Cinoche : My sweet pepper land


Il était une fois dans l'Est

Nous voici déjà au tiers de l'année cinéma avec seulement deux coups de cœur au compteur : c'était la LunchBox à Mumbai et le Buyers Club à Dallas.
Autant dire que dans ce désert culturel, My sweet Pepper Land est un petit film kurde qui a vraiment de quoi nous remonter le moral.
On y retrouve la superbe Golshifteh Farahani déjà vue dans À propos d’Elly.
Actrice iranienne, réalisateur irakien, paysages de la frontière turque ... c'est tout l'avantage cinégénique du Kurdistan, un pays qui n'a jamais vraiment eu le droit d'exister sauf peut-être entre 1920 et 1923 jusqu'à ce que les Grandes Puissances fassent valoir des enjeux géopolitiques plus sérieux que les espoirs de la population locale.
Depuis la chute de Saddam, une partie du Kurdistan a gagné une relative indépendance et le film de Hinner Saleem  débute par une mise en perspective magistrale de ce nouveau ‘pays’ : les kurdes découvrent l'autonomie, on y a besoin de police, de justice(1), bref de tout sauf de pétrole ...
Une citation du réalisateur :
"Je crois que le Kurdistan d’aujourd’hui ressemble à l’Amérique de l’époque du western : on y découvrait le pétrole, on y construisait des routes, des écoles et des infrastructures, et on tentait d’y faire appliquer la loi."

Hinner Saleem réussit à planter son décor en quelques minutes (bande son et mise en scène façon Sergio Leone !) et à nous faire découvrir avec humour un ‘pays’ complètement méconnu : rien que pour cela, son film vaut le détour.
Et ce n'est pas tout, puisqu'une belle histoire va nous être contée qui aborde d'un air souvent léger et parfois ironique des sujets très sérieux et très actuels.
Dans ce Kurdistan en devenir, une jeune institutrice et un ancien résistant devenu flic vont se trouver réunis par le hasard ou le destin : tous deux partent rejoindre un petit bled paumé de montagne, près de la frontière turque(2) pour y apporter l'éducation, la démocratie, l'ordre et la loi.
Mais dans ces montagnes reculées aux traditions moyenâgeuses très présentes, une femme seule qui prétend éduquer les enfants n'est pas la bienvenue.
Et dans ces montagnes reculées soumises à de petits chefs de guerre et trafiquants locaux, un ancien héros de la résistance qui vient jouer au shérif intègre n'est pas le bienvenu.
La scène d'arrivée de nos deux héros dans ce qui tient lieu là-bas de saloon(3) est tout simplement fabuleuse.
Autant dire que le séjour de nos deux missionnaires ne sera pas de tout repos.
On ne vous en dira pas plus sur cet ‘eastern’ kurde qui se déguste exactement comme un bon vieux western : paysages grandioses (mais temps de chiottes, il faut le dire), héros solitaires, méchants armés jusqu'aux dents, musique superbe, scènes de duels, confrontations d'orgueils, conflits d'honneurs et regards assassins, ...
Sachez quand même qu'on y découvre d’étonnantes brigades entièrement féminines (quelque part entre ninjas et guerilleras) qui harcèlent l'armée turque depuis leurs montagnes imprenables : elles seraient plus de deux mille [clic] échappant ainsi à l’occupant turque et peut-être aussi au machisme kurde.
Sachez aussi qu'on y découvre une très belle musique (jouée par Golshifteh Farahani elle-même) sur un étrange instrument : le hang ... qui n'a rien de kurde (on aurait pourtant bien voulu y croire !) mais qui a été inventé récemment par deux suisses ! Comme c’est super beau et qu’on est sympa, on vous en livre un bel extrait ici : [clic], tout à fait en accord avec la mélancolie des montagnes pluvieuses du Sweet Pepper Land.
Le plaisir d'une belle histoire dédiée aux femmes, la satisfaction d'un bon cinéma bien loin d’Hollywood et l'intelligence de nous faire découvrir de l'intérieur, un pays dont on parle beaucoup mais qu'on connait si peu : c’est sans conteste le film du moment à ne pas manquer.
Et dépêchez-vous, on est en retard : il est sorti le 9 avril mais le bouche à oreille fait qu'il est encore à l'affiche.
(1) - magistrale ouverture sur une scène de pendaison 100% humour noir qui montre combien il est difficile d'accéder du jour au lendemain au statut de démocratie de plein exercice !
(2) - les avions de chasse turcs survolent la zone et viennent détruire les ponts pour saper les infrastructures de cette base arrière de leurs résistants kurdes en Turquie
(3) - saloon qui donne son titre au film tel un Bagdad Café local : si c'est pas de l'humour au 3° degré ça !


À lire : un petit article [clic] sur la guérilla féminine au Kurdistan turque.
Pour celles et ceux qui aiment les westerns.
D'autres avis sur Sens Critique. AvoirAlire en parle aussi.










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