Miousik : Guillaume Grand

Écorché vif.

Jolie découverte que ce Guillaume Grand, petit français inconnu il y a quelques mois dont le tube Toi et moi tourne en boucle un peu partout.
Il vient de sortir son premier album L'amour est laid avec plusieurs chansons qui méritent (vraiment) qu'on enfile le casque.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifUn petit frenchy qui chante en français mais tout comme pareil les vrais américains.
Une guitare, une voix éraillée comme on les aime(1) et de fort beaux textes.
Des chansons d'amour. D'amour meurtri, puisque c'est souvent ça l'amour.
Comment ne pas frissonner à l'écoute de Couvre ta peau :

Hurle à tes yeux de ne pas regarder, fais promettre à tes mains de ne pas toucher
Dis à tes mots de se ravaler, oublie ce que tu penses même si c'est vrai
Range tes mains, range tes caresses, couvre tes seins, ici y'a rien de bien
Range ton amour ou ce que tu crois, garde tes bas bien sur toi
Couvre ta peau, garde ta douceur, serre tes jambes, sèche ta sueur
Ne parle plus, ne chuchote pas, rince tes cheveux, ferme tes yeux
Ne me souris pas, ne me donne pas de quoi, sois laide, déteste moi
Arrête, j'ai dit, arrête
Ne me tente pas, ne me touche pas, ne m'excuse pas et surtout ne m'aime pas [...]

Ou bien Vivante, où il est encore question de peau :

La couleur de sa peau, c'est sombre et envoutant
Et l'odeur de ses mots, soufflés de sa bouche d'ange
Y’ a rien d'plus beau, y’a rien d'plus beau qu'un drame
Dans une histoire d'amour, du respect, d'la haine, des larmes
Elle se sent vivante, vivante quand elle est triste
Elle a encore donné sa chair, là elle sent qu'elle existe [...]

On vous a mis nos préférées dans la playliste (qu'on peut écouter en version intégrale).

(1) : un peu à la James Blunt, le James Blunt des débuts, avant qu'on le perde dans l'océan de la variété.


Pour celles et ceux qui aiment les chansons d'amour.

Bouquin : Le signal


GR.

C'est le Père Noël (déguisé en Véro) qui nous aura amené le dernier né de la collection nature writing des éditions Gallmeister, “LA” maison d'édition qui fait parler d'elle depuis quelques temps.
Une boutique dont est devenu inconditionnels depuis sa série "Noire" qui nous aura fait découvrir des auteurs comme Craig Johnson ou William G. Tapply.
Avec Le signal, le Père Noël, tout comme Olivier Gallmeister ont fait, à nouveau, un bon choix !
Prévoyez deux ou trois bonnes et longues soirées avant d'ouvrir ce bouquin : il suffit d'une vingtaine de pages à Ron Carlson pour nous accrocher définitivement avec cette histoire qu'on ne veut plus lâcher.
Et pourtant ce n'est pas un polar(1), il n'y a pas vraiment d'intrigue, peut-être un suspense diffus, on en reparlera.
Et pourtant il ne se passe pas grand chose : c'est juste l'histoire d'une randonnée dans les montagnes du Wyoming.
Et pourtant il n'y a pas foule de personnages (forcément dans ces montagnes ...), deux randonneurs, à peine quelques personnages très secondaires, quelques autres plus importants sont évoqués mais on ne les verra jamais.
Alors ? Qu'est-ce qui fait qu'on ne veut plus lâcher ce bouquin ?
Mack et Vonnie se sont connus dans le Wyoming. Ils ont vécu une dizaine d'années ensemble, partagé l'amour des chevaux et des montagnes, crapahuté sac au dos avec leur matériel pour la pêche à la mouche(2).
Mais comme dans toute belle bonne histoire qui se respecte, Mack, peu à peu, a tout fait foiré. Son ranch était un gouffre financier (déjà du temps de papa), il s'est mis à picoler et à faire connerie sur connerie, de plus en plus grosses les conneries, il traficotait même avec de mystérieux agents façon CIA.
Alors Vonnie s'en est allée. Avec un avocat de la ville.
Mais tout ça c'est du passé, le bouquin commence en fait dix ans plus tard : Mack sort de prison après une connerie de plus(3) et se met en tête de partir en montagne une dernière fois sur les traces du bon vieux temps. Il a invité Vonnie à se joindre à lui.
Elle est finalement venue.
En tout bien tout honneur, pour aider une dernière fois Mack à remonter la pente(4), en souvenir du bon vieux temps.
Et les voici crapahutant avec leurs sacs à dos, évoquant les souvenirs, sachant bien tous deux que rien ne sera plus pareil, sachant bien que leur histoire est écrite au passé et que leur amour est derrière eux.
Et nous on est bien accrochés dans les sacs à dos, partageant l'intimité de ce couple qui n'est plus, la difficulté de ces retrouvailles ambigües, la richesse des souvenirs qui affluent. Grâce à la puissance d'évocation de l'écriture de Ron Carlson, après quelques pages on est devenus les meilleurs amis du monde.
http://carnot69.free.fr/images/Ron Carlson.jpg
[...] On lui avait dit qu'il ne restait plus que quelques endroits dans le pays où une personne pouvait encore s'éloigner à huit kilomètres de la route, et, pour lui, cela restait la pire nouvelle qu'il ait jamais entendue.
Et cette simple balade dans les grandioses paysages du Wyoming s'épaissie au fil des pages, faisant revivre les histoires que l'on se raconte à la chaleur d'un feu de bois et les souvenirs qui ressurgissent au détour d'un chemin ...
Concocté par Ron Carlson, ce subtil mélange d'un passé, tantôt amoureux, tantôt galère, et d'un présent, souvent désabusé, est un élixir dont ne se lasse pas.
Mais voilà ... on sent que ça ne va pas durer. Forcément cette balade va mal tourner. Forcément Mack va encore tout faire foirer. D'ailleurs il a pas trouvé mieux que de profiter de cette rando pour aller chercher une espèce de balise ou de boîte noire mystérieuse(5) qu'un des coquins mystérieux qu'il fréquente lui a demandé de retrouver, moyennant quelques milliers de dollars qui l'aideraient bien à renflouer les caisses du ranch.
Et c'est peut-être ça qui nous rend accros : l'histoire de cet ex-couple est superbement écrite, on ne voudrait jamais les quitter, on voudrait continuer à les suivre au bout du Wyoming, mais les paysages défilent, les pages tournent, et le petit gps de Mack fait bip-bip, et on sait qu'on approche de la fin, inexorablement, zut, zut, allez je relis encore une fois ce chapitre.
Oui, voilà, on voudrait lire ce bouquin à reculons, on voudrait que nos deux randonneurs soient en moins bonne forme, qu'ils fassent deux pas en avant et surtout un en arrière ... histoire de faire durer le plaisir.
Tout le monde sait que d'habitude la fin d'une rando, le retour, est toujours un moment délicieux.
[...] Le retour est toujours un moment délicieux. Sales et fatigués, ils parlaient, discutaient des poissons qu'ils avaient attrapés, de la randonnée. Ces jours-là, son père disait toujours : “Être sale, comme avoir faim, ce sont des choses magnifiques qui se méritent. Nous l'avons bien mérité, alors allons nous laver et manger.” Il avait appris à Mack à ne jamais mépriser la faim mais à s'en servir comme d'un instrument, et ils avaient mangé d'excellents steaks dans les gros relais routiers à la lisière des villes de l'Ouest quand ils descendaient des montagnes. “Servons de nous de ça comme il faut.” - Mack avait dit ça à Vonnie chaque année; ils savaient tous les deux qu'ils mangeraient des steaks et boiraient des boissons fraîches sorties de la glacière qu'ils avaient gardée de côté : une célébration et une dernière nuit à camper près des voitures au-dessus du monde.
Mais cette fois-ci, on sait que le retour ne sera pas un moment délicieux.
Un peu dommage que la suite du bouquin ne soit pas tout à fait à la hauteur des attentes éveillées par la magistrale première partie : une fin un peu convenue où le viril Mack zigouille les méchants qui ont osé toucher à son ex-chérie qu'il aime encore au fond de son cœur. D'autant que Ron Carlson disposait de tous les ingrédients dans son sac à dos pour laisser son histoire se poursuivre en demi-teinte et se terminer en queue de poisson ... pêché dans un lac de montagne.
Que cela ne vous empêche pas de partir sans hésiter pour une très belle balade, sur les traces de Mack et Vonnie, un très beau couple.
(1) : le bouquin est d'ailleurs publié dans la collection Nature Writing et pas dans la collection Noire, ce qui compense un peu une 4° de couv' qui évoque, tout à fait hors de propos, "un suspense capable de nous mener au paroxysme de l'angoisse". 
(2) : d'Autriche aux US, on est cernés par les pêcheurs à la mouche ... commencent à nous gonfler ces américains avec leurs mouches, vous nous voyez pêcher dans la Seine avec ça ? vous nous voyez pêcher tout court d'ailleurs ? 
(3) : bon, là, rien à lui reprocher pour une fois : il a juste fracassé le Hummer de l'avocat de Vonnie. 
(4) : oui, je sais, celui-là est excellent 
(5) : un MacGuffin dirait Sir Alfred

Pour celles et ceux qui aiment la randonnée en montagne et les histoires d'amour même quand elles sont finies. 
Les éditions Gallmeister éditent ces 223 pages parues en 2009 en VO et traduites de l'américain par Sophie Aslanides. 
Hécate, Nathalia, Hannibal et Laurent en parlent. D'autres avis sur Babelio.

Bouquin : Double bonheur

Agent double bonheur.

Ce livre nous avait été proposé dans le cadre de l'opération Masse Critique par l'équipe de Babelio et les éditions Métailié.http://carnot69.free.fr/images/babelio.jpg
On a bien entendu saisi l'occasion de retrouver Stéphane Fière qu'on avait déjà croisé dans La promesse de Shanghaï.
Double bonheur raconte les aventures, toujours à Shanghaï, d'un jeune interprète français, à peine sorti de l'école et désormais au service du consulat.
C'est donc un lao wai, un singe blanc, un pébéa (petit blanc arrogant), un cochon rose, velu, grand et gras, bref un occidental.
On retrouve donc ici l'humour féroce de Stéphane Fière et son peu de compassion pour les pébéas.
Mais aussi tout son amour pour la Chine comme ici pour la cuisine de trottoir de la mère Zhao  :
[...] La patronne officie dans l'arrière-cour au milieu des flammes et des éclaboussures d'huile bouillante [...] les deux serveuses, Zifa et Shuiling, sont maintenant très gentilles avec moi, : des petites sœurs de la campagne, un mètre soixante au maximum, rondes, souriantes, alertes, avec de bonnes joues bien rouges, des nattes et des gros seins de laitières ; à mon arrivée elles hurlent voilà Xiao Li qui vient manger, je suis reconnu, j'ai l'impression de revenir à la maison [...] les clients autour, vieillards torses nus ou en pyjamas, chauffeurs de taxi, petits artisans, mingong se joignent à la conversation et les moments de la nuit passent, chaleureux, uniques ; on boit, on parle fort, on rote, on est rouges et transpirants, pressés les uns contre les autres sur les tables pliantes et les tabourets en bois, papier, pierre, ciseaux, je perds à chaque fois et ils remplissent mon verre à peine vidé, je suis là, au milieu, au milieu, au milieu d'eux, je ne suis plus tout seul et je n'ai pas envie de partir, pas envie de partir, je ne suis plus français, mais pas encore vraiment chinois [...]
La première partie du bouquin nous décrit par le menu la vie du consulat, de ses interprètes, des hommes d'affaires ou des universitaires venus chercher gloire et fortune à Shanghaï (et aussi quelques étudiantes peu farouches qui elles, sont à la recherche d'un passeport étranger).
Tout ce petit monde d'expat's est bien dérisoire : on couchaille ici ou là, on traficote autant qu'on peut et on arnaque un peu tout le monde. Pitoyable. Le portrait brossé par Stéphane Fière n'est vraiment pas reluisant et son “héros” n'en sort pas grandi.
À dire vrai, on a même trouvé cette partie un peu longuette(1) et on aurait aimé plus de belles pages comme celle de la cuisine de la mère Zhao.
À mi-parcours, François Lizeaux (c'est le nom de cet interprète peu héroïque) tombe amoureux, pour de vrai cette fois, d'une belle shanghaïenne An Lili. Une étoile montante dans la toute nouvelle vie affairiste chinoise : elle est rédactrice dans une revue de mode. Ils vont filer tous deux le parfait amour et s'enrichir peu à peu. La description de cette ascension sociale est beaucoup plus intéressante que les vilénies et bassesses du milieu consulaire et l'on suit l'évolution de ce jeune couple.
Jusqu'au jour où finalement, de petites enveloppes en gros pots de vin, la camarade Wen Zhunhen propose à François d'enregistrer les réunions du consulat ...
[...] Elle s'était mal fait comprendre. Travailler ensemble signifiait simplement collaborer avec elle pour lui fournir  des informations, des renseignements, un peu de documentation, rien d'extraordinaire crois-moi,  trois fois rien en fait, des broute-îles, des broute-îles, elle a précisé dans son français de fantaisie, juste un peu de veille, sur les comptes rendus de réunion que tu assistes camarade Li, mais pas dans tous les domaines rassure-toi, uniquement le nucléaire, le militaire et les nouvelles technologies.
Même si Stéphane Fière n'avait nullement l'intention de donner dans le thriller d'espionnage, on ne vous en dit pas plus mais assurément voilà qui est de la toute dernière actualité pour ceux qui ont suivi l'affaire Renault !
En somme, un bouquin réservé aux curieux de la Chine en général et de Shanghaï en particulier.
(1) : c'est sans doute nécessaire pour donner plus de poids au retournement final mais les longueurs de ce nombrilisme franco-français finissent par agacer, on était venu là pour les chinois ! pas pour les états d'âme d'un étudiant expatrié.

Pour celles et ceux qui aiment la Chine.
Les éditions Métailié éditent ces 351 pages qui datent de 2011.

Cinoche : Incendies


Le Liban à feu et à sang.

Dans notre récent billet sur Même la pluie(1) on parlait d'images fortes qui secouent un peu ... mais c'était avant d'être allé voir Incendies !
Ouh ! Le film du québécois Denis Villeneuve sur la tragédie libanaise n'est pas conseillé aux âmes sensibles !
Et pourtant la violence est à peine montrée à l'écran.
Justement, on voit ce qui s'est passé avant, ce qui se passera après, mais la mise en scène elliptique nous laisse imaginer le pire entre les deux ...
D'ailleurs ça tombe bien :  c'est le pire qui s'est passé entre les deux.
Une des premières scènes, se déroule tout en “douceur”, quasiment au ralenti, avec une musique presque agréable(2) ... et l'on y voit de jeunes enfants, enrôlés de force dans une armée, enfants pieds nus, miliciens en rangers, en train de tondre les enfants la boule à zéro, pas un bruit, pas une explication, pas un cri, presque au ralenti on l'a dit.
Mais une scène d'une rare violence contenue ... Au spectateur de se débrouiller et d'encaisser comme il peut !
Un spectateur qui préfèrait de loin les scènes gores où il pouvait fermer les yeux au mauvais moment, forcément passager.
Ici, pas de faux-fuyant : Denis Villeneuve veut nous faire toucher des yeux l'horreur absurde et insoutenable des guerres civiles qui ravagent ces pays, notamment au Moyen-Orient où une simple étincelle peut embraser de redoutables incendies. Et il n'y va pas avec le dos de la main morte ...
Ça commence plutôt sympa, au Canada, avec l'accent chantant de nos cousins québécois.
Deux jumeaux apprennent par le testament de leur mère récemment décédée qu'ils doivent partir à la recherche de leur père et d'un frère dont ils ignoraient l'existence. Maman était d'origine libanaise et visiblement c'était pas une mère poule.
Les voici donc au Moyen-Orient sur les traces de cette femme méconnue. Le film alterne entre quelques rares images d'un Québec gris, sale et pluvieux et l'aride beauté des montagnes ventées du Liban(3), entre la quête des jumeaux et la reconstitution pas à pas de la vie agitée de Nawal quelques 35 ans auparavant.
Et ça commence fort : à l'aube de la guerre de 1970, Nawal est chrétienne, amoureuse d'un réfugié palestinien, sa famille ne peut évidemment l'accepter et trucide l'amoureux, Nawal accouche d'un enfant de la honte qui lui est enlevé, sans aucun doute le fameux frère que les jumeaux doivent retrouver.
Las, Nawal n'est pas au bout de ses peines, c'est le moins qu'on puisse dire. Et c'est donc loin, mais alors très loin d'être fini (ou commencé) pour les jumeaux ... comme pour le spectateur.
Le contexte libanais est aisément reconnaissable même si Villeneuve ne le cite jamais explicitement : son propos n'est pas de nous raconter l'histoire douloureuse de ce pays en particulier mais de mettre en scène la tragédie universelle de toute guerre civile, l'absurdité de l'engrenage infernal qui, d'assassinat en vengeance, de massacres en représailles, mènera tout le monde à sa perte. Et par quels chemins d'inhumaines horreurs ...
Alors évidemment, les images ne sont pas de tout repos.
Les éloges pleuvent déjà sur l'actrice Lubna Azabal qui incarne cette mère qui porte sur ces épaules toute la misère de notre monde tragique. Trop sans doute, alors qu'on nous permette de citer plutôt la fille, Mélissa Désormeaux-Poulin, toujours juste, qui est un peu “nous” et à laquelle on peut plus aisément (à laquelle on a envie et besoin de) se raccrocher.
Aux trois-quarts du film, un petit brin d'humour viendra soudain ponctuer un dialogue de façon inattendue et toute la salle se surprend, qui à pouffer, qui à souffler, qui à se regarder, tout le monde heureux de pouvoir se décrisper un peu, même si ce répit inespéré n'est que de quelques secondes.
L'histoire, qu'on ne comprendra vraiment totalement que dans les derniers moments où nous seront enfin livrées les ultimes clés permettant de décrypter les premières scènes (dont celle des enfants soldats, évoquée au début), l'histoire donc est absolument hallucinante, presqu'iréelle ou surréaliste mais dans le sens des tragédies antiques de Racine(4) dont les héros étaient broyés par d'inéluctables destins, d'implacables fatalités, bien au-delà de la résistance humaine, comme ici pour Nawal et ses enfants.
Le film est d'ailleurs adapté d'une pièce de théâtre du québécois Wajdi Mouawad, une tragédie contemporaine si on veut.
Curieusement, même si c'était du théâtre, même si c'est trop pour être seulement vraisemblable, et bien pour une fois on ne se dit pas en sortant, même pour plaisanter, "ouf, heureusement que c'est du cinéma !". Et là, je crois que Denis Villeneuve a atteint son but.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifAlors un coeur ? Oui, bien sûr c'est un très bon film, à voir, mais un coeur qui bat un peu fort alors !
Âmes sensibles, s'abstenir, mais ça, vous aviez compris !
(1) : ne le manquez pas ! non, pas le billet : le film ! 
(2) : Radiohead 
(3) : c'est tourné en Jordanie 
(4) : comme Phèdre par exemple ...

Pour celles et ceux qui aiment voir autre chose que le JT compassé de 20 heures. 
Kilucru, Critikat, Louis, Johanne en parlent.

Cinoche : Même la pluie


Aguirre ou la colère de l'eau.

La mode est aux films “basés sur une histoire vraie”, comme ont dit.
Le film de l'espagnole Icíar Bollaín Même la pluie, est donc doublement à la mode puisqu'il s'appuie sur deux histoires vraies.
Vers 1500 et quelques, en pleine conquête coloniale des Caraïbes par le sieur Colomb, c'est l'Histoire avec un grand “H” du prêtre Bartolomé de Las Casas (celui qui sera plus tard à l'origine de la controverse de Valladolid) et surtout de son inspirateur le dominicain Antonio de Montesinos, moins connu et pourtant tout aussi radical et tout aussi déterminé à protéger le sort des indiens réduits en esclavage.
L'autre histoire est plus récente mais tout aussi vraie : à l'aube de l'an 2000, à Cochabamba, 4ème ville de Bolivie, la Banque Mondiale oblige les autorités à privatiser la distribution de l'eau (et ce sera bien évidemment au profit d'un groupe étasunien, Bechtel). La population des indiens quechuas se révolte, la répression est sanglante mais après quelques semaines de lutte, la Banque Mondiale et le trust américain perdent ce qu'on appelle alors La guerre de l'eau.
Autour de ces deux histoires vraies, pas moins de trois fictions dans le film Tambien la lluvia (Même la pluie en VO) puisque Icíar Bollaín nous raconte un film dont le sujet est le tournage d'un film (celui de l'Histoire des prêtres Las Casas et Montesinos) avec en prime une assistante de production qui tourne en vidéo le making-of et donc quelques images des à-côtés du tournage.
Le tournage de l'Histoire des Caraïbes se passe en Bolivie parce que les paysages y sont superbes et les figurants beaucoup moins chers qu'ailleurs. Tout est d'ailleurs beaucoup moins cher qu'ailleurs. Sauf désormais l'eau. Et avec deux dollars en poche par jour, les indiens quechuas n'ont aucune chance de pouvoir s'acheter l'eau qu'on veut désormais leur vendre. La guerre de l'eau va se télescoper avec le tournage du film.
Résumé ainsi, ça pourrait paraître compliqué mais le film est très fluide, très pédagogique sans être donneur de leçons et tout y est clairement explicité, même l'Histoire ancienne des prêtres dominicains. L'histoire récente du libéralisme, ça, le spectateur comprend beaucoup plus vite ...
Le film de l'espagnole est particulièrement habile. Bien sûr, on s'identifie immédiatement à l'équipe espagnole venue tourner son film. Nous voici avec eux débarquant en néo-colons dans les hauts-plateaux andins, enthousiastes à l'idée de mettre en belles images cette passionnante Histoire.
Quelle scène, par exemple, lorsque l'acteur devant jouer Christophe Colomb se met soudain à répéter son texte dans les jardins de l'hôtel de luxe, prenant à partie la serveuse quechua derrière son buffet de cocktails ... D'emblée, nous voici plongés au coeur du sujet, colons blancs d'hier ou d'aujourd'hui, face aux impassibles indiens quechuas.
La cinéaste espagnole joue très habilement du montage des trois films évoqués plus haut : on passe sans accroc des superbes images du film dans le film en technicolor, façon Aguirre, au regard-vidéo de la jeune assistante sur les incidents qui émaillent le tournage, au “vrai” film d'Icíar Bollaín qui montre les difficultés et les espoirs du tournage du film.
Les parallèles sont nombreux (mais jamais trop appuyés, les images fortes parlent d'elles-même) entre conquistadores et néo-colonialistes, entre les chiens d'alors et ceux d'aujourd'hui, entre armures espagnoles du XVI° et harnachements des flics anti-émeutes du XXI°,  ... et les impassibles quechuas traversent les âges, sans changer de rôle.
Après quelques frémissements, quelques allusions, la guerre de l'eau de Cochabamba va venir bouleverser tout cela : les cinéastes (acteurs, producteur, réalisateur, ...) et le film historique vont se faire secouer ... et nous avec.
Pendant que les quechuas courent après l'eau pour leurs enfants, l'équipe du tournage a soif, elle aussi : whisky et champagne coulent à flots. L'un des personnages cite même, tout en dérision, la célèbre réplique de Marie-Antoinette s'étonnant que Paris n'ait plus de pain et qu'on ne soit pas en mesure de distribuer de la brioche.
La trame du film est riche, ça on l'a compris, et les propos sont empreints de finesse et de subtilité : les personnages évolueront tout en nuances et complexité, partagés entre les remords d'une page d'Histoire peu glorieuse et les bonnes intentions néo-colonialistes, entre les propos humanistes du film sur les dominicains et les impératifs du tournage et de la production, etc.
La petite salle parnassienne(1) est comble et applaudit généreusement au générique de fin.
Je cite même les cris de quelques afficionados hispano-boliviens "bravissimo, compañeros !", sans doute pour se libérer d'une partie de la tension accumulée tout au long de ces images qui secouent un peu !
Nous étions allés voir ce Même la pluie presque par devoir et curiosité intellectuelle en prévision de notre voyage en Bolivie cet été : nous avons été surpris par ce film magistral et on vous laisse découvrir ce que veulent dire exactement ces mots Même la pluie, et c'est très fort.
Un film qui n'est pas fait pour nous inciter à voter pour le patron du FMI si la famille Le Pen est encore au deuxième tour en 2012 ...

(1) : quelle erreur de la part de Gaumont et UGC de ne pas avoir distribué ce film accessible au plus grand nombre !

Pour celles et ceux qui aiment les films avec des films et des Histoires dedans. 
Pascale, Nico, Kilucru, Critikat, tout le monde en parle et c'est tant mieux.

Miousik : Alain Bashung

Le plus américain des frenchy.

Alain Bashung a au moins deux torts à son passif : celui de nous avoir tourné le dos un peu trop tôt et celui d'avoir laissé les radios nous saouler, il y a quelques années, des Vertiges de Gaby et de Joséphine.
De quoi nous rendre allergiques à son phrasé répétitif et à ses rimes pleines de vocabulaire.
Alors du coup, on est passés à côté de son dernier album, Bleu pétrole sorti en 2008.
Impardonnable, on essaie de se rattraper ?
Voici donc un bel album, 100% pur jus du plus américain de nos chanteurs frenchy.
On y sent souffler le vent des grands espaces et la poésie de Bashung y résonne tout à son aise.
On y adore Je t'ai manqué et  Tant de nuits ...
Du coup on est allé picorer dans sa discographie quelques pépites, comme ces “remakes” des chansons qui ont bercé son enfance et la nôtre : Le sud de Nino Ferrer, Les mots bleus de Christophe, la Céline d'Hugues Aufray, la Suzanne de Cohen et même le Hey Joe d'Hendrix revisité en français. Oui, on aime bien les reprises.
Pour ceux qui, comme nous, auraient loupé Bashung avant son départ, tout cela est à (ré-)écouter en intégral sur notre playliste.


Pour celles et ceux qui aiment la nostalgie.

Cinoche : Somewhere


Magie ou ennui ?

Fidèles lecteurs, sortez vos mouchoirs : ce billet marque une profonde rupture sur ce blog jusqu'ici régulier et constant.
BMR, MAM et Copine Véro sont allés voir Somewhere, le dernier film de Sofia Coppola, attirés par ce qui aura été, de l'avis unanime, la plus belle bande annonce de 2010(1).
Las, les avis n'ont rien d'unanimes concernant le film annoncé. Cette discorde était prévisible : les critiques qu'on peut lire un peu partout montraient que la plupart des spectateurs s'ennuyaient profondément. Quelques uns adoraient.
MAM s'est profondément ennuyée devant cet étalage intello-complaisant des soucis existentiels des américains riches, beaux et célèbres (pourtant elle lit Gala régulièrement, alors ?).
Copine Véro s'est beaucoup moins ennuyée : elle s'est carrément endormie. C'est pas mieux et c'est dommage car elle trouvait l'acteur craquant (déjà avant même le film, dans Gala).
Reste donc BMR qui a eu la chance de tomber dans l'autre case des statistiques(2) : il a adoré et a donc décidé (courageusement) de passer outre l'interdiction formelle de MAM de publier un billet sur ce blog.
Voici donc le premier billet clandestin de ce blog, ne lui répétez pas !

Les créatures de Sofia Coppola sont arrivées sur terre par accident et ne savent guère quoi faire pour y survivre.
C'était le cas des jeunes filles suicidaires, de l'amateur de whisky à Tokyo ou encore de la jeune princesse autrichienne en Converse.
Ici c'est le cas de Stephen Dorff, acteur de série B, sorti de l'oubli par la fée Sofia et jouant ici le rôle ... d'un acteur.
Alors comme tant d'autres, il tourne en rond dans une suite du Château Marmont de LA.
Il s'endort en regardant des lap-danseuses ... quand ce n'est pas pire.
http://carnot69.free.fr/images/elle fanning.jpg Il tourne en rond avec sa Ferrari. Il s'enfile des bières avec application et il est réveillé chaque matin(3) par son attachée de presse qui lui demande telle ou telle prestation pour la promo de son film. Qu'il exécute gentiment avant de reprendre trois lignes plus haut.
Évidemment racontée ainsi, la vie d'un profond, mais profond, ennui de Stephen Dorff serait d'un profond, mais profond, ennui.
Sauf que chaque scène est un petit bijou ciselé par les mains et l'oeil de la fée Sofia.
Ah, le moment où les lap-danseuses remballent leur matériel une fois Stephen Dorff endormi, juste lorsque le spectateur se demande ce que viennent faire des barres d'appui dans une chambre de l'hôtel.
Ah, les séances photos lorsque la caméra s'attarde sur le petit marchepied, vide, qui permettait à Stephen Dorff d'arriver à la hauteur de sa partenaire(4). Etc.
Au long de ses œuvres, Sofia Coppola filme le spleen romantique du XXI° siècle.
Elle filme l'inanité et la vacuité de notre civilisation occidentale mue par la richesse, le pouvoir et la célébrité. Elle filme le mal de vivre de ces grands enfants comme Stephen Dorff (ou précédemment Marie-Antoinette), maternés par leur entourage professionnel, à qui pouvoir, richesse et célébrité ont tout donné (et sur ce sujet, on ne doute pas que la fille Coppola en connait un rayon), mais qui ne peuvent pas grandir et préfèrent continuer à jouer à Guitar Hero avec leurs copains d'enfance, incapables d'assumer une relation sociale, amoureuse et encore moins paternelle.
Mais bien vite, un ange vient à passer dans la vie du charmant mais ennuyeux Stephen Dorff.
Sa fille justement, Cléo. Une espèce de Kirsten Dunst à peine adolescente (11 ans dans le film, 12 ou 13 dans la vie). Un ange dont le visage radieux, les yeux bleus et le sourire éclatant viennent illuminer le film, l'ennui du charmant Stephen Dorff, et le regard du spectateur (enfin celui qui ne s'est pas endormi).
Cet ange, c'est la jeune soeur de Dakota Fanning, Elle Fanning, déjà croisée dans Babel ou Benjamin Button.
Et la caméra de Sofia Coppola reprend de plus belle.
Ah, le regard de Stephen Dorff qui finit par lâcher les SMS de son portable pour découvrir sa fille patiner.
Ah, le travelling sur les transats de la piscine (ceux de l'affiche) qui s'inscrira certainement dans les annales du cinéma. Ah, etc.
Les scènes se suivent et s'enchaînent, petits moments que l'on dirait saisis au vol (mais dont le travail n'a assurément rien de spontané !).
Et puis arrive le moment où le spectateur se dit (du moins, celui qui ne s'est pas endormi) : ah, là, là ! C'est là qu'elle doit lâcher la caméra ... et ouuiii ! tip, top, générique de fin !
Une personne sur quatre ou cinq environ adore ce film. Alors, tentez le sort ! Si vous tombez dans la bonne case des statistiques, vous aurez peut-être la chance d'apprécier les tours de magie de Sofia Coppola.
(1) : allez, cette année on essaie un palmarès des bandes-annonces 
(2) : BMR ne lit pas Gala (ou alors juste en feuilletant rapidement les images de jeunes femmes plus ou moins dénudées), est-ce pour cela ? Non, ça n'a rien à voir ? Tant pis, on était à deux doigts d'une découverte scientifco-statistique. 
(3) : un doute quand même traverse BMR : comment arrive-t-il à se réveiller chaque matin avec une so sexy barbe de 3 jours ? Comment fait-il surtout le quatrième jour ? Comment fait-il pour ne raser que ce qui dépasse des 3 premiers jours ? Ah, la vie mystérieuse des stars. 
(4) : attention, tout parallèle avec le petit mari de notre grande chanteuse serait, à mon humble avis, inconsidéré et abusif. Honnêtement, je pense que Sofia Coppola se fout complètement de la vie politique française.

Pour celles et ceux qui aiment l'ennui filmé comme par magie. 
Comme beaucoup, Lorraine s'est ennuyée. Comme BMR, Pascale a beaucoup aimé. 
Philippe et Cathe font remonter les statistiques de “ceusses qui ont aimé”.   

Best-of 2010


À toutes celles et ceux qui auraient loupé notre petit billet du 1er janvier, on vous souhaite une excellente année 2011 !
Et voici enfin le 5ème (et oui ...) best-of annuel sur ce blog, histoire de permettre aux retardataires de se rattraper et de jeter un coup d'œil rétrospectif sur ce qu'on pourrait appeler «les coups de cœur de nos coups de cœur».
Même s'il est toujours difficile de faire un choix parmi les meilleurs, car le tri a déjà été fait une première fois avant d'arriver sur le blog  ...
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Dans la catégorie Polars , cette année il n'y avait pas de quoi casser trois marches à un podium. Certes, on a bien lu un excellent Indridason et un très bon Donna Leon mais ces deux auteurs sont souvent cités ici et avaient déjà eu droit aux honneurs les années précédentes donc ....
Reste cette année :
Quand même, la découverte de R. J. Ellory et de ses deux bouquins dont l'excellentissime Seul le silence. L'autre volume (Vendetta) n'est pas mal non plus, même s'il n'atteint pas (à nos yeux) les sommets du précédent. Mais l'un ou l'autre, c'est incontestablement lui la révélation polar de 2010 !
C'est écrit par un anglais mais on jurerait du Truman Capote (à qui ce livre est dédié d'ailleurs), du Faulkner ou du Steinbeck, si, si.
On y retrouve ce souffle des grands écrivains américains, de ceux qui savent raconter une histoire. Rien de moins que l'histoire de la vie, la dure et la vraie vie. 
À cette lecture on ne peut qu'évoquer ces auteurs US perdus dans les vastes étendues sauvages de l'Ouest.
Sauf que R. J. Ellory a grandi à Birmingham même si son histoire se passe dans les États du Sud, en Géorgie.
C'est aussi un livre sur la littérature, ou plus exactement sur l'écriture, quand lire est une raison d'être et quand écrire est un besoin vital : l'histoire d'un jeune garçon qui noircit des cahiers sous l'œil bienveillant de son institutrice. Un jeune garçon dont l'adolescence et finalement la vie vont être façonnées par d'ignobles crimes.

La suite du podium polars est moins évidente.
Peut-être faut-il citer Le silence de la pluie du brésilien Luiz Alfredo Garcia-Roza.
Un polar original et bien mené, une promenade pas toujours paisible mais toujours agréable dans les rues et les bars de Rio, ... que demander de plus ?
On a même droit en prime à un dénouement très (comment dire sans trop en dévoiler ?) très plaisant où l'assassin reçoit un châtiment qu'il ne méritait pas (ce doit être ça qu'on appelle un happy end dans le sud).

Et puis Du sang sur la neige. Presque pas un polar.
L'écriture de Levi Henriksen (rocker norvégien de son état) n'atteint pas encore les cimes de ses illustres aînés nordiques mais ce n'est là que son premier roman en français (le quatrième chez lui) et si l'on en croit cette fournée, le futur est prometteur !
Un roman pas banal, attachant et un univers très personnel mais dans lequel on se laisse emporter sans difficulté (mais chaudement habillé).


Pas d'hésitation par contre, dans la catégorie Romans où 2010 est un grand cru :
Sans hésitation, ce sont Les chaussures italiennes qui remportent la palme cette année.
Certes Henning Mankell avait déjà eu droit à une palme (c'était en 2007) mais pour ses polars.
Le voici au rayon romans pour cet excellentissime histoire.
On aimerait en voir adapté un film, non pas à cause du scénario mais parce que les images y sont évoquées avec une force peu commune et qu'il ne faut que quelques lignes à Mankell pour nous plonger au coeur de l'hiver suédois aux côtés de son héros. Dès les premières pages on sent qu'on tient là un superbe roman à l'écriture sobre, qui fait mouche à tous les coups, qui touche à toutes les pages. Ça sent l'humanité, la vraie vie.

Pas de contestation possible non plus pour consacrer Le chemin des âmes et l'histoire forte du demi-indien qu'est Joseph Boyden.
Une écriture simple mais ample, à l'américaine, avec une puissance d'évocation peu commune.
L'histoire de deux indiens crees d'Amérique du nord, enrôlés dans l'armée canadienne venue lutter  contre les teutons pendant la Grande Guerre de 14-18. Deux amis inséparables. Et la tante de l'un deux, une vieille sorcière cree.
Une histoire admirablement construite autour de trois récits qui s'entrecroisent avec une surprenante fluidité.
Mais le roman de Joseph Boyden n'est pas qu'un récit de guerre de plus, loin s'en faut, et malgré l'horreur des tranchées on devient très vite accro à l'histoire qu'il nous conte. Sans doute parce que ses trois personnages (tout comme son écriture) sont lumineux et que, malgré les terribles souvenirs qui remontent, on se sent étonnamment bien aux côtés de la vieille sorcière cree au fond du canoé. Et l'on voudrait que le voyage de retour dure encore.

Et finalement, pas de débat non plus pour le troisième lauréat : Le cercle des amateurs d'épluchures de patates des deux américaines : Mary Ann Shaffer et Annie Barrows.
On en vient presque à regretter parfois le format épistolaire de ce bouquin tant on aimerait que cette formidable histoire prenne de l'ampleur. Et puis on se dit un peu plus loin que le changement de ton d'une lettre à l'autre permet justement au lecteur de respirer : il est quand même pas mal question des séquelles de la guerre (celle de 40-45 cette fois).
L'ironie profondément humaine de ce livre nous permet de ricaner et de glousser entre deux souvenirs d'horreurs.
Un livre très proche de 84 Charing Cross Road qui était déjà sur le podium 2007.
Avec peut-être le regret de ne pas pouvoir nominer cette année, faute de place sur le podium, les Prodigieuses créatures.


  2010 fut également une belle année cinéma :
Une année qui avait commencé en fanfare avec l'Avatar de James Cameron.
Certes le film a déjà un an, certes il était basé sur des effets d'animation, certes. Mais comment oublier qu'il nous avait vraiment bluffés ?
Quel superbe livre d'images ! Cameron ne s'est pas fichu de nous et on en a vraiment eu pour notre argent. C'est tout un univers qu'il a recréé pour nous : un peuple avec sa langue, sa religion et sa culture, une faune fantastique et une flore magique, à la Miyazaki, tout y est et c'est superbe !
Même MAM, pourtant allergique à la esseffe, était redescendue de Pandora enchantée de toutes ces belles images.

À peine quelques jours après cet Avatar, un autre grand du cinéma, Coppola nous assénait une autre claque avec son Tetro.
Là aussi, un pari cinématographique pas évident de prime abord avec le noir et blanc. Mais un si beau noir et blanc qu'on en vient à regretter que le technicolor ait été inventé !
Chaque plan est travaillé au millimètre, les jeux d'ombres et de miroirs se font écho, la musique fait presque partie des dialogues : du grand cinoche comme on aime.
Et puis quelle histoire !
Aucune violence physique à l'écran, mais quelle tension dans cette sombre histoire de famille où Coppola revisite le mythe de Coppélia .

Il y eut un peu plus de débats chez BMR & MAM pour la troisième marche du podium.
On aurait aimé citer le sombre Biutiful ou même le trépidant Green Zone.
Ce sera finalement le coup de coeur pour Dans ses yeux de l'argentin Juan José Campanella qui l'emportera, à bien juste titre.
Le film prend son temps pour installer et développer ses quatre personnages qui vont s'entrecroiser pendant vingt-cinq ans pour notre plus grand plaisir.
Et peu à peu, la fiction juridico-policière cède le pas à une très belle histoire d'amour ... qui n'a pas eu lieu.
Même verdict donc, côté justice et côté amour : non lieu.
Polar, comédie, romance, passé historique de l'Argentine, ... que demander de plus à ce film remarquablement construit et soigneusement équilibré ?


Dans la catégorie miousik :
Il était temps de rendre justice à notre reggae préféré, celui de Tiken Jah Fakoly à l'occasion de la sortie de son dernier album : African Revolution.
On s'éloigne un peu du reggae des débuts, très roots avec ses grands choeurs féminins (on aimait bien) pour gagner une orchestration très fine et riche en instruments de toute sorte, dont une basse chaleureuse, des percussions syncopées et bien sûr la traditionnelle kora mandingue. Ce renouvellement musical rafraîchissant est bien venu.
On retrouve toujours avec plaisir quelques reggaes très musicaux et très poétiques.
Mais ce sont bien sûr ses textes les plus décapants qui ont fait la renommée du trublion Tiken Jah.
Des textes rafraîchissants, très “basic politic”, bien éloignés de la langue de bois à laquelle nous sommes habitués. À écouter sur notre playliste.

Le sympathique duo australien Angus et Julia Stone a parcouru pas mal de chemin tout au long de l'année et on entend maintenant leur Big Jet Plane un peu partout, dans les supermarchés comme chez les Émotifs anonymes.
Ce n'est pas une raison pour ne pas reconnaître notre coup de coeur de l'année 2010 pour le folk discret mais classieux de ces deux jeunes kangourous.


Barbara Gosza est plus confidentielle.
Ses chansons sont moins “faciles”, sa voix plus exigeante, mais ne tournons pas autour du pot : ce fut indubitablement “LA” voix découverte cette année.
Entêtante et dépouillée, plaintive et entêtée, cette voix sonne clair, entre mélancolie et lumière et n'hésite pas à reprendre des standards de Cohen ou Dylan.
À écouter ici.


Bon curieusement, la catégorie BD était un peu en veille cette année : notre activité BD est chaotique avec pas mal de “suites” en lecture ou en attente, qui permettront bientôt de réactiver quelques billets. Mais guère de grandes nouveautés en 2010. Gageons que notre année 2011 sera plus fertile et surtout notre blog-BD plus bavard.
Voilà, c'est dit, c'est fait, salut 2010 et vive 2011 !
Et pour les retardataires des retardataires qui auraient raté le best-of 2009 : c'est encore !


Cinoche : Octubre

C’est pas le Pérou.

À Lima, le mois d'octobre est celui des processions du Christ miraculeux, le Christ brun, le Señor de los milagros.
Octubre c'est donc le moment où l'on peut espérer un (petit) miracle qui viendrait égayer (un peu) sa vie misérable.
Une vie minable, c'est celle que mène Clemente, prêteur sur gages (autrement dit : usurier), tout seul dans son appartement miteux à manger des sandwiches aux œufs durs entre deux recours à des professionnelles des plaisirs tarifés.
Un jour d'octobre, un bébé lui tombe dans les bras. Une fille.
“SA” fille, en fait. Le fruit de l'un des plaisirs tarifés évoqués plus haut, que tente donc de lui refiler une “puta” qui a d'autres choses à faire que d'élever les gosses de ses clients.
Voilà qui vient bousculer fort désagréablement la vie monolithique, taciturne, routinière et unicolore de Clemente.
Dans l'appartement tristounet de Clemente, le bébé s'installe.
Puis une voisine venue lui prêter main forte pour s'occuper de cette progéniture indésirable et insatiable.
Une voisine à Bon Dieu, adepte des processions du Christ miraculeux et des concours de mots-croisés du journal.
Puis un petit vieux sdf qui fait les mots-croisés de la voisine.
Puis la petite vieille grabataire que le petit vieux a réussi à faire “évader” de l'hôpital.
Peu à peu (le film est très lent), cela finit par faire beaucoup de monde dans le petit appartement de Clemente.
Beaucoup de bruits, de dérangements bref, beaucoup trop de chaleur humaine et de vie dans la vie routinière de Clemente.
On sent que tout est près de basculer, d'autant que, c'est un signe, la prostituée habituelle de Clemente (pas la mère de la petite donc !) a fait réparer sa porte branlante qu'il fallait soutenir depuis des années avant toute entrée ou sortie : on peut pas rester pareil toute sa vie quand même.
Et puis non, le petit vieux s'en va avec sa petite vieille.
Et puis non, la voisine est priée de rentrer chez elle avec le bébé.
Alors Clemente reprend sa petite vie routinière et pitoyable et mange de nouveau des sandwiches aux œufs durs. On approche de la fin octobre, le temps d'une dernière procession du Christ miraculeux.
Bien sûr on ne vous dévoile pas la fin et on vous laisse découvrir si, finalement, le Señor de los milagros se fendra d'un petit miracle pour les petites gens ...
Les frères Daniel et Diego Vega filment en virtuoses (quels cadrages !) la solitude et la difficulté des rapports humains.
Le tout sur un fond de dérision et d'humour noir qui évite tout mélo et tout cliché facile.
Un film intéressant, plutôt réussi ... mais très lent.
La vie de Clemente et de ses voisins, c'est pas bien gai. Et c'est pas filmé bien gai non plus.
Pour amateurs avertis.


Pour celles et ceux qui aiment attendre des miracles.
Kilucru, Critikat et Le Monde en parlent.

Cinoche : Another year

2011 : another year ?

Le film de Mike Leigh n'est distribué que dans de rares cinés mais il fait salle comble et ce n'est certainement pas uniquement dû à son titre accrocheur en cette période : Another year.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifAvec ce film, vrai gros coup de cœur, cette autre année qu'est 2011 commence donc en beauté.
Sur la toile de Mr. Leigh les saisons défilent, du printemps à l'hiver et l'on devine qu'après les saisons, ce sont les années qui se répètent.
À dire vrai, la fin de la séance nous laisse assis sur nos fauteuils et on aimerait bien rester quelques saisons de plus en la charmante compagnie de Tom et Gerri (et oui, y'a des noms comme ça ...).
Tom et Gerri sont deux londoniens. Lui est géologue, elle est psychologue. Ils approchent de la retraite. Ils cultivent leur jardin.
Tout comme le jardinier Darroussin de J. Becker, ils ont faite leur, la maxime de Confucius : Cultiver son jardin et ses légumes pour subvenir à ses besoins quotidiens, voilà ce qu'on appelle la politique des simples.
Leurs grandes satisfactions ne sont pas professionnelles(1) et pour leur bonheur il suffit d'avoir de belles tomates et un fils heureux en mariage.
Autour d'eux gravitent quelques amis esseulés comme Ken et surtout Mary, une collègue de Gerri, en complète perdition.
Malmenée par les intempéries de la vie, larguée par ses mecs, lâchée par sa petite auto rouge, Mary part à vau-l'eau, ou plutôt à vau-le-vin-blanc.
Dans l'océan agité de la vie, Tom & Gerri font figure de bouée de sauvetage : l'accueil bienveillant de Tom & Gerri, la maison chaleureuse de Tom & Gerri, les sandwiches et les petits plats savoureux de Tom ou Gerri, ...
Au fil des saisons et des rendez-vous, on reste béat devant ces portraits.
Il y a plusieurs façons de lire le film de Mike Leigh qui, comme le dit Lorraine, est un film qui fait réfléchir (presqu'au sens premier de miroir) et causer.
On peut y voir les efforts désespérés (et désespérants) de Mary pour s'accrocher à la bouée Tom & Gerri : elle est prête à tout, comme à enfoncer la tête sous l'eau de son compagnon d'infortune Ken puisqu'il n'y a certainement pas de place pour deux sur la bouée. Elle est prête à tout et avec tout le monde mais on ne vous en dit pas plus.
On peut également y suivre la voie (trop ?) rectiligne tracée par Tom & Gerri : droits dans leurs bottes en caoutchouc, ils suivent leur bonhomme de chemin, imperturbables dans leur abri de jardin, expliquant à leurs amis que tout est question de choix dans la vie et que, une fois les choix faits, et bien il faut les assumer. À ce propos, l'une des scènes qui ouvre le film et où l'on voit Gerri dans l'exercice de son métier(2) est riche d'enseignements sur cette facette du film.
On peut encore y apprendre les différentes façon de picoler : avec assiduité et application comme Mary et Ken(3) ou tout en douceur comme Tom & Gerri sur leur canapé le soir (vin rouge pour monsieur, vin blanc pour madame) ou encore dans leur abri de jardin sous la pluie (là, c'est plutôt thé anglais).
Mais le regard désabusé de Mike Leigh se garde bien de donner des leçons de morale : à chaque spectateur, selon son histoire, selon son humeur, de se faire son propre film.
Ce sera de toute manière un beau film : les acteurs sont vraiment extraordinaires et tant de choses non dites passent dans un silence ou un regard ... Du beau cinéma.
Avec une palme pour le couple Tom & Gerri : Jim Broadbent et Ruth Sheen, plus vrais que vrais : installez vous près de l'écran, histoire de mieux partager l'intimité de leur cuisine qu'on voudrait ne pas quitter.
Il serait vraiment dommage de démarrer une autre année en passant à côté de Another year ....

(1) : Tom a déjà la soixantaine et ne verra jamais la fin de son tunnel, on n'aura plus de nouvelles de la patiente de Gerri, ...
(2) : elle est psychologue, son fils Joe assiste des travailleurs immigrés, son amie Katie est ergothérapeute ...
(3) : bon d'accord Ken, c'est plus que de l'application et il arbore un T-Shirt : less thinking, more drinking ... what a program !


Pour celles et ceux qui aiment les tomates, le thé ET le vin blanc.
Lorraine, Alain, Kilucru, Le Monde, Critikat en parlent.

Miousik : Cocoon (2)

Que 2011 tourne rond !

On commencera 2011 en douceur et en musique, en vous faisant partager ce que le père Noël nous a laissé au pied du sapin : le dernier album des deux petits frenchies de Cocoon, Mark Daumail et Morgane Imbeaud, qui sont un peu à notre hexagone, ce que Angus et Julia Stone sont à l'Australie.
Where the oceans end est un bel album avec une jolie pochette et des histoires de bateaux et de dauphins.
Depuis 2008, le duo ne se renouvèle guère (il faudra quand même y songer et peut-être laisser plus de place à la voix de la fée Morgane !) mais cet album bénéficie d'une belle orchestration, guitares et basses sautillantes, légères percussions qui roulent et qui roulent, dopant les douces mélodies toujours aussi propices à se cocooner au coin du feu. 
Avec toujours de fort beaux textes :
Cathedral :
There is a time to let it grow,
There is a time to let it slow,
There is a time to let it go.
Dolphins :
In the Lower East Side of my heart there’s a place where you can go.
Sushi :
In the morning, I’ll go down the graveyard
To make sure you’re gone for good, to make sure you won’t hurt again.
May you rest in peace.
Pony riding, sushi cooking, may you be where you wanted.
Oh we talked about it after one or two beers.
And the worst days that life brings, all the bad movies, and all the earthquakes,
Oh the worst days are just buried into the snow.
Super powers :
When I grow up I wanna be a sheperd, walking for miles across the rivers.
Fighting with wolves with the fire I’d make, healing my sheep with my super powers.
From the dawn to the setting sun, looking at the shape of clouds,
Making sure the world keeps spinning, making sure that you’re allright.
Avec Cocoon, on vous souhaite donc que la neige emporte les mauvais jours et que 2011 tourne rond !

Pour celles et ceux qui aiment commencer l'année en douceur et en musique.
Leur site officiel.