [...] L'homme veut se montrer plus fort que l'eau, alors qu'il ne s'agit que d'eau: de l'eau sans pensées, sans arrière-pensées.

Bien sûr on comprend assez vite où est passée la petite Maria mais Toine Heijmans réussit à nous sortir de l’eau une fin étonnante, pleine d'empathie tragique pour son personnage.
150 pages, denses, ramassées qui vont droit à l'essentiel, sans varier de cap.
Quelques pages sur un homme qui part en vrille, un père, un mec broyé par les pressions de notre société. Mais ces pages semblent également trouver un écho chez les filles puisque beaucoup de blogueuses en parlent.


Pour celles et ceux qui aiment se faire promener en bateau.
D'autres avis sur Babelio. Lo en parle, Kathel aussi.



Miousik : Chris and Thomas

Encore deux garçons !

Après le gentil duo façon Simon & Garfunkel de la semaine dernière (c’était The Milk Carton Kids), voici un autre duo de garçons sortis presque du même moule : Chris and Thomas.
Encore deux américains aux voix doucement susurrées  et guitares savamment pincées : Christopher Anderson et Thomas Hien.
Ces deux-là nous ont même parus un peu moins lisses et plus goûteux que les kids des packs de lait, grâce à sans doute une voix plus grave de l’un d’eux (grrr… on n’a pas trouvé lequel !) qui donne parfois un petit ton décalé à leurs chansonnettes enjouées.
De leurs deux albums (comme la semaine dernière !) on préfère le plus ancien Land of Sea qui date de 2006 et qui est très acoustique.
La chanson Broken chair mériterait bien un coup de cœur.
Le CD de 2012, Into the Sun, est trop orchestré à notre goût, presque symphonique, mais une des chansons vaut quand même le détour : Morning Song, qui comme son titre l’indique, pourra vous réveiller de bonne humeur.

Yaplukaékouter tout ça sur notre playliste.


Pour celles et ceux qui aiment les gentils garçons.



Bouquin : Code 1879

Une enquête génialogique !

Petit polar sympa que ce Code 1879 du britannique Dan Waddell.
On retrouve dans ces pages tous les ingrédients d'une de ces séries policières en vogue à la tv.
Une équipe de flics aux figures canoniques mais à qui on a envie de s'intéresser : la fliquette qui n'a pas la langue dans sa poche, le grand vieux flic trop sérieux, etc. ... Et puis le piment, le sel, l'originalité de la série, l'élément étranger venu du privé : cette fois, ce n'est ni un mentaliste, ni un auteur de polars, c'est un généalogiste.
Nous voici à Londres, une ville effrayée par un criminel qui semble reproduire aujourd'hui les meurtres d'un serial-killer qui aurait sévi en 1879 et qui grave sur ses victimes un code qui ressemble fort à une référence d'arbre généalogique.

[…] Foster était de retour à la morgue. « Je devrais m’installer un lit ici », pensa-t-il. Un détour par les toilettes hommes et un rapide regard dans le miroir lui confirma que l’endroit serait approprié – sa peau avait la couleur de la cendre, des sillons noirs et profonds lui barraient le dessous des yeux. Certains pensionnaires du lieu avaient meilleure mine que lui.

La police fait donc appel à Nigel Barnes dont le hobby, la profession et le savoir-faire, sont de parcourir les archives du passé sur les traces de vos ancêtres. Et va y'avoir du boulot, pour les enquêteurs de police comme pour l'enquêteur du passé ...
On ne vous en dit pas plus et il vous faudra attendre les toutes dernières pages pour assister à un enterrement pas banal !

[…] Le Collège royal de chirurgie avait accepté de rendre le corps pour qu’il soit inhumé.

Un polar gentillet, écrit de manière fluide (mais reconnaissons-le, assez incolore et insipide) dont l'originalité est uniquement cette mise en scène de la généalogie appliquée.
C'est plutôt réussi et ce contexte intéressant et curieux donne matière à la fois à l'enquête mais aussi aux crimes. L'occasion de découvrir un peu mieux cette discipline et le passé victorien de Londres.

[…] « Et pourquoi moi ? – Si vous étiez plus au courant de votre histoire familiale, vous le sauriez. »
[…] Quiconque essaie d’oublier le passé a un cadavre enterré à la cave », avait-il dit.
[…] - Il faut que nous voyions clair dans tout ce qui s’est passé à l’époque.
Quelqu’un n’a-t-il pas dit, “le passé est un autre pays” ?
– La France aussi. Et je n’ai jamais eu envie d’aller là-bas. »

L'intrigue est assez rocambolesque (voire un peu capilotractée) mais doit servir utilement le propos, on est d'accord. Le bouquin se lit rapidement et se termine encore plus vite lorsque, dans une scène digne de Misery, on se surprend à tourner les pages à la vitesse tgv !
Comme on n'est pas franchement passionnés de généalogie, il n'est pas sûr qu'on ait réellement envie de poursuivre la série des autres enquêtes de Nigel Barnes, aussi génialogique soit-elle, de peur que le plaisir de la découverte ne soit émoussé.
Pour autant, ce premier épisode méritait quand même bien le détour.


Pour celles et ceux qui aiment les arbres généalogiques et les serial-killer.
D'autres avis sur Babelio. Action-suspense en parle.





Miousik : The milk carton kids

Deux voix lactées …

Un sympathique duo venu de L.A. : The milk carton kids, deux kids qui nous amènent un peu de douceur dans ce monde …
Milk Carton kids est le titre de l’une de leurs chansons qui évoque ces photos des enfants disparus qui étaient, jadis, représentés sur les briques de lait.

One day it just vanished like a milk carton kid …

Avec deux albums (très homogènes), Kenneth Pattengale et Joey Ryan y vont de leurs douces voix, gentilles mélodies et guitares sèches pincées avec beaucoup de doigté.
Leur duo évoque bien évidemment Simon & Garfunkel.
Certaines de leurs chansons figuraient sur la BOF de Promised land.
C’est sans doute un peu trop sage et uniforme et ça manque peut-être un peu de personnalité, de fougue et de profondeur mais c’est frais, gentil et reposant.
Notre playliste est ici, spécialement dédicacée à Véro.


Pour celles et ceux qui aiment les guitares sèches.
Le mur du son en parle.



Cinoche : Nebraska

Montana-Nebraska A/R

Il fallut plusieurs bonnes critiques pour nous faire découvrir Nebraska d'Alexander Payne, petite perle un peu cachée dans son noir et blanc, au fin fond des salles obscures et des plaines étasuniennes.
Ce road-movie qui fait un peu penser à l'Histoire vraie de David Lynch, démarre au fin fond du Montana et ça finit encore plus au fin fond dans le Nebraska : les États-Unis comme on les voit rarement au cinéma.
Dans un bled un peu paumé du Montana donc, le vieux Woody a reçu (posté du Nebraska donc) un billet gagnant lui annonçant qu'il avait gagné un million de dollars (une arnaque évidemment, une tombola aux abonnements et autres attrape-couillons).
N'ayant pas grand chose à perdre si ce n'est une maîtresse femme qui ne le laisse pas picoler en paix (il commence à perdre la boule, ou bien fait semblant de la perdre pour pas qu'on l'emmerde, ou bien un peu des deux), le bougon Woody (Bruce Dern) part pour le Nebraska pour toucher son chèque. À pied, le long des bas-côtés de la highway, puisqu'il n'a plus de permis et que son vieux pick-up refuse de démarrer. Les flics le récupèrent. Son fils David (Will Forte) le sort du commissariat. Une fois. Deux fois. ...
Finalement David comprend que son père ne trouve guère d'autre sens à sa vie que de courir après cette chimère. David lui-même n'est qu'à peine mieux loti. Il prend donc sa vieille bagnole et les voici partis tous deux tout au long des 1.500 km qui les séparent du Nebraska.
Ce qui nous vaudra quelques belles images (en noir et blanc donc) des plaines américaines.
En arrivant au Nebraska, ils feront escale dans un bled encore plus paumé que celui qu'ils ont quitté dans le Montana, dans la famille perdue de vue depuis de longues années : des retrouvailles étranges, des souvenirs imprécis, des vieilles histoires oubliées, ...
Difficile d'en raconter plus : le film, lent et contemplatif(1), prend tout son temps pour installer tous ses personnages, des 'trognes' comme on n'en voit plus au cinoche.
Chacun avec son caractère bien trempé. Le vieux Woody qui picole et joue plus ou moins les imbéciles, son fils David qui cherche à 'retrouver' son père, la mère qui n'a pas la langue dans sa poche et qui a toujours une vacherie à dire sur untel ou unetelle, les cousins à moitié abrutis (non, pas à moitié finalement), les tantes et oncles qui se verraient bien toucher une part du pactole promis à ce cher Woody, ... Quelle galerie !
Des taiseux de la campagne profonde qui se retrouvent après vingt ans d'absence et ça donne à peu près :

- Alors quoi de neuf Woody ?
- Bof, rien ma foi. Et toi ?
- Non, pas grand chose non plus.

Voilà tout est dit.
Les dialogues sont écrits à la pointe fine comme par exemple dans cette scène surréaliste (David et son frère volent, pour leur père, le compresseur d'un voisin) où les caractères patiemment et minutieusement agencés tout au long du film viennent pétiller comme du champagne !
Dans une Amérique déserte (la crise est venue raser une campagne déjà rase), le film fleure bon la nostalgie, les histoires de famille, les illusions perdues, la vieillesse déclinante, les rêves inachevés et les relations père-fils.
Certains [clic] ont cru devoir critiquer un regard condescendant sur les bouseux du Nebraska : il ne nous a pas semblé que ce regard là était celui du cinéaste mais plutôt celui de certains spectateurs critiques. Au contraire, Alexander Payne nous a paru plutôt plein d'empathie pour ses personnages et ses acteurs.

(1) - d'accord, un tout petit peu trop lent et contemplatif, à voir avant la séance de 22h donc


D'autres avis sur Sens critique. RFI et Froggy en parlent.