Bouquin : Purge

D’est en ouest, l’enfer.

Voilà plusieurs semaines que ce livre nous attendait sur le haut de la PAL, la Pile à Lire.
Prix Femina étranger, ce bouquin avait fait, à l'automne dernier, la Une de la rentrée littéraire et de nombreux blogs.
Il faut dire qu'avec Purge(1), la jeune finno-estonienne de 34 ans Sofi Oksanen a frappé fort.
Très fort, façon coup de poing.
Lors d'un voyage il y a quelques années à Riga et Talinn BMR & MAM avaient été scotchés par l'étonnant musée, je cite, des occupations nazie et soviétique ... les habitants de ces pays baltes ont en effet un point de vue décapant sur ces deux grands bouleversements du XX° siècle. Pour eux les invasions allemandes et russes sont à mettre sur le même plan, bonnet blanc et blanc bonnet. Ils accueillirent à bras ouverts les nazis venus les délivrer des soviétiques, puis accueillirent de nouveau dans les mêmes bras, l'armée rouge en route pour Berlin. Ils s'en repentirent en attendant la chute du Mur.
Les baltes manquaient peut-être de discernement géopolitique mais surtout ils se trouvaient vraiment mal placés, juste là où il ne fallait pas et ils furent victimes du pacte germano-soviétique comme des accords de Yalta.
[...] - Roosevelt va venir !
- Roosevelt est mort.
- L'Ouest ne nous oubliera pas !
- Ils nous ont déjà oubliés. Ils ont gagné et oublié.
C'est sur ce fond historique que Sofi Oksanen peint sa toile.
En 1992, une vieille mamie estonienne fait ses conserves dans sa ferme des environs de Tallinn.
Un beau matin, elle découvre une jeune fille perdue dans sa cour.
Mais visiblement cette jeune fille paumée n'est pas arrivée là par hasard ...
Quel est est le lien qui unit ces trois générations ?
On le découvrira au fil de toute une série de flash-backs qui vont éclairer la vie de ces deux femmes.
Comme on l'évoquait plus haut, elles ont traversé (et subi) les grands bouleversements du siècle, non sans dommages.
Et Sofi Oksanen se charge de nous faire partager les souffrances de ces deux femmes détruites.
C'est un bouquin choc, dur, à ne pas mettre en toutes les mains. Ou plutôt si : à mettre entre toutes les mains, il faut lire cette histoire, il faut comprendre notre siècle.
Une histoire qui serait un peu la version estonienne des hommes qui n'aimaient pas les femmes ...
La jeune Zara revient d'un exil forcé à Vladivostok. Attirée par les lumières de l'ouest, elle est passée par la case bordel à Berlin avant d'atterrir dans la cour de la vieille Aliide.
Mais la vieille Aliide n'a pas eu la vie beaucoup plus facile. Peut-être pire.
Et quel est donc le lien qui unit ces deux femmes, peut-être contre leur gré ?
On n'en dévoile pas plus, vous découvrirez toute l'histoire, toute l'Histoire, au fil des pages.
Au fil des chapitres sont égrenées les pages d'un vieux cahier mystérieux, découvert dans un placard de la ferme d'Allide.
Qui est ce Hans qui y était enfermé ? Combien de temps y est-il resté et pourquoi ?
[...] Elle ramena l'armoire devant la porte et alla nettoyer le sang sur le sol de la cuisine.
Un prénom par ici, une sœur par là, un mari à telle ou telle époque ... peu à peu Sofi Oksanen nous livre les pièces d'un terrible puzzle dont on se doute que l'image finale ne sera pas bien belle à regarder ...
On pourrait se croire parfois dans un polar mais on est vite rattrapé par l'Histoire et son cortège de malheurs. Des choses terribles capables de vous détruire une femme, une vie, une famille, ...
La vieille Aliide n'a plus qu'une idée dans sa pauvre tête : faire ses conserves et remplir sa cave ...
Ce bouquin, fort bien écrit, est l'occasion éprouvante mais idéale de découvrir ces petits pays méconnus malmenés par l'Histoire, notre Histoire commune.
Que ce sombre roman ne vous empêche pas d'aller visiter Tallinn (Estonie donc) et surtout Riga (Lettonie) : deux très belles capitales. Les allemands sont partis, les russes ... presque(2).
(1) : son troisième roman, le premier traduit en français.
(2) : l'URSS avait mis en place un plan d'immigration massive, notamment en Estonie : aujourd'hui encore, près d'1/3 de la population est russophone. On se souvient peut-être des évènements qui avaient agité ce pays il y a peu. C'était en 2007, l'Express en parlait.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires avec de l'Histoire dedans.
C'est Stock qui édite ces 395 pages parues en 2008 en VO et qui sont traduites du finnois par Sébastien Cagnoli.
Sylvie, Gambadou, Aifelle, Leiloona, Clara en parlent. D'autres avis sur Babelio.

Miousik : Armistice

Mexico via Montréal.

On n'avait pas craqué pour Cœur de Pirate, pas du tout.
Même pas parlé ici. Na.
Mais, mais ... on pourrait bien se laisser attirer par le chant de la sirène Béatrice Martin.
Cœur de Pirate, c'était elle, la québécoise.
Sauf que la voici de retour avec son “chum” Jay Malinowski dans le duo Armistice.
C'est tout neuf, tout frais et ça vient de sortir.
On aime bien l'ambiance sud-western à la Calexico ou à la Campbell/Lanegan ... avec toujours un léger et subtil second degré qui nous fait regretter qu'Ennio Morricone ne compose plus, tiens pourquoi pas la musique du True Grit des frères Coen ? !
Pas sûr que le duo soit celui du siècle, mais ça s'écoute gentiment. Et puis leurs deux voix(1) gagnent à chanter en chœur.
Des morceaux comme Mission Bells et surtout Jeb Rand valent un petit voyage pour le Mexique via Montréal ...
(1) : qui a dit insupportables ? oui, ouïes isolément sans doute, mais écoutez-les donc ensemble ici ...

Pour celles et ceux qui aiment les tortillas au sirop d'érable.

Cinoche : Le discours d'un roi


Le roi bègue.

Quel beau début d'année cinéma que 2011 : Même la pluie, Incendies, Angèle et Tony, ...
et voici maintenant, Le discours d'un roi.
Sans doute le plus attendu des quatre, mais heureusement, tout à fait à la hauteur des espoirs.
Quel talent que celui du réalisateur Tom Hooper (et du scénariste David Seidler) que d'arriver à réussir ce film et pour un large public, à partir d'un sujet aussi improbable que les difficultés d'élocution du roi George VI ...
Chapeau !
L'histoire est connue, puisque c'est l'Histoire : à la veille de la seconde guerre mondiale, le roi Geroge V se meurt et le Prince Albert, duc d'York doit assumer la charge royale dont son dandy de frère aîné n'a pas voulu.
Sauf que le Prince Albert bégaie. Effroyable pour une personne publique, pour la voix de la Grande Nation Anglaise de l'époque.
Il trouvera une aide (outre son épouse aimante et dévouée : joli rôle pour Helena Bonham-Carter), il trouvera une aide donc, en la personne d'un australien, l'orthophoniste Lionel Logue. Grâce à ses soins il arrivera à prononcer sans trop de difficultés le fameux discours de déclaration de guerre, le discours d'un roi, la voix de la Grande Nation Britannique qui rassemblera tout le monde face à l'ennemi nazi.
Les deux hommes resteront amis.
Voilà pour l'Histoire et l'histoire, résumées en quelques mots.
Mais quel film ! Quelle tension ! On sort de la salle soulagé de pouvoir reprendre sa respiration.
Sans artifices ni excès, Colin Firth réussit à nous rendre palpable toute sa souffrance.
À nous faire ressentir l'énorme poids de la charge qui pèse sur la famille royale(1), une charge que le frère aîné choisira de fuir en Amérique. Comment ne pas finir par bégayer avec une telle pression ?
L'autre volet du film, tout aussi magistral, tient dans la relation entre le futur roi et le “docteur” Logue (Geoffrey Rush, admirable également) qui a bâti sa pratique en traitant les rescapés de la Grande Guerre, rendus muets d'horreur et d'effroi.
Les relations entre les deux hommes (l'un de rang royal, réticent, l'autre, accusé d'être à moitié charlatan, sans diplômes mais convaincu de sa pratique), leurs dialogues, tout cela est plein d'intelligence.
Nul doute que ce succès (la salle est comble) gagnera une place méritée sur le podium 2011.
Au passage, on notera, mi-amusé, mi-étonné, les relations arrogantes que l'Empire Britannique entretenait encore alors avec ses colonies(2) qu'il s'agissait de mobiliser derrière la bannière de l'Union Jack : 
[...] j’invite mon peuple d’Angleterre (at home en VO, sic) et mes peuples d’outremer (overseas en VO, re-sic) à épouser notre cause ...[...] I now call my people at home and my peoples across the seas, who will make our cause their own ...
Le roi parle à la radio (le JT de 20h n'existait pas encore) et le miracle technologique de la TSF parvient à diffuser la parole royale dans les colonies les plus reculées de l'Empire.
Tout cela est passionnant.

Le vrai discours original, hésitations comprises : émouvant, à (ré-)écouter après le film.
C'était le 3 septembre 1939.
(1) : dans le film, son épouse lui dit en substance : j'ai accepté de t'épouser parce que je pensais que, bègue, “ils” te ficheraient la paix et te laisseraient tranquille ...
(2) : rappelons que le docteur Logue était ... australien !

Pour celles et ceux qui aiment les handicaps. 
Libé, Nico en parlent.   À voir aussi  : Un week-end royal.
Une interview de David Seidler, 73 ans, bègue, et scénariste du film.

Cinoche : True grit

Une sacrée fille.

Très attendu, le renouveau du western par Coen & Coen : True Grit.
En plein Arkansas (prononcer Arkansa sans "s"), à la fin du XIX°, la jeune Mattie Ross, 14 ans, vient de perdre son papa revolvérisé par le vilain Tom Chenay.
La jeune fille se met en quête de trouver un marshall (l'affreux Tom Chenay est en fuite sur les terres indiennes) pour aller rattraper l'assassin, le ramener en ville et le faire pendre. Il lui faut un homme de caractère, avec du cran, une vraie trempe, “True Grit”.
On lui indique Cogburn (Jeff Bridges) un marshall vieillissant, empâté et imbibé, avec une réputation de gâchette facile, prompt à exécuter lui-même les sentences et éviter ainsi au juge d'avoir à les prononcer. C'est justement ce qu'il faut à la jeune Mattie, déterminée à venger son père.
Ils seront accompagnés d'un Texas Ranger (Matt Damon), ridicule et arrogant, caricature du cow-boy de rodéo avec blousons à franges et bottes à éperons qui font bling bling. Il est rapidement blessé à l'épaule : voici donc Mattie Ross galopant dans les montagnes derrière un borgne alcoolo et un manchot prétentieux, à la poursuite des vilains ...
Car le véritable True Grit de l'histoire c'est bien sûr la jeune Mattie. Étonnante Hailee Steinfeld (14 ans aussi dans la vraie vie !) qui incarne cette jeune fille déterminée à faire sa place et à ne pas s'en laisser conter (ni compter, d'ailleurs !) dans ce monde de brutes impitoyables, un monde d'adultes, un monde masculin et hostile.
La première partie du film est la plus savoureuse où l'on découvre cette jeune fille âpre et décidée, négocier l'enterrement de son père avec le croque-mort, le rachat du bétail avec le maquignon, et bien sûr la prime au bandit avec Jeff Bridges.
Son true grit lui permettra, on s'en doute, d'arriver à ses fins et d'obtenir réparation pour la mort de son père.
Elle gagnera ses galons de “cow-boy”, mais payés au prix fort et devra y laisser un peu d'elle-même.
Hailee Steinfeld sera sans doute nominée un jour pour l'oscar du second rôle mais, dans ce film, c'est elle qui, incontestablement, tient le haut de l'affiche !
Le reste est fidèle aux Coen Brothers qui s'amusent avec les clichés du genre et l'on voit qu'ils ont grandi avec : pendaisons brutales, train à vapeur, croque-mort luckylukeste, duels homériques, embuscades sournoises, mine d'argent abandonnée, chevauchées fantastiques, tout y est ...
Seuls les indiens sont quasi-absents(1) et moi, j'aimais bien quand y'avait des indiens.
On n'échappe pas non plus aux clichés Coeniques : amputations brutales en tout genre, doigts, langue, bras, tout y passe ! La salle rit en se cachant les yeux !
Le divertissement est bien mené même s'il s'agit d'un monde impitoyable et violent, sans morale ni encore vraiment de loi, où les cadavres s'empilent(2).
Mais voilà. Il ne s'agit que d'un divertissement et en sortant du ciné on a déjà presque tout oublié, hormis l'étonnante Mattie Ross. Les frères Coen lui doivent une fière chandelle.
En 2008, There will be blood nous avait asséné une claque bien plus magistrale.
On se rappelle encore aussi le sifflet du train de 3h10 to Yuma, autre remake comme celui des frères Coen, qui mettait lui aussi en scène un regard d'ado sur les clichés du western.
Bref, les frères Coen font le minimum et se la coulent douce au fond de la classe : auraient quand même pu mieux faire.

(1): on est pourtant en territoire Choctaw ...
(2) : s'ils voulaient une sépulture décente, ils n'avaient qu'à se faire descendre au printemps quand le sol n'est plus gelé


Pour celles et ceux qui aiment les cow-boys.
Nicolinux en parle, Critikat est sévère as usual.

Bouquin : Nord

Polar agricole.

On est habitué des flics au lourd passé qui traînent leur mal de vivre tout au long de leurs enquêtes dans les bas-fonds de l'âme humaine.
Mais Jack, le héros de Frederick Busch, détient certainement une palme : son passé pèse des tonnes !
Avec Nord on le découvre un peu tard(1) mais cela rend son histoire encore plus mystérieuse et plus épaisse. Il devenu "le-flic-qui-ne-retrouve-pas-les-enfants" ...
À commencer par sa propre fille qu'il n'a pas su ou pu sauver. Du coup son couple a explosé en vol.
Une autre enquête vient hanter ces nuits, une histoire où il s'est avéré incapable de retrouver une jeune fille (seulement son meurtrier, c'est déjà pas mal).
De flic en shérif puis en gardien de campus, le voici maintenant vigile dans un bar quelconque d'un état du sud. La dégringolade. Et même son chien fidèle, un trop vieux labrador, est en train de le lâcher. La déroute.

[...] Dans un couple, on doit dire son secret. C'est ce que je crois maintenant. Mais j'ai aussi cru que ma femme mourrait du nôtre. Alors je l'ai gardé pour moi. Il n'y a plus eu de couple.

Lorsqu'une belle avocate vient lui proposer de chercher un neveu (encore un grand gosse à retrouver ...) il saisit l'occasion de tout larguer dans le sud et de retourner sur les traces de son passé, dans le Nord, un nord qu'il a perdu depuis de nombreuses années.
Le voici donc revenu près de la frontière canadienne, à la recherche du neveu disparu, rôdant autour de quelques fermes louches dont les champs de maïs pourraient bien cacher des cultures moins fourragères ...
Évidemment il n'est pas vraiment le bienvenu parmi les bouseux du coin, visiblement plus soucieux de protéger le secret de leurs petits trafics.
Heureusement il retrouve son seul et vrai ami, un grand black désormais atteint d'un cancer. Et sa femme Sarah.
Une Sarah dont notre ami Jack fut un peu trop proche à une lointaine époque désormais révolue : quand on vous disait que son passé pesait des tonnes.
Et puis il y a Georgia, la fille d'un notable du coin, une jeune femme qui n'a pas froid aux yeux (et qui n'a pas froid du tout d'ailleurs). Elle se prend pour une journaliste et aimerait bien écrire l'histoire de Jack, ce qui a le don de le mettre en rogne.
Ça c'est du polar, du beau, du vrai, du noir. 
Malheureusement, on a vécu un peu le même syndrome qu'avec le récent Signal : une première partie forte, une histoire qui dépote, une écriture qui accroche ... et puis une seconde partie qui s'enlise dans les clichés et les péripéties convenues.
Comme les scènes de cul(2) avec la bombe Georgia qui n'étaient ni faites ni à faire. C'est pas qu'on n'aime pas les histoires de fesses (bien au contraire !) mais là, franchement, qu'est-ce que ça pouvait bien apporter à notre héros(3) ?
Du coup, l'ami Jack tombe dans l'archétype du vrai dur qui ne danse pas, le sombre héros à la John Wayne (d'ailleurs cité), celui qui éructe un “Yes, M'ame !” au comptoir. Bof ...
Les histoires à peine effleurées avec la lointaine avocate ou même avec la mamie qui tient le “diner” en bas de la colline sont quand même d'une toute autre tenue et on aurait aimé que l'ensemble du récit sorte de la même fabrique. Plus grandes sont les attentes, plus grandes sont les déceptions !
Bien dommage que Frederick Busch se soit parfois égaré sur les chemins de campagne, le livre aurait mérité plus de rigueur.
Mais que ces quelques critiques de fine bouche ne vous empêche pas de découvrir un bon polar, un beau, un vrai, très noir. Et le héros qui va avec, un beau, un vrai, viril, sombre et dur.

(1) : Nord n'est pas son premier roman traduit en français, mais qu'à cela ne tienne, il se lit facilement sans avoir eu connaissance des précédents épisodes, bien au contraire, cela ajoute au mystère et au plaisir de la lecture et de la découverte
(2) : désolé, c'est bien le mot, on dirait du Millenium
(3) : oui évidemment, un peu de satisfaction, on avait compris, et encore, il est tout plein de remords après ...


Pour celles et ceux qui aiment la culture bio.
C'est Gallimard qui édite ces 364 pages parues en 2005 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Stéphanie Levet.
Télérama et L'ombre du polar en parlent.

Cinoche : Angèle et Tony


La mouette et le pécheur.

Décidément, les crabes nous valent cette année de beaux, très beaux moments de cinéma : après ceux que Jacques Gamblin et Sara Forestier étaient allés remettre à l'eau dans Le nom des gens voici Alix Delaporte qui, avec Angèle et Tony, nous livre l'une des plus belles toiles de ce début 2011.
Angèle (éclatante Clotilde Hesme) est une fille de mauvaise vie. C'est aussi une mauvaise mère. Elle sort tout juste de prison, encore en conditionnelle, son fils est à la garde des grands-parents.
Tony (parfait Grégory Gadebois) est marin-pêcheur et traîne son physique de gros nounours entre sa mère, son frère, son bateau et le fantôme du père disparu en mer.
Angèle et Tony n'ont rien de commun.
Elle est prête à baiser pour très peu, même une simple poupée Action Man pour son fils, mais ne sait pas ce que veut dire je t'aime. Lui est bien décidé à tomber amoureux pour de vrai, et peu lui importe le trouble passé d'Angèle.
Tony n'est surtout pas fait pour une fille sauvage comme Angèle, trop belle pour lui. Angèle n'est surtout pas faite pour vendre du poisson au petit matin sur le port aux côtés de ce gros nounours taiseux.
Alors évidemment, on tient là une très belle histoire !
http://carnot69.free.fr/images/angele et tony 2.jpgUne histoire filmée magistralement par Alix Delaporte : des ébauches d'histoires, quelques images ou quelques mots qui laissent le spectateur deviner ou interpréter le reste, hmmm ... un régal continu.
Et puis des moments de cinéma, vraiment, absolument, magiques !
Ah, la scène où Angèle tresse les guirlandes de fleurs en papier avec les vieilles du village dans l'église pour la fête de la mer (on est à Port-en-Bessin)  ...
Ah, la scène où Tony lui fait répéter le rôle de la sorcière de Blanche-Neige, elle connait les répliques par coeur, elle a vu le film plein de fois !
Et bien sûr la scène des crabes que l'on va ramasser en costumes de mariage (l'affiche).
Tout au long du film, Tony le pêcheur va tenter d'apprivoiser Angèle, la mouette sauvage.
D'ailleurs tout le monde essaie de s'apprivoiser dans cette histoire : Tony et Angèle, Angèle et son fils, le frère, la mère de Tony, ... Si peu de choses sont dites et tant de messages passent.
100% de douceur plus 100% d'humanité voilà les proportions du gâteau préparé par Alix Delaporte.
Et puis Clotilde Hesme est radieuse. Elle illumine cette histoire et l'écran. Quels yeux ! Et quel regard que cette caméra porte sur elle : rarement belle femme aura été ainsi filmée.
Alors oui, pourquoi pas, ce “petit” film qui passe presque inaperçu pourrait bien prendre place dans notre best-of 2011.
En tout cas, c'est vraiment un gros coup de coeur et une bande annonce qui tient ses promesses.
Ne le manquez pas ! 

Pour celles et ceux qui aiment les crabes et les poissons. 
Le Monde, Kilucru et Pascale en parlent.

Miousik : Volo

French song.

La chanson française recèle décidément tout plein de pépites de belle qualité : après les émotions à fleur de peau de Guillaume Grand découvert il y a quelques semaines, voici le cadeau d'anniversaire de MAM : Volo ou les frères Volovitch.
Frédéric et Olivier ont déjà plusieurs albums à leur actif et chacun pourra y piocher une bonne douzaine de titres excellentissimes.
Notre sélection est en écoute intégrale ici.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifDès la première écoute on est accroché. D'abord par les superbes guitares des deux frangins. Voilà qui fait du bien d'entendre de belles mélodies hors du cadre habituel formaté pour la radio.
Et puis les textes, qui sont au moins à la hauteur de la musique. Une musique qui leur laisse toute leur place.
Pour tout dire on n'aime moins leurs textes “engagés"(1) mais leurs chansons d'amour ou simplement sur la vie de tous les jours sont à ne surtout pas manquer !

[...] Ma p'tite chanson qui ne changera pas le monde
Ma p'tite chanson que t'entendras p'têtre sur les ondes
Ma p'tite folie, mon histoire, mon p'tit poême à l'envers
Ma p'tite chanson pour te revoir sans en avoir l'air [...]

ou encore :

Une ballade pour quand je me sens pas capable
Une chanson pour dormir pour quand j'ai peur de mourir
Une mélodie pour pleurer si j'en ai envie
Un petit air qu'on fredonne et qu'on chante jamais à personne
Une ballade pour quand je serai vieux et malade
Une chanson pour dormir pour partir sans rien sentir
Une mélodie pour aimer, pour aimer, pour aimer
Un petit air qu'on fredonne et qu'on n'aura chanté à personne ...

et enfin, puisqu'on est dimanche :

Si j'nous résume, quand on se compte
Parents, frangins, nous, les enfants
Des gens qui s'aiment qui se racontent
De temps en temps
Et le dimanche, on se promène
Mains dans les poches, si loin si proche
De la semaine prochaine [...]

(1) : chansons anti-libéralisme ou sur le conflit du Moyen-Orient par exemple.


Pour celles et ceux qui aiment la chanson française.
Télérama en parle.

Miousik : Lambchop

Week-end barbecue.

Encore un nom improbable : Lambchop, quoique, quand on est étiqueté country, ça peut se défendre ...
Derrière cette réclame pour barbecue se cachent une musique super cool et Kurt Wagner, un chanteur à la voix de crooner tendre et chaleureuse.
Une voix, comme dirait BMR toujours délicat, une voix à mouiller la culotte des filles.
Bref, chaussez votre casque de sept lieues et partez faire un petit tour du côté de Nashville, Tennessee : c'est par ici.


Pour celles et ceux qui aiment la côte de mouton grillée avec du ketchup.

Bouquin : Justice dans un paysage de rêve

Paysages en nuances de gris.

Ce livre nous avait été proposé dans le cadre de l'opération Masse Critique par l'équipe de Babelio et les éditions des Deux Terres.http://carnot69.free.fr/images/babelio.jpg
On a bien entendu saisi au vol (d'avion) l'occasion de retourner en Afrique du Sud après y avoir déjà été invités par Henning Mankell ou Deon Meyer.
Cette fois le voyage se fera en compagnie de Malla Nunn : elle est originaire du Swaziland et vit désormais en Australie.
Très agréable découverte que cette première (mais pas dernière) enquête de l'inspecteur Cooper.
Même si on peut regretter le titre français(1) passe partout, un peu racoleur, un peu hall de gare, sachant tout de même que le titre en VO ne valait guère mieux : A beautiful place to die.
Nous voici donc au début des années 50 dans un trou perdu du veldt, tout près de la frontière avec le Mozambique.  À cette époque la doctrine de l'apartheid est en plein essor et fleurit sur les cendres du nazisme. Le Nasionale Party (tiens, y'a encore de l'écho ?) et les Afrikaaners sont au mieux de leur forme. Sur fond de guerre froide, la Security Branch fait régner la terreur blanche, pourchassant tout ce qui est rouge ou noir.
Et puis ce jour-là ... dans ce trou perdu de la brousse, on découvre un cadavre au bord du fleuve.
Un cadavre de blanc. Un cadavre de flic. Un flic blanc qui descendait d'une noble lignée de Boers purs et durs.
Alors la Security Branch dépêche sa meilleure escouade de gros bras, avides d'épingler, que dis-je, de pendre un pauvre black à tendance rouge.On trouvera sûrement tout ce qu'il faut sur place : le bonhomme, les aveux et la corde.
Tandis que la police de Johannesburg envoie l'un de ses meilleurs inspecteurs, du genre qui veut attraper le vrai coupable. Pfff !
Le volet polar est sans reproche : une enquête difficile, des luttes de pouvoir, de lourds secrets qui devront remonter à la surface, de sombres histoires de famille et de village, ... tout y est.
Mais l'intérêt de ce bouquin est ailleurs : dans la description de cette Afrique qui n'arrive pas à dépasser (et on sait qu'il lui faudra encore de nombreuses années ...) les clivages entre l'arrogance des blancs d'un côté, la fierté des noirs de l'autre, et la peur des métis perdus au milieu.
On a déjà évoqué plus haut les cendres du nazisme : l'inspecteur Cooper a été traumatisé par on ne sait trop quels évènements de la guerre et on retrouve même au centre de cette intrigue policière, un ancien toubib juif qui a subi on ne sait trop quelles horreurs. Le décor est planté et ne laisse planer aucun doute sur la filiation de la doctrine du Nasionale Party qui tente d'éradiquer toute relation “inter-raciale”.

[...] D'après les nouvelles lois raciales, tout était blanc ou noir. Le gris avait cessé d'exister.

Mais voilà ... on est en Afrique. Paysages grandioses, chaleur moite, vigueur animale, tout cela exacerbe les désirs de pouvoir, de violence et de sexe.
Manifestement, selon Malla Nunn, la suprématie blanche n'avait aucune chance de résister bien longtemps à la pression contenue. La marmite bouillonne, quelque soit la couleur des légumes qui y mijotent.

http://carnot69.free.fr/images/malla nunn.jpg [...] Les forces de la nature sont plus puissantes que les lois faites par les hommes.

Et l'on découvrira au fil de l'enquête que tout n'est pas noir ou blanc. Qu'il y a beaucoup, beaucoup de gris, de quelque côté que l'on se tourne : la place faite aux métis dans cette histoire est très instructive et dévoile tout un pan méconnu de cette Afrique du Sud dont avait une photo uniquement en noir et blanc.
Vivement la prochaine enquête de l'inspecteur Cooper.

(1) : mais un titre qui, finalement, est plutôt fidèle au contenu du bouquin.


Pour celles et ceux qui aiment l'Afrique. Noire, blanche ou chocolat.
Les éditions des Deux Terres éditent ces 390 pages qui datent de 2008 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Anne Rabinovitch.
Pour Kathel aussi, ce fut une agréable surprise.

Cinoche : Arrietty

Gulliver à Tokyo.

Chaque film des studios Ghibli est un évènement pour un public acquis et conquis d'avance dont on fait partie.
Et même si le grand-paternel Miyasaki commence à lâcher les manettes, la relève semble bien assurée.
Témoin, Arrietty, cette originale adaptation tokyoïte (signée Hiromasa Yonebayashi) d'une histoire anglaise : The borrowers, les chapardeurs.
Des “petites personnes”, des êtres minuscules qui se glissent le long des murs pour emprunter de quoi survivre au monde des humains : un morceau de sucre ou une feuille de thé.
Mais ces petits êtres sont en voie de disparition (parce que la plupart des humains ne croient pas à leur existence ?) et dans la maison du jeune Shô il ne subsiste qu'une petite famille, Arrietty, maman et papa qui part la nuit bien équipé pour aller “faire les courses”.
Le jeune Shô est gravement malade et sa rencontre avec la minuscule Arrietty lui redonnera peut-être le goût de la vie.
On est loin du souffle épique qui animait les classiques de Miyasaki et nous voici plutôt cette fois dans un registre beaucoup plus intimiste, même si les standards du studio Ghibli (l'écologie, la  forêt, les créatures, le chat, le jeune Spiller,  ...) restent bien présents. Mais cette fois la forêt luxuriante est réduite à la taille d'un jardin !
Et du coup, l'histoire gagne en complexité “humaine” : la trouble relation que tisse la minuscule Arrietty avec le jeune Shô est pleine d'ambigüité et les plus jeunes spectateurs(1) passeront à côté de pas mal de choses. Mais aussi, comment ne pas tomber amoureux de la jeune Arrietty quand elle part fièrement à la conquête d'un monde géant, sa pince accrochée dans les cheveux, sa petite robe rouge flottant dans le vent, emportée par la musique de Cécile Corbel que ne renierait pas Joe Hisaishi.
Et oui, car la musique est signée d'une bretonne bretonnante : Cécile Corbel a travaillé avec les studios Ghibli pour signer une jolie partition.
Un dessin animé pour les fans des studios Ghibli. 

(1) : allez le voir en VO, c'est pas la même tranche d'âge !


Pour celles et ceux qui aimeraient avoir un plus petit que soi.
Critikat, Nicolas et Nicolinux en parlent. Télérama parle de Cécile Corbel.

Bouquin : Berceuse pour un pendu

Histoire de fou.

C'est une histoire de fous que nous chante le polonais Hubert Klimko avec sa Berceuse pour un pendu.
Sauf qu'il ne faut surtout pas manquer la préface qui nous explique que le fou s'est bien pendu et que ce livre est bien une berceuse.
Le “fou”, c'était le violoniste Szymon Kuran, polonais émigré en Islande, certainement atteint de troubles bipolaires.
L'auteur Hubert Klimko, autre polonais perdu en Islande, avait fait cette promesse à son ami :

[...] “Hubert, promets-moi  d'écrire quelque chose après ma mort. Sur nous, notre amitié, l'amour ... Tu le mettras à ta sauce, tu donneras des couleurs à tout ça. Dis, tu le feras ? Promets-le-moi !” J'ai promis.

Voilà qui donne un sacré relief à ce qu'on va lire, soudain plombé par des tonnes d'humanité bien réelle.
Pour autant la berceuse n'a rien d'un requiem. Bien au contraire, c'est une histoire pleine de douceur, pleine d'humanité, pleine de rires aussi même si c'est bien souvent aux dépends des islandais(1).

[...] ces islandais qui n'ont pas la moindre notion de l'art car, toujours selon Boro, en cinquante ans, on ne peut pas passer, d'un coup, de la cabane aux salons, du viol des brebis au sexe raffiné avec la princesse.

L'histoire de trois amis, trois émigrés (un croate et deux polonais), perdus sur cette lointaine terre islandaise, au bout du bout du monde. Deux d'entre eux, Boro le peintre croate et Szymon le violoniste polonais sont donc un peu dérangés. Des “lapins de chapeau” en langage carabin :

[...] un patient qui apparaît puis disparaît pour réapparaître de nouveau, et ainsi de suite. Il n'est jamais complètement guéri, il n'est jamais complètement débarrassé de sa maladie. Un coup de déprime, et hop ! à l'hôpital. L'hôpital et la vie, la vie et l'hôpital.

Lorsqu'ils sont dehors, ces deux-là, nous offrent des scènes d'un absurde sommital. C'est jubilatoire, comme on dit.
D'autant que le regard qui raconte est celui de leur ami qui, lui, ne les trouve donc pas plus fous que vous et moi et sûrement plus civilisés que les islandais : ce sont ses amis, un point c'est tout. Ses meilleurs amis. En fait ses seuls amis sur cette île perdue. Une île qui ressemble à un asile peuplé d'islandais étranges et où les seuls vrais humains sont nos trois compères. Alors on est bien avec eux, contents de partager leurs histoires abracadabrantes, leurs nanas impossibles, leurs galères sempiternelles, leurs pitreries foutraques, ...
Ils sont sans cesse à la recherche de chez eux : d'une maison, d'une bande de copains(2), d'un chez-soi, peut-être aussi d'un chez-soi dans leur tête malmenée.
À mi-parcours, Boro s'en va, pour de vrai : il va régulièrement sur la plage donner à manger des seaux de poissons à son orque favorite, sans doute imaginaire, pour qui il joue aussi de l'harmonica. Une fois de trop, on ne le reverra plus.
Plus tard ce sera au tour de Szymon de choisir une autre route, accompagné d'une berceuse jouée au violoncelle par le narrateur, son ami, qui rêvait de devenir musicien, n'étant, excusez du peu, que peintre et poète.

[...] Nous nous sommes retrouvés sur un plateau jonché de lupins, des kilomètres de toutes les nuances de bleu possibles et imaginables. [...] Nous sommes sortis. Je me suis appuyé au capot, me délectant de l'extraordinaire spectacle, et Szymon a pris dans la voiture son maillot de bain et sa serviette qu'il a étendue par terre comme le font les baigneurs à la plage de Miedzyzdroje. Il s'est complètement déshabillé et a enfilé son maillot de bain bleu, a sorti son archet, son violon, l'a accordé et a demandé : “Tu ne te baignes pas, n'est-ce pas ?” et avec son violon il est entré dans le champ de lupins. Il est allé de l'avant , lentement, tenant son instrument au-dessus de sa tête, comme s'il ne voulait pas le mouiller, comme s'il barbotait dans les vagues. [...] Il s'est immobilisé, j'ai entendu une douce musique en provenance du champ. C'était un air serein et mélodieux, en parfaite harmonie avec le lieu. [...] Le vent s'est levé. La mélodie s'est mêlée à son souffle. Un orchestre philharmonique au cœur de la mer, oui, au cœur de la mer, car à cet instant seulement j'ai compris que nous étions vraiment au bord de la mer, que c'étaient des vagues marines, que c'était un vent marin, que tout n'était que musique, et qu'au loin l'homme se baignait, se baignait dans les vagues et dans la musique.

De ce roman largement autobiographique on ne sait dire si Hubert Klimko Dobrzaniecki est devenu un grand musicien, mais à coup sûr, c'est un grand écrivain.
Ce petit bouquin d'une grosse centaine de pages est un grand livre, une petite parenthèse de poésie, d'amitié et d'humanité dans notre monde hostile.
Et pas si triste que son sujet pourrait le laisser penser : on sort de cette berceuse apaisé, sans doute comme Szymon.
Arnaldur Indridason nous avait habitués aux disparitions sur sa mystérieuse terre d'Islande : en voici une ou deux de plus.

(1) : je ne crois pas avoir lu ailleurs (sauf peut-être chez Beaudelaire) autant de férocité moqueuse sur nos voisins belges par exemple, les polonais émigrés en Islande semblent avoir une dent vraiment dure contre les indigènes et peut-être même l'île toute entière. Ceci dit, on les comprend un peu, quelle idée d'aller chercher du boulot là-bas, mirage économique ou pas, ils ont dû déchanter. Et bien avant la crise, dès leur arrivée même.
(2) : la famille est restée au pays, ce sont des exilés


Pour celles et ceux qui aiment les histoires de fous et pas les islandais.
Les éditions Belfond publient ces 142 pages parues en 2007 en VO, joliment préfacées par Margot Carlier et traduites du polonais par Véronique Patte.
Blue Gray, Stéphanie, en parlent.