Cinoche : Incendies


Le Liban à feu et à sang.

Dans notre récent billet sur Même la pluie(1) on parlait d'images fortes qui secouent un peu ... mais c'était avant d'être allé voir Incendies !
Ouh ! Le film du québécois Denis Villeneuve sur la tragédie libanaise n'est pas conseillé aux âmes sensibles !
Et pourtant la violence est à peine montrée à l'écran.
Justement, on voit ce qui s'est passé avant, ce qui se passera après, mais la mise en scène elliptique nous laisse imaginer le pire entre les deux ...
D'ailleurs ça tombe bien :  c'est le pire qui s'est passé entre les deux.
Une des premières scènes, se déroule tout en “douceur”, quasiment au ralenti, avec une musique presque agréable(2) ... et l'on y voit de jeunes enfants, enrôlés de force dans une armée, enfants pieds nus, miliciens en rangers, en train de tondre les enfants la boule à zéro, pas un bruit, pas une explication, pas un cri, presque au ralenti on l'a dit.
Mais une scène d'une rare violence contenue ... Au spectateur de se débrouiller et d'encaisser comme il peut !
Un spectateur qui préfèrait de loin les scènes gores où il pouvait fermer les yeux au mauvais moment, forcément passager.
Ici, pas de faux-fuyant : Denis Villeneuve veut nous faire toucher des yeux l'horreur absurde et insoutenable des guerres civiles qui ravagent ces pays, notamment au Moyen-Orient où une simple étincelle peut embraser de redoutables incendies. Et il n'y va pas avec le dos de la main morte ...
Ça commence plutôt sympa, au Canada, avec l'accent chantant de nos cousins québécois.
Deux jumeaux apprennent par le testament de leur mère récemment décédée qu'ils doivent partir à la recherche de leur père et d'un frère dont ils ignoraient l'existence. Maman était d'origine libanaise et visiblement c'était pas une mère poule.
Les voici donc au Moyen-Orient sur les traces de cette femme méconnue. Le film alterne entre quelques rares images d'un Québec gris, sale et pluvieux et l'aride beauté des montagnes ventées du Liban(3), entre la quête des jumeaux et la reconstitution pas à pas de la vie agitée de Nawal quelques 35 ans auparavant.
Et ça commence fort : à l'aube de la guerre de 1970, Nawal est chrétienne, amoureuse d'un réfugié palestinien, sa famille ne peut évidemment l'accepter et trucide l'amoureux, Nawal accouche d'un enfant de la honte qui lui est enlevé, sans aucun doute le fameux frère que les jumeaux doivent retrouver.
Las, Nawal n'est pas au bout de ses peines, c'est le moins qu'on puisse dire. Et c'est donc loin, mais alors très loin d'être fini (ou commencé) pour les jumeaux ... comme pour le spectateur.
Le contexte libanais est aisément reconnaissable même si Villeneuve ne le cite jamais explicitement : son propos n'est pas de nous raconter l'histoire douloureuse de ce pays en particulier mais de mettre en scène la tragédie universelle de toute guerre civile, l'absurdité de l'engrenage infernal qui, d'assassinat en vengeance, de massacres en représailles, mènera tout le monde à sa perte. Et par quels chemins d'inhumaines horreurs ...
Alors évidemment, les images ne sont pas de tout repos.
Les éloges pleuvent déjà sur l'actrice Lubna Azabal qui incarne cette mère qui porte sur ces épaules toute la misère de notre monde tragique. Trop sans doute, alors qu'on nous permette de citer plutôt la fille, Mélissa Désormeaux-Poulin, toujours juste, qui est un peu “nous” et à laquelle on peut plus aisément (à laquelle on a envie et besoin de) se raccrocher.
Aux trois-quarts du film, un petit brin d'humour viendra soudain ponctuer un dialogue de façon inattendue et toute la salle se surprend, qui à pouffer, qui à souffler, qui à se regarder, tout le monde heureux de pouvoir se décrisper un peu, même si ce répit inespéré n'est que de quelques secondes.
L'histoire, qu'on ne comprendra vraiment totalement que dans les derniers moments où nous seront enfin livrées les ultimes clés permettant de décrypter les premières scènes (dont celle des enfants soldats, évoquée au début), l'histoire donc est absolument hallucinante, presqu'iréelle ou surréaliste mais dans le sens des tragédies antiques de Racine(4) dont les héros étaient broyés par d'inéluctables destins, d'implacables fatalités, bien au-delà de la résistance humaine, comme ici pour Nawal et ses enfants.
Le film est d'ailleurs adapté d'une pièce de théâtre du québécois Wajdi Mouawad, une tragédie contemporaine si on veut.
Curieusement, même si c'était du théâtre, même si c'est trop pour être seulement vraisemblable, et bien pour une fois on ne se dit pas en sortant, même pour plaisanter, "ouf, heureusement que c'est du cinéma !". Et là, je crois que Denis Villeneuve a atteint son but.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifAlors un coeur ? Oui, bien sûr c'est un très bon film, à voir, mais un coeur qui bat un peu fort alors !
Âmes sensibles, s'abstenir, mais ça, vous aviez compris !
(1) : ne le manquez pas ! non, pas le billet : le film ! 
(2) : Radiohead 
(3) : c'est tourné en Jordanie 
(4) : comme Phèdre par exemple ...

Pour celles et ceux qui aiment voir autre chose que le JT compassé de 20 heures. 
Kilucru, Critikat, Louis, Johanne en parlent.

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