Bouquin : Un ciel de glace

Les saints de glace.

Même si Mirko Bonné est allemand, ce bouquin n'est pas vraiment “nordique”.
Y'a même pas plus “sudiste” puisque Un ciel de glace nous raconte l'expédition Shackleton ... en Antarctique !
Mais là-bas tout en bas la température est la même qu'en haut !
En 1914, alors que la Guerre commence à se propager partout (la Marine allemande croise au large des Malouines), Sir Ernest Shackleton recrute son équipage pour sa troisième expédition au Pôle Sud, toujours vierge.

[...] Avis - Recherche hommes pour traversée hasardeuse. Paie médiocre. Froid glacial. Longs mois dans l'obscurité totale. Dangers constants. Retour sain et sauf peu probable. Récompense et .+en cas de succès - Ernest Shackleton.

Avec quelques libertés romanesques, Mirko Bonné met en scène un moussaillon embarqué clandestinement à bord de l'Endurance pour nous raconter l'histoire de cette aventure, à l'époque où britanniques (Scott, ...) et norvégiens (Admundsen, ...) faisaient la course au Pôle Sud : les saints des glaces.
Les 3 ou 4 expéditions de Sir Ernest Shackleton (celle de l'Endurance, celle du bouquin, est la seconde mais il a également participé à l'expédition de Scott auparavant) sont des échecs. De véritables fiascos.
Leur bateau, l'Endurance se retrouve prisonnier des icebergs et se retrouve vite écrasé par les glaces. L'hiver austral, la nuit australe, s'annoncent.

[...] Celui qui traverse une nuit longue de plusieurs mois vit quelque chose de totalement absurde. [...] Car je vois de mes propres yeux la nuit polaire faire peu à peu de nous des fantômes.

Tenaillée par la faim et à court de vivres, la petite trentaine d'hommes de l'équipage finira par manger ses propres chiens de traineaux.

[...] Rien ou presque n'a autant d'importance pour l'équipage que la nourriture. Uzbird pense que c'est parce qu'elle seule fournit un substitut plus ou moins valable à l'activité sexuelle. Cela mérite réflexion. Le fait est que l'inventivité du cuisinier lui assure la reconnaissance générale à bord. Les hommes vénèrent ainsi Green parce qu'il réussit à donner aux petits pois un léger arôme de menthe. je sais quant à moi que, pour les petits pois, il ajoute dans la casserole une giclée de dentifrice.
[...] Lorsqu'on distribue la nourriture pendant les longues semaines dans les glaces, chacun doit fermer les yeux à tour de rôle, et il reçoit une assiette pleine. Sans savoir quelle quantité se trouve sur l'assiette, il doit désigner celui qui va manger la portion en question.

Malgré de longs mois prisonniers des glaces, ils ne mettront jamais les pieds sur le continent Antarctique et très vite l'objectif de Shackleton vire en une autre obsession : ramener ses hommes sains et saufs.

[...] Voici ce qui me tient à cœur : ce voyage est marqué par une profonde étrangeté. Parce qu'il n'aurait jamais dû avoir lieu, parce que tout ce qui pouvait aller de travers est allé de travers, parce que tous nos doutes ont été justifiés par la suite, j'ai l'impression que nous ne sommes pas en train de naviguer sur l'océan Antarctique, mais que nous avons disparu de la surface de la terre.
[...] Notre but commun, la survie, a bel et bien fini par nous diviser et nous éloigner les uns des autres. Et même si la plupart ne s'en rendent sans doute pas compte, Shackleton gaspille une bonne partie de ses forces et de sa résistance pour maintenir malgré tout notre bonne humeur.

Plus qu'un récit d'aventure ou de voyage, c'est avant tout l'histoire de cette poignée d'hommes qui, pendant de longs mois, auront réchappé de ces espaces gigantesques dans une promiscuité rarement vécue.


Pour celles et ceux qui aiment la neige et la glace.
Rivages (c'était prédestiné !) édite ces 427 pages traduites de l'allemand par Juliette Aubert.

Bouquin : Dur, dur

Quand jeunesse se passe.

On avait déjà évoqué ici Banana Yoshimoto avec son premier succès : Kitchen, écrit à l'âge de 23 ans.
Dur, dur, est un recueil de deux nouvelles, écrites 12 ans plus tard (et l'écriture a visiblement gagné en maîtrise).
Mais si les années ont passé, les préoccupations sont toujours les mêmes : le passage à l'âge « adulte », la perte de l'être aimé (l'amie, la sœur, ...) et le traumatisme laissé par la mort.
Et au passage, quelques fantômes qui hantent la nuit, les souvenirs et les digressions.
[...] Chaque fois que je me rappelais le temps où ma sœur parlait encore, j'avais l'impression qu'une membrane venait m'envelopper. Elle parlait beaucoup, d'une voix fluette au timbre aigu. Quand on était enfants, l'une de nous deux s'arrangeait toujours pour émigrer avec son futon dans la chambre de l'autre, et on bavardait jusqu'à l'aube. On se jurait que plus tard on habiterait, elle ou moi, une maison avec lucarne. Ainsi on pourrait continuer nos bavardages en contemplant les étoiles au ciel. C'était une jolie promesse. Dans notre rêve, la vitre de la lucarne miroitait d'un éclat noir, les étoiles scintillaient comme des diamants, l'air était d'une grande pureté. Et les deux sœurs parlaient indéfiniment, sans se lasser, sans même imaginer que le matin allait revenir.
Avec un petit coup de cœur nostalgique pour la première nouvelle qui se déroule dans un hôtel de montagne : une de ces auberges nippones où l'on va jusqu'au onsen (le bain d'eau chaude thermale) en yukata ... (nos photos ici).
Moins « tokyoïte » que Kitchen, toujours aussi féminin.


Pour celles et ceux qui aiment la douceur mélancolique d'un bain chaud.
Rivages poche édite ces 129 pages traduites du japonais par Dominique Palmé et Kyôko Satô.
Noir & Bleu, InFolio, Hydromielle, en parlent et d'autres sur Critiques Libres.

Cinoche : Sparrow

Singing in the rain.

Johnnie To (from Hong-Kong) est connu depuis l'an passé pour ses deux films Élection 1 et 2, réputés violents (on les a pas vus).
Le revoici dans une étonnante petite comédie où pas un seul coup de feu n'est tiré.
Un Sparrow, c'est un moineau bien sûr mais aussi un pickpocket en argot de Hong-Kong.
Et nous suivons dans les rues de l'ancienne ville coloniale (superbement filmées, ah les escaliers et les ruelles de Hong-Kong !) une bande de quatre petits malfrats, quatre frères (superbement filmés, ah les quatre frères sur le vélo !) en quête de portefeuilles à subtiliser.
L'un d'eux voit un moineau (un vrai cette fois) s'installer dans son appartement par la fenêtre ouverte et à Hong-Kong, lorsqu'un moineau entre dans votre appartement par la fenêtre, c'est un peu comme le vendredi 13 chez nous : certains disent que ça va vous porter chance, d'autres que ça ne vous vaudra que des ennuis.
Et un autre moineau va traverser leur vie : c'est Kelly Li (déjà vue dans Boarding Gate) qui virevolte de ci de là dans les rues de Hong-Kong, tel un oiseau apeuré. Ce moineau-là cherche à recouvrer sa liberté et la jeune femme va joliment embobiner les quatre frères pour l'aider à ouvrir sa cage.
On est sur le ton de la comédie, presque de la comédie musicale américaine, avec d'ailleurs une très jolie musique du français Xavier Jamaux, un peu rétro, quelque part entre jazz et exotisme chinois.
Certaines scènes de rue sont filmées tel un ballet, comme celle, mémorable, des pickpockets et de leurs parapluies sous l'averse.
Johnnie To à propos de Hong Kong :

Hong Kong est une ville qui change constamment. C'est à Hong Kong que l'Est rencontre l'Ouest, que l'ancien se mélange au moderne. Les habitants sont sans cesse en mouvement, et la topographie de la ville reflète cette énergie permanente. Hong Kong est bien la ville de tous les possibles.

L'intrigue est minimaliste mais c'est léger, plein d'humour et de tendresse, truffé d'amusantes scènes très visuelles.
Un joli moment de cinéma ...
... si vous arrivez à dégoter l'une des rares salles qui veut bien distribuer ce film !


Pour celles et ceux qui aiment l'exotisme de Hong-Kong.
Herwann en parle ainsi que Playlist et surtout Asiaphilie.

Bouquin : Le maître a de plus en plus d’humour

Chambre avec vue.

Voilà un étrange petit conte chinois, presqu'une nouvelle.
Une histoire résolument contemporaine, écrite en 1999, ancrée dans la réalité sociale de la Chine d'aujourd'hui : Le maître a de plus en plus d'humour, de Mo Yan.
À l'approche de la retraite, Ding Shikou, ouvrier modèle (et en Chine c'est quelque chose !), se retrouve licencié : « descendu de son poste » en VO.
Avisant un vieil autobus abandonné derrière le cimetière, il entreprend de le réhabiliter et de louer discrètement cette « chambre » pour quelques heures aux couples qui en ont besoin ...

[...] « Maître, lui dit Xiaohu, pourquoi toutes ces embrouilles ? Est-ce que, s'il n'y avait pas votre petite chambre ils s'abstiendraient de faire ce qu'ils font ? Sans elle, ils le feraient, ils le feraient au milieu des arbres, au milieu des tombes, les jeunes de maintenant préconisent le retour à la nature et c'est la mode faire ça dehors, et bien sûr ce n'est pas nous qui diront qu'ils ont tort, c'est humain. Je vous le dis depuis longtemps, faites comme si vous aviez simplement ouvert des W.-C. publics en pleine nature, que vous récoltiez un peu d'argent, c'est l'ordre naturel des choses, la raison est de votre coté. »

Un humour plein de tendresse et de facétie, un peu décalé (effet sans doute accentué par la traduction).


Pour celles et ceux qui aiment l'humour so british, oops pardon : so chinese.
Points édite ces 108 pages traduites du chinois par les étudiants de l'Université de Provence et Liliane Dutrait.
Noir & Bleu, Emereaude, Fashion, en parlent et d'autres sur Critiques Libres.

Bouquin : Pendant qu’il te regarde …

Exotisme nordique.

Ce bouquin remporte dès la couverture deux palmes d'or : le titre et le patronyme les plus longs.
Le titre : Pendant qu'il te regarde, tu es la Vierge Marie, "Á meðan hann horfir á þig ertu María mey" en VO.
L'auteure : Gudrùn Eva Minervudòttir, une islandaise ça coule de source (chaude).
Les longueurs s'arrêtent là, car bien au contraire, le bouquin est fait de nouvelles, de très courtes nouvelles.
On va souvent chercher l'exotisme en orient, en extrême-orient même, ce blog en est témoin.
Il n'est pas besoin d'aller si loin. L'Islande recèle bien des mystères.
Des mystères policiers et criminels comme ceux découverts avec Arnaldur Indridason.
Des mystères humains comme ceux mis en scène par la jeune Gudrùn Eva Minervudòttir.
Quelques courtes nouvelles (à peine quelques pages parfois) parsemées d'un grain de folie et mettant en scène tantôt la solitude des êtres (des femmes souvent), tantôt des rencontres incertaines dont on ne sait trop ce qu'elles vont donner.

[...] Je t'ai essuyée, d'abord tout le corps, et puis les cheveux en frottant vite et fort parce que c'est comme ça qu'on fait sécher les cheveux.

Une écriture fluide et agréable mais pleine d'étrangeté, qui saisit les êtres dans des instants improbables.
Sans doute le bouquin le plus «japonais» qu'on ait lu en dehors du pays du soleil levant.
On regrette cependant que ces nouvelles trop courtes ne laissent finalement qu'une fugitive impression.


Zulma édite ces 146 pages traduites de l'islandais par Catherine Eyjòlfsson.
Pour celles et ceux qui aiment leurs prochains.
Cathulu en parle.

Cinoche : Un conte de Noël

Les liens du sang.

Bien sûr il fallait se méfier : Un conte de Noël qui sort en salles au mois de juin ...
Et en plus qui se déroule à ... Roubaix ! (oui, même le point d'exclamation est là, dans le sous-titre du film).
Je n'ai rien contre les Ch'tis (d'ailleurs ce serait très mal vu en ce moment) mais, franchement, Roubaix en ville féérique de Noël c'est pas ça.
La grisaille et la pluie sont là presque tout du long et ça sent la délocalisation, jusqu'à ce que, quand même, on ait droit à un Noël blanc.
Et la neige, vraiment, ça vous transfigure même une ville du Nord à moitié déshumanisée.
Mais bon, on n'était pas venu là pour admirer le paysage mais pour apprécier toute cette pléiade d'acteurs (qui prennent d'ailleurs beaucoup de place sur l'affiche).
Et là, chapeau, on est invité à passer les fêtes, comme on dit, avec une sacré famille. Que de talents !
Mais alors quelle famille ! La fille aînée, à moitié équilibrée, est affligée d'un ado à moitié schizo et d'un mari à moitié absent, un autre fils, alcoolique, revient à la maison après avoir été banni pendant de longues années par la sœur suscitée, la mère est atteinte d'une maladie pas possible, et tout le monde croule sous le poids du non-dit depuis la mort d'un autre fils très jeune, lui aussi emportée par une maladie grave, ...
De génération en génération, on semble ici faire des enfants pour bénéficier d'un donneur compatible en cas de greffe ... lourd est l'héritage !
Sous des apparences presque anodines, la violence des sentiments affleure sans cesse.

[...] Je ne t'ai jamais aimée, dis le fils à sa mère. Moi non plus, répond-elle sans sourciller.

Et ainsi d'un personnage à l'autre, chacun ne semble avoir eu de cesse que de voler sa vie à son prochain.
Au propre ou au figuré. Dans la chair (ou le sang) ou en amour.
Familles, je vous hais, disais André Gide. Manifestement, c'est aussi la devise d'Arnaud Desplechin.
Même les pièces rapportées comme Chiara Mastroianni, joliment filmée, finissent broyées par cette famille vampirique.
Seule Emmanuelle Devos traverse ce film intègre, mais vous savez qu'on a un faible pour elle et, qui plus est, elle ne fait pas partie de la famille. Elle aussi pièce rapportée, elle est juive et aura un prétexte pour échapper à la fête de Noël ...
Ce qui s'ajoute aux quelques symboles un peu lourdingues du chapitre religieux : avec la famille qui regarde les Dix Commandements à la télé, et puis la crèche où il n'y a pas de petit Jésus (celui de la famille a disparu aussi quand il était petit), bof ...
Autre aspect un peu trop appuyé, la médicalisation de la greffe (hôpital, ponction, ...) qu'on aurait préférée un peu plus symbolique, sur le mode vampire.


Pour celles et ceux qui aiment les histoires de famille.
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