Bouquins : Étranges rivages

Taphéphobie et hypothermie.

Ah, quel beau cadeau de fin d’année que cet Indridason qui coule de la meilleure veine, celle où le commissaire Erlendur est au sommet de sa forme.
Depuis plusieurs épisodes, on savait le policier islandais en vacances prolongées et les enquêtes étaient désormais conduites par ses acolytes (Sigurdur Oli et Elinborg). On avait d’ailleurs laissé tomber la série qui avait perdu beaucoup de son intérêt.
Mais voilà donc le retour inespéré du commissaire tourmenté … dans ce qui ressemble fort à une dernière enquête en forme de testament.
Erlendur n’aura jamais été aussi proche de ce qui le tourmente depuis l’enfance et la disparition de son frère cadet. On découvrira d’ailleurs avec ces Étranges rivages, plusieurs clés des cauchemars du commissaire, de sa culpabilité latente et de ses motivations à sonder sans cesse les mystères des disparitions inexpliquées .
On tient là (outre ce qui semble donc bien être la dernière apparition d’Erlendur) l’un des meilleurs bouquins d’Arnaldur Indridason.
L’auteur y abandonne presque le côté polar pour se consacrer exclusivement  aux mystérieuses “disparitions” islandaises que nous connaissons maintenant presque aussi bien que notre cher Erlendur.
Le commissaire est en ‘vacances’ dans les fjords de l’est et il n’y a quasiment pas d’enquête au sens policier du terme : les faits évoqués remontent bien loin, aussi loin que la disparition du petit frère d’Erlendur et il y a prescription depuis belle lurette.
[…] - Je travaille dans la police.
– Vous ne devez pas beaucoup vous amuser.
– Non. Souvent, ce n’est pas drôle.
[…] Boas s’était immobilisé et avait regardé Erlendur.
– Qu’est-ce que vous me disiez que vous faites dans la police ?
– Je dirige des enquêtes.
– De quel genre ?
– De différentes natures, grand banditisme, meurtres, crimes violents.
– Toute la lie de l’humanité ?
– On peut le dire.
– Et les disparitions ?
– Oui, aussi.
[…] Erlendur ne s’était pas présenté, mais il le fit à ce moment-là, il expliqua qu’il venait de Reykjavik, mais qu’il était né dans les fjords de l’est et qu’il s’intéressait aux histoires de gens qui s’étaient perdus dans les montagnes, de gens dont les corps n’avaient jamais été retrouvés et dont personne ne connaissait le destin avec certitude.
[…] Erlendur défendait depuis longtemps une théorie selon laquelle, parmi toutes ces disparitions, aussi diverses soient-elles, se cachaient sans doute quelques meurtres ici et là.
Erlendur profite de ses vacances sur les lieux de son enfance pour tenter de renouer le fil de ses souvenirs, ceux qui le hantent de puis la disparition de son jeune frère.
Au fil de ses recherches, il croise ses propres fantômes mais également les mystères d’une autre disparition, celle de Matthildur.
Le commissaire en vacances, pose donc ses questions de ci de là, persévérant et obstiné, s’attachant à exhumer les vérités d’un lointain passé, enfouies sous la glace ou la terre. Ce qui nous vaut de beaux portraits et de savoureux dialogues.
[…] - Quelqu’un m’a raconté que vous étiez policier à Reykjavik. C’est pour cette raison que vous venez m’interroger sur Matthildur ?
– Non, répondit Erlendur, plutôt par curiosité personnelle. Je m’intéresse à ce genre d’histoires.
[…] Kjartan le regarda de ses yeux fatigués, il n’était pas certain de comprendre où Erlendur voulait en venir.
– Je suis policier à Reykjavik et je suis en vacances ici, dans les fjords de l’est. Le hasard veut que je sois originaire de la région et que j’aie entendu parler de Matthildur lorsque j’étais encore gamin. Son histoire a piqué ma curiosité. Mon but n’est pas de dévoiler quoi que ce soit ou de démasquer quiconque. Ce que je fais là n’a rien à voir avec une enquête de police. 
[…] – Vous m’avez dit que vous étiez policier, observa Hrund au bout d’un long moment.
– En effet.
– J’ai toujours pensé que… Elle inspira profondément, éreintée.
– Que… ?
– J’ai toujours pensé que… la disparition de Matthildur aurait mérité qu’on ouvre une enquête.
[…] – Vous avez découvert de nouveaux éléments concernant Matthildur ? interrogea-t-il sans ambages, comme si Erlendur avait ouvert une enquête sur cette disparition datant de plus de soixante ans.
– Non, aucun, répondit-il en s’allumant une cigarette afin d’accompagner Boas. D’ailleurs, comment pourrait-il y avoir du neuf ? Elle a péri dans cette tempête. On en a vu d’autres.
– Ah, j’en ai bien peur, convint Boas en avalant son café coloré au lait. Oui, on en a vu d’autres.
Alors oui on s’intéresse bien sûr aux raisons de la disparition de Matthildur que l’on devine peu à peu : tout cela nous est raconté comme un presque polar. Mais ce qui fait la réelle saveur de ce bouquin, c’est bien sûr le récit des questionnements d’Erlendur, ses échanges et ses dialogues avec les islandais qu’il croise, ce que chacun apporte peu à peu au récit et les clés des mystères qui nous sont délivrées peu à peu : le mystère de la disparition de Matthildur et le mystère de la disparition de Beggur, le petit frère d’Erlendur. Elles n’ont rien en commun ces disparitions : sauf d’être des disparitions islandaises comme seul Arnaldur Indridason sait nous en raconter.
Si Erlendur ne semble passionné que par les morts et les disparus, Indridason lui s’intéresse bien aux vivants, meurtriers ou victimes, qui portent sur leurs trop frêles épaules le poids de ces fantômes.
Indiscutablement, cet auteur vient là de couronner brillamment son œuvre.
Toute bonne série a (malheureusement) une fin et celle-ci est particulièrement réussie.
Alors en guise de conclusion et d’hommage à toutes nos lectures Indridasoniennes, on retiendra cette citation :
[…] Il avait en mémoire d’autres enquêtes sur lesquelles il avait travaillé et qui, chacune à sa manière, l’avaient marqué. Elles étaient nombreuses et de nature diverse, mais aucune d’entre elles ne l’avait conduit à pénétrer dans un cimetière à la faveur de la nuit, une bêche à la main.
Si vous ne connaissiez pas encore (mais est-ce vraiment possible ?), on ne saurait trop vous conseiller de commencer par les autres ouvrages avant d’arriver vous aussi à cette belle conclusion.


Pour celles et ceux qui aiment les mystères des disparitions islandaises.
D’autres avis sur Babelio.

Bouquin : Esprit d’hiver

Joyeux Noël.

Il y a des jours où l'on devine que l'on ferait mieux de rester couché.
Le 25 décembre de cette année-là est l'un de ces jours pour Holly.
Une journée de Noël qui commence on ne peut plus mal : une panne d'oreiller tout d'abord.
Ni le réveil, ni leur fille Tatiana ne les ont réveillés. Le mari Eric part en catastrophe chercher ses parents à l'aéroport.
Et puis un mauvais pressentiment qui semble surgir du passé, quand Eric et Holly étaient allés en Russie pour adopter une petite fille.
On connait Laura Kasischke pour sa férocité à démonter pièce par pièce le rêve américain et on se rappelle son Oiseau blanc dans le blizzard qui tenait presque du polar.
Cette fois son Esprit d’hiver tient plus du roman psychologique même si la première partie, inquiétante et sournoise flirte avec le fantastique.
[…] Ce matin-là, elle se réveilla tard et aussitôt elle sut : Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux. […]
Quelque chose qui avait été là depuis le début. À l’intérieur de la maison. À l’intérieur d’eux-mêmes. Cette chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux.
Accablée par son pressentiment et les préparatifs à terminer en hâte, Holly broie du noir, déteste ces repas de Noël imposés, se débat avec le rôti et l'argenterie.
La journée catastrophe continue : le blizzard s'abat sur la ville et Eric reste coincé quelque part par la neige.
Les autres invités vont bientôt décommander. C'est presqu'une bonne nouvelle pour Holly qui déteste la plupart d'entre eux. Et puis de toute façon le rôti sort à peine cuit du four. Et puis Holly manque s'empaler sur le couteau de cuisine et puis les verres en cristal qu'on sort pour ces grandes occasions finissent en mille morceaux par terre. Tatiana ne s'est toujours pas levée. Crise d'ado ?
Les souvenirs de Holly remontent à la surface.
Sa propre enfance peu enviable.
Le voyage en Russie pour aller chercher leur fille adoptive.
Les infirmières qui voulaient à tout prix donner un nom américain à la petite : Bonnie (comme Bonnie et Clyde), Sally, ….
[…] Incroyable, leur semblait-il, que les infirmières les aient tout simplement laissés quitter l’orphelinat Pokrovka n° 2 avec cette princesse fée ! Juste un adieu tranquille, la porte s’était ouverte, et ils avaient dorénavant cette petite fille rien que pour eux. Pour toujours ! (Bien sûr, cela leur avait coûté des milliers de dollars, des montagnes de paperasses et presque deux années de leur vie, ils ne l’oubliaient pas, mais ils y étaient !
[…] Les infirmières l’avaient baptisée Sally. Elles avaient expliqué à Eric et Holly : « On donne un nom américain pour que, dans sa vie et dans sa mort, elle ne soit pas agitée en Amérique, ou qu’elle n’essaie pas de revenir en Russie. — Mais nous voulons qu’elle soit fière de ses origines russes, avait tenté d’expliquer Holly, à son tour, sans être certaine pourtant que son anglais puisse être compris. Nous voulons l’appeler Tatiana car c’est un superbe prénom russe pour une superbe petite fille russe. »
Finalement ce sera l'une des poules du jardin qui s'appellera Sally.
Et qui finira dévorée par ses congénères. Un épisode sanglant qui comme d'autres remontent à la surface des souvenirs de Holly.
Car en ce beau jour de Noël blanc, il faut compter avec la plume acérée de Laura Kasischke qui entreprend de démonter pièce par pièce le rêve américain de Holly. Et Holly aura eu beau développer au fil des années une capacité peu commune à oublier, à ne pas voir, à ne pas regarder les choses en face, depuis sa stérilité jusqu'à l'adolescence de Tatiana en passant par le sombre épisode de l'orphelinat sibérien …
[…] Eric s’était mis en colère. Il avait dit : « Seigneur, Holly. Toute cette merde que tu essaies d’ignorer en t’enfouissant la tête dans le sable et tu choisis ce sujet pour être complètement ouverte et cool ? Elle n’a pas besoin de ça ! » Mais qu’entendait-il par là ? À propos de quoi Holly s’enfouissait-elle la tête dans le sable ? Quoi donc ?
Rien n'y fera : le scalpel affuté et sans pitié de Laura Kasischke dissèquera ses peurs et ses faiblesses jusqu'au plus profond.
Qu'est devenue Tatiana, cette adolescente à la peau bleutée ?
BMR a eu du mal avec la première partie d'exposition, un peu longue, mais évidemment nécessaire pour démontrer le lent glissement de Holly dans la folie ordinaire.
Le rêve américain finira comme les verres en cristal.


Pour celles et ceux qui aiment les fêtes de Noël qui tournent mal.
D’autres avis sur Babelio.

Miousik : Amber Rubarth

La demoiselle à casquette.

Dans la série des petites découvertes bien sympas, voici Amber Kristine Rubarth from New York City.
Une très jolie voix, claire et posée, un délicieux accent, fin et sucré, pour un très agréable “song-writing”, efficace, soigné et sans prétention.
M’étonnerait bien que chacun ne trouve pas douce chanson à son oreille dans notre playliste ou dans la discographie de la demoiselle.
Il faut pousser l’exploration au besoin jusqu’à son album de 2005 (Something new), le plus jazzy/bluesy.
Nos préférées : A letter from my lonelier self (album 2011) et le trop court Full moon in Paris (2009).
Tout cela mérite bien une oreille attentive.

Full moon in Paris
There's a full moon in Paris
A full moon in Paris tonight
The trees are dancing
Yeah the trees, they're all dancing
The trees are all dancing in its light
And the black cars are swaying out on the avenue
Cacophony of sounds pouring from Moulin Rouge
And my heart is praying for my body to cut it loose
It's no place for a lady to be alone


Notre playliste ici.



Bouquin : L’armoire des robes oubliées


Il n'y a pas que des polars en Scandinavie.

Non, il n’y a pas que des polars en littérature nordique.
On connaissait déjà la norvégienne Anna B. Ragde ou la suédoise Katarina Mazetti, voici maintenant, la jeune finnoise Riikka Pulkkinen qui sait nous raconter, elle aussi, de belles histoires.
L’histoire d’une famille finlandaise.
Il y a Elsa, la grand-mère. Il y a Martti le grand-père.
Il y a Eleonoora leur fille et ses filles à elle (aujourd’hui majeures et vaccinées) : Maria et Anna.
Et il y a les pièces rapportées comme dans n'importe quelle famille.
Elsa était une psychologue réputée, une sorte de Françoise Dolto finlandaise si l'on veut.
Elsa a soixante-dix ans et un cancer.
[...] Grand-mère à l'air content.
- Bien. Tout est prêt. Il y aussi de la tarte à l'oignon, dit-elle fièrement. Je l'ai faite hier, quand je me suis lassée d'avoir le cancer.
De quoi brasser un peu l'air appesanti et secouer la poussière qui s'est déposée sur les vieux meubles, les vieilles armoires comme L'armoire des robes oubliées.
[...] Dans l'armoire, de vieilles vestes, des robes, deux ou trois chemises d'homme. La robe de Bianca est noire et blanche, elle est pendue à un cintre. Anna ne la prend pas, elle veut quelque chose d'autre.
Elle parcourt du regard les robes, les caresse l'une après l'autre : des décennies accrochées aux cintres. elle ouvre la porte de la deuxième armoire. Qui grince et résiste. Les vêtements ont l'air vieux, ils traînent ici depuis une éternité.
Elle en sort un qu'elle ne se souvient pas avoir jamais vu. La robe claire, largement évasée, date peut-être des années cinquante.
[...] Anna ôte son chemisier et son jean, enfile sans difficulté la robe. Elle lui serre un peu la poitrine.
[...] - Où l'as-tu trouvée ?
Grand-mère est à la porte.
- Elle était là, dans l'armoire. Ce n'est pas ta robe des années cinquante ?
Grand-mère jette un regard sur le vêtement.
- Prends-là.
[...] - En fait ce n'est pas la mienne.
- Comment ça ?
- C'est celle d'Eeva. J'ignorais qu'elle était restée dans le placard toutes ces années. J'ai été surprise de la voir sur toi.
- C'est la robe de qui ? demande Anna.
- Celle d'Eeva, répète grand-mère.
Une histoire de famille donc avec ses non-dits, ses secrets, ses silences qui vont sortir de l’armoire oubliée.
[…] Il n’avait jamais réussi à en parler. […] Personne n’avait jamais non plus interdit qu’on en parle. mais il avait toujours su qu’il fallait protéger toute la scène et la douleur du souvenir en restant muet.
[...] À quel moment les membres de votre famille deviennent-ils un miroir douloureux à regarder ?
Une écriture un peu incisive, un peu hachée : au début cela ajoute à l’exotisme finnois mais à la longue tout cela fait qu’on n’accroche guère et qu’on n’arrive pas à faire partie de la famille.
On passe d’un personnage à un autre, d’une femme à une autre, d’un regret à un autre, dans une atmosphère peu réjouissante et avouons qu’on a eu du mal à terminer ce livre. Petite déception.


Pour celles et ceux qui aiment les histoires de famille.
D'autres avis sur Babelio.


Cinoche : Zulu

Cadavre noir sur sable blanc. 

Sentiment mitigé et avis partagé après le nouveau film de Jérôme Salle qui nous avait déjà donné Largo Winch (entre autres).
Son Zulu sort à point nommé, juste au moment où Mandela tire sa révérence et juste avant que son hagiographie envahisse les écrans.
On ne se souvient plus trop du bouquin de Caryl Ferey dont est tiré ce Zulu, un polar qui va sans doute ressortir des étagères.
Alors sentiment partagé ?
Oui, car on est vivement intéressés par cette plongée dans l'Afrique du Sud actuelle, post-Mandela, qui n'en finit pas de lutter contre les fantômes qui sortent encore et toujours des placards (on peut se rappeler les bouquins de Malla Nunn par exemple). Et les fantômes que vont faire ressurgir Caryl Ferey et Jérôme Salle sont particulièrement hideux. Le film fait plusieurs fois référence à la fameuse Commission Vérité et Réconciliation qui permit à ce pays de surmonter (ou presque) des années d'exactions et d'apartheid. Avec quelques critiques à peine voilées sur le principe qui voulut que, pour ces crimes perpétrés, la confession remplace la justice. Nul doute que cette commission ne fut pas un remède miracle mais il est tout aussi certain que le propos de Jérôme Salle (et de Caryl Ferey ?) est un peu simpliste également. Alors fallait-il/faut-il pardonner ? That is the question mais Jérôme Salle s'attaque visiblement à un sujet beaucoup plus sérieux que Largo Winch. Trop sérieux.
Quoiqu'il en soit, l'Afrique du Sud nous est dépeinte comme un pays hyper-violent où les fantômes continuent, réconciliation ou pas, de sortir des placards ...
Et ça démarre plutôt fort avec quelques cadavres (blancs) défoncés à coup de poings. Et puis quelques gosses (noirs) disparus dans les townships. Un trafic de drogue, une saloperie quelconque. La bande-annonce nous en donnait quelques clés : il fut question d'apartheid chimique, mais il y aura d'autres aspects plus contemporains dévoilés dans le film.
Deux flics mènent l'enquête. Un black et un blanc, figure imposée.
Le blanc, c'est Orlando Bloom (ouiiii, on voit ses fesses), tête brûlée un peu déjantée, façon  Mel Gibson dans l'Arme fatale.
Le black, c'est Forest Whitaker avec sa dégaine de gros nounours balourd qui s'en sort ici plutôt bien et même très bien dans son rôle de zulu.
Tous deux portent les stigmates du passé : le zulu a perdu pas mal de choses auxquelles il tenait. Il ne s'en remet pas vraiment.
Orlando picole et couchaille pour oublier des parents un peu trop zélés du temps du Nasionale Party.
Ouais mais c'est en partie là que ça coince : on ne croit pas une seconde au personnage d'Orlando Bloom. Erreur de casting sans aucun doute et un scénario beaucoup trop romancé (comme ces histoires cousues de fil ... blanc, avec son ex).
Résultat partagé donc avec une plongée passionnante dans cette Afrique du Sud méconnue (celle d'aujourd'hui), mais un discours souvent un peu simpliste (voir douteux parfois) et un polar hyper-violent et un peu bancal.
Réservé donc aux curieux, à chacun de voyager avec son propre regard sur le film de Jérôme Salle et sur la Nation Arc-en-ciel.

Pour la petite histoire, BMR & MAM qui voyagent plutôt souvent (!) n'ont jamais mis les pieds dans ce pays que l'on dit pourtant si beau. Et en dépit des bouquins lus, des films vus, des photos regardées, ils n'en n'ont pas vraiment envie : après avoir grandi bercés (si l'on peut dire) par l'apartheid, il est un peu difficile [pour nous] d'imaginer se baigner sur les plages de Cape Town. D'ailleurs les superbes plages décrites par Jérôme Salle sont tout sauf accueillantes pour le touriste !  Ce sera pour la génération suivante.


Pour celles et ceux qui aiment Forest Whitaker.
L’avis de Critikat . Celui plus enthousiaste de Perle&Navet.

Miousik : Chloe Charles

Café au lait.

Vous conviendrez que ce billet méritait d’être posté rien que pour la photo.
Alors dites-vous que Chloe Charles mérite d’être écoutée rien que pour cette pochette d’album.
La dame se revendique d’origines mélangées, mais des origines on ne peut plus musicales.
Une mère canadienne et musicienne, un père venu de Trinidad qui épousera plus tard Cynthia Lennon la première femme de.
Bref, il eut été étonnant que la métisse ne pousse pas la chansonnette.
Ce qu’elle fait fort bien et de façon plutôt originale, dans un style qui n’appartient qu’à elle, un peu soul, un peu jazzy, très chanté.
Les résultats sont variés et ne plaisent pas à tous : il faut aller farfouiller dans son album pour trouver la chanson qui va bien avec vos oreilles.
Pour nous ce sera, My Child, une douce et mélancolique berceuse, idéale pour cette période d’avant Noël …
Pour la petite histoire, Chloe Charles fut écoutée au cours d’une soirée où se retrouvèrent quelques convives qui tous, écoutent André Manoukian le matin sur Inter et sous la douche.


Notre playliste ici.

Bouquin : La vérité sur l’affaire Harry Quebert


À vérité, vérité et demie …

La vérité sur l’affaire Harry Quebert ?
La vérité c’est qu’avec tout le bruit qui entourait ce bouquin, on ne l’aurait sans doute jamais lu si l’amie Véro ne nous l’avait pas prêté. On se méfie (parfois à tort) des engouements médiatiques et des emballements de la blogoboule.
Pour une fois on aurait eu bien tort : ce gros pavé (650 pages) est une bonne affaire. Une bonne affaire difficile à classer.
Inclassable ce roman qui parle de littérature, d’écriture et d’écrivain, qui s’étend sur les affres des auteurs devant leur page blanche. C’est plein d’humour et d’autodérision, une histoire comme seuls les américains juifs new-yorkais savent les écrire. On connait bien. Sauf que ?
Sauf que Joël Dicker est … suisse !
Chapeau l’artiste qui, encore tout jeune(1), sait reprendre et sans faute, le style de ses meilleurs confrères d’outre-Atlantique ! On s’y croirait vraiment.
Inclassable ce roman qui mélange les genres, roman littéraire, histoire d’amour ou comédie et puis polar ou thriller psychologique ! On navigue d’un style à l’autre, sans heurts et en douceur, et dès que la redite pointe le bout du nez, hop, on bascule d’un autre côté.
Haletant et hilarant. Un “page-turner” comme on se plait à la dire désormais : prévoyez une ou deux nuits blanches.
C’est donc (entre autres choses) l’histoire de deux écrivains : le vieux maître blasé de succès et le jeune ambitieux plein d’avenir. En 2008, plus de trente ans après leur première rencontre, le jeune Marcus est en panne d’inspiration, pressé par son agent et son éditeur de pondre à nouveau, après un premier et gros succès(2).
Histoire de se ressourcer, Marcus Goldman part retrouver son ancien mentor, Harry Quebert, dans une petite ville de province (Aurora, Massachussetts), dans la belle-maison-si-typique-de-l’écrivain-en-bord-de-mer.
Et hop, on bascule dans le polar : on découvre le squelette d’une jeune fille enterrée depuis trente ans dans le jardin de la résidence de Harry !
Un amour interdit de Harry qui fut jadis fou amoureux de Nola, une gamine de quinze ans (lui, en avait trente en 1975). Un amour qui aura mal finit (la jeune Nola fut donc assassinée) mais (et hop !) qui inspira un best-seller à Harry (on retrouve d’ailleurs le manuscrit avec le cadavre de l’adolescente et un mot d’amour et d’adieu).
[…] L’opinion publique était bouleversée : non seulement la présence du manuscrit parmi les ossements de Nola incriminait définitivement Harry, mais surtout la révélation que ce livre avait été inspiré par une histoire d’amour avec une fille de quinze ans suscitait un profond malaise. Que devait-on penser de ce livre désormais ? L’Amérique avait-elle plébiscité un maniaque en élevant Harry au rang d’écrivain-vedette ? Sur fond de scandale, les journalistes, eux, s’interrogeaient sur les différentes hypothèses qui auraient pu conduire Harry à assassiner Nola Kellergan. Menaçait-elle de dévoiler leur relation ? Avait-elle voulu rompre et en avait-il perdu la tête ?
Harry jure qu’il est innocent mais se retrouve en prison en attendant son procès. Marcus commence à enquêter sur les anciens évènements des années 70 et se promet d’innocenter son vieil ami.
Et hop, retour du côté de la littérature : pressé par son éditeur, Marcus se met à écrire un roman sur l’affaire Harry Quebert. Le bouquin dans le bouquin. Et hop, etc …
On passe d’un style à l’autre, d’une époque à une autre. C’est fluide et passionnant.
On frôle parfois le roman facile un peu cucul (alors c’est un écrivain qui mène une enquête …) mais non, Joël Dicker maîtrise bien son écriture et nous maintient en éveil tout au long de ce gros pavé.
Les amateurs de bons romans tout comme les fans de polars et d’enquêtes sont ravis ! Pour peu qu’on soit un peu des deux, c’est le bonheur !
Et comme on évoque une histoire à moitié littérature et à moitié thriller, sachez que Joël Dicker nous mène dans son bateau jusqu’au bout : à côté des rebondissements “policiers”, il faudra donc aussi compter sur des rebondissements “littéraires”. C’est d’ailleurs là tout le sel de ce roman.
Au fil de ces pages, Joël Dicker prend le temps de bien camper ses personnages, comme par exemple ce flic qui, en 2008, reprend l’enquête sous la pression de l’ami Marcus.
[…] - Mais ceci ne nous explique pas pourquoi il y a ce mot d’amour écrit à même le texte.
- C’est une bonne question, concédai-je. Peut-être la preuve que le meurtrier de Nola l’aimait. Devrait-on envisager la piste d’un crime passionnel ? Un accès de folie qui, une fois passé, pousse le meurtrier à écrire ce mot pour ne pas laisser le tombeau anonyme ? Quelqu’un qui aimait Nola et n’a pas supporté sa relation avec Harry ? Quelqu’un au courant de sa fuite et qui, incapable de l’en dissuader, a préféré la tuer plutôt que de la perdre ? C’est une hypothèse qui tient la route, non ?
- Ça tient la route, l’écrivain. Mais comme vous dites, ce n’est qu’une hypothèse et il va maintenant falloir la vérifier. Comme toutes les autres. Bienvenu dans le difficile et méticuleux travail de flic.
- Que proposez-vous sergent ?
On sent que le sergent Gahalowood et l’écrivain Marcus composent un tandem très ciné-génique.
[…] - Vous conduisez trop lentement.
- Je conduis prudemment.
- Cette voiture est une poubelle, sergent.
- C’est un véhicule de la police d’État. Un peu de respect, je vous prie.
- Alors c’est une poubelle d’État. Si on mettait un peu de musique ?
- Même pas dans vos rêves, l’écrivain. Nous sommes sur une enquête, pas en train de faire une virée entre copines.
- Vous savez, je le dirais dans mon livre, que vous conduisez comme un petit vieux.
-  Mettez la musique, l’écrivain, Et mettez-la très fort. Je ne veux plus vous entendre jusqu’à ce que nous soyons arrivés.
Je ris.
Fausses pistes, faux semblants, coups de théâtre, cadavres (oui, y’en aura même plusieurs) et rebondissements en tous genres, … On ne s’ennuie pas un instant et on tourne, tourne, tourne les pages, pressé de lire enfin les derniers mots de l’histoire, de découvrir qui se cache ou se cachait derrière tel ou tel masque … Et alors qui est ce Harry qui ne semble pas lui-même convaincu de sa totale innocence ? Et finalement cette jeune fille autour de qui tout le monde tournait, la jeune Nola était-elle aussi pure que le rêvait Harry, aveuglé par son amour ? Qui était réellement Nola ?(3)
[…] Depuis New-York, où elle reprenait avec un dévouement et une efficacité rares mes feuillets, Denise me téléphona un après-midi et me dit :
- Marcus, je crois que je pleure.
- Pourquoi cela, demandai-je.
- C’est à cause de cette petite, cette Nola. Je crois que je l’aime moi aussi.
Je souris et je lui répondis :
- Je crois que tout le monde l’a aimée, Denise. Tout le monde.
Oui, beaucoup trop de monde tournait autour du petit papillon Nola …
[...] - Et comment sait-on que l'on est écrivain, Harry ?
- Personne ne sait qu'il est écrivain. Ce sont les autres qui le lui disent.
Et bien, Joël Dicker, tout suisse que vous êtes, sachez que vous êtes un sacré écrivain et un habile faiseur de mélanges !
[…] - Pour un véritable écrivain. Écrivain c’est être libre.
Il se força à rire.
- Qui vous a mis ces sornettes en tête ? Vous êtes esclave de vos idées, de vos succès. Vous êtes esclave de votre condition. Écrire, c’est être dépendant. De ceux qui vous lisent, ou ne vous lisent pas. La liberté, c’est de la foutue connerie ! Personne n’est libre. J’ai une partie de votre liberté dans les mains, de même que les actionnaires de la compagnie ont une partie de la mienne dans les leurs. Ainsi est faite la vie, Goldman. Personne n’est libre. Si les gens étaient libres, ils seraient heureux. Connaissez-vous beaucoup de gens véritablement heureux ? (Comme je ne répondis rien, il poursuivit.) Vous savez, la liberté est un concept intéressant. J’ai connu un type qui était trader à Wall Street, le genre de golden boy plein aux as et à qui tout sourit. Un jour, il a voulu devenir un homme libre. Il a vu un reportage à la télévision sur l’Alaska et ça lui a fait une espèce de choc. Il a décidé qu’il serait désormais un chasseur, libre et heureux, et qu’il vivrait du bon air. Il a tout plaqué et il est partit dans le sud de l’Alaska, vers le Wrangler. Eh bien, figurez-vous que ce type, qui avait toujours tout réussi dans la vie, a également réussi ce pari-là : c’est devenu véritablement un homme libre. Pas d’attache, pas de famille, pas de maison : juste quelques chiens et une tente. C’était le seul homme vraiment libre que j’ai connu.
- C’était ?
- C’était. Ce bougre a été très libre pendant trois mois, de juin à octobre. Et puis il a fini par mourir de froid l’hiver venu, après avoir bouffé tous ses chiens par désespoir. Personne n’est libre, Goldman.
Ce n’est certainement pas le roman du siècle (l’écriture reste simple, l’histoire superficielle, les rebondissements divertissants et certaines figures un peu convenues) et l’engouement dont ce bouquin a été l’objet est certainement disproportionné, ok, mais voilà quand même un bon gros moment de plaisir. À ne pas bouder, même si le tapage fut assourdissant (plus de 450 avis sur Babelio ! pas tous d’accord avec nous d’ailleurs).
(1) - il n’a pas trente ans
(2) - passionnantes descriptions du milieu littéraire
(3) - on retrouve ici certains renversements de perspective comme ceux qu’utilise avec brio Pierre Lemaitre


Pour celles et ceux qui aiment lire la nuit.
D’autres avis (plus de 450 !!!) sur Babelio.

Cinoche : Avant l’hiver

Roses rouges de saison.

On peut tout à fait éviter d'aller au cinoche Avant l'hiver.
Sauf si l'on est vraiment très fan de Kristin Scott-Thomas, ce qui pourrait se comprendre et ce qui est d'ailleurs un peu notre cas.
Le film de Philippe Claudel est en effet bien décevant (faut dire qu'on n'avait pas lu non plus de critiques dithyrambiques).
Bientôt l'hiver. Et donc bientôt l'heure de la retraite pour le couple que forment Daniel Auteuil et Kristin Scott-Thomas.  Lui, très riche et très réputé, est neuro-chirurgien. Elle, très belle et très élégante, cultive le superbe jardin de leur superbe maison de verre.
C'est l'automne donc mais l'hiver approche : le chirurgien bedonnant décline, la belle s'ennuie dans sa prison de verre.
Autour d'eux (surtout autour d'elle), tourne le vieil ami d'enfance trop fidèle (Richard Berry, qui vieillit bien, plaisante retrouvaille).
Tout pourrait donc aller presque pour le mieux au fil des saisons humides et pluvieuses (merci la Belgique).
Sauf que ... une jeune fille un peu mystérieuse semble croiser à plusieurs reprises la route de Daniel Auteuil.
Sauf que ... des bouquets de roses anonymes arrivent au cabinet, à l'hôpital, à la maison. Le schéma est classique et on sent qu'il y a là quelques fissures dans la façade bourgeoise trop lisse.
Le chirurgien va-t-il fauter avec la jeunette ? La bourgeoise va-t-elle retomber dans les bras de l'ami fidèle ? On n'est pas loin du boulevard assez convenu(1) même si c'est quand même un peu plus subtil que cela et si Philippe Claudel semble chercher un chemin hésitant entre comédie de mœurs bourgeoises, histoire de couple vieillissant et thriller un peu inquiétant.
Mais on s'ennuie ferme dans la riche propriété du chirurgien et de son élégante épouse, le tout appesanti d'une musique classique et somptueuse sur fonds de campagne humide et somptueuse.
On s'ennuie franchement à regarder Daniel Auteuil se dépatouiller bien mal d'un personnage auquel lui-même n'arrive pas à croire. Reste la si belle et si élégante Kristin Scott-Thomas, à qui le rôle et la cinquantaine vont comme un gant (bon, de chez Hermès le gant). Mais cela ne suffit malheureusement pas à sauver le film.
Après avoir critiqué quelques uns de ses bouquins [1] [2], le pauvre Philippe Claudel va croire qu'on a une dent contre lui (gageons qu'il ne nous lit pas et qu’il s'en fout un peu).
Et puis il y avait ces roses (une chanson, les bouquets, la robe, ...) et puis tout à coup une chanson qui vient nous parler de ... coquelicots ? Ah, non mais c’est quoi ce film ?
Seule consolation, les échos [3] d’une brouille entre la belle Kristin et l’hésitant Philippe Claudel : ce n’était pas la première fois [4]  mais ils ne tourneront plus ensemble. Le talent de la belle ne sera donc plus gâché. Voilà encore une méchanceté gratuite, me direz-vous.
Avec raison.

(1) - ah, la larme d'émotion sur la joue de la jeunette lors de la séance d'opéra !


Pour celles et ceux qui aiment Kristine Scott-Thomas.
Et après avoir re-cherché après le film, on n’a pas trouvé de critique digne d’être citée ici …



Bouquin : Dix rêves de pierre


RIP.

Le sujet était pour le moins intrigant : Blandine Le Callet compose dix petites nouvelles à partir de dix épitaphes relevées au hasard de ses pérégrinations, sur dix pierres tombales : Dix rêves de pierre.
[…] L’idée de ce recueil m’est venue il a plus de vingt ans, lors d’une visite au Musée gallo-romain de Lyon au cours de laquelle je suis tombée en arrêt devant l’épitaphe de Blandinia Martiola.
C’est d’abord la coïncidence entre son prénom et le mien qui a attiré mon attention; puis j’ai été frappée par le caractère émouvant de ces lignes qui, au-delà des siècles, évoquaient le chagrin d’un homme à la disparition de sa très jeune épouse.
J’ai recopié l’épitaphe sur une page arrachée à mon agenda, et me suis prise à imaginer …
L’astuce consiste à nous raconter une petite histoire (dont on devine rapidement que l’un ou l’autre des protagonistes est mort et enterré depuis belle lurette) et de conclure par la fameuse épitaphe, comme si c’était la morale de l’histoire.
Les premières nouvelles sont un peu déroutantes, presque décevantes qui nous emmènent dans le passé, dans l’antiquité : cela nous éloigne et ces premières histoires nous restent un peu étrangères, le temps ancien ajoute une distance supplémentaire à celle déjà présente de la mort.
Mais au fil des nouvelles à lire dans un ordre chronologique, tout cela se resserre autour de notre siècle et autour du personnage même de l’auteure : la dernière nouvelle est même autobiographique et se conclut par une étrange pirouette que la postface (l’instructive postface) de Blandine Le Callet nous garantit authentique.
À mi parcours, la nouvelle des hortensias (celle des âmes d’enfants perdus dans les limbes) vaut à elle seule la visite du cimetière(1).
Rien de macabre dans tout cela : Blandine Le Callet entreprend seulement d’imaginer des histoires et des secrets perdus à jamais.
[…] On a beau savoir que c’est pour bientôt, au bout du compte, on n’est jamais prêt quand arrive le moment.
Quand les vivants sont là, il y a des sujets qu’on évite d’évoquer, des questions qu’on évite de poser, pour ne pas froisser, pour ne pas blesser. Mais quand les chers disparus nous ont quitté, il est trop tard et ils ont emporté avec eux ces secrets, ces non-dits …
Alors il faut bien quelqu’un pour sortir tout cela de l’oubli et du néant, à partir de quelques mots gravés sur la pierre. C’est le travail entrepris par Blandine Le Callet, à sa façon, pour une dizaine de chers disparus.
(1) - dans son excellente postface à garder pour la fin comme son nom l’indique, Blandine Le Callet nous indique que l’Église aura attendu 2007 (oui : 2007 !) pour refermer le chapitre des limbes … L’obscur Moyen-Âge aura duré vraiment très longtemps.


Pour celles et ceux qui aiment les cimetières.
D’autres avis sur Babelio.


Bouquin : Témoin involontaire

La parole est à la défense …

Encore un auteur italien de polars : après le napolitain Maurizio di Giovanni et son commissaire Ricciardi qui voit la douleur des morts, voici donc Gianrico Carofiglio, un auteur du sud de l’Italie, de Bari dans la région des Pouilles (l’ancienne Apulie des romains). La région des trulli où nous avons passé quelques jours bien agréables cet été [nos photos sont ici]. Évidemment on ne pouvait pas laisser passer l’occasion d’y retourner !
D’autant que le style de Carofiglio nous change un peu des polars habituels : l’auteur est magistrat et son héros avocat.
Guido est même un bon avocat : du genre à faire acquitter et libérer un dealer notoire, ou un vendeur de hot-dog dont le camion insalubre a été saisi par la brigade sanitaire, ou même un toubib peu consciencieux qui aura laissé mourir une jeune fille de péritonite en prétextant qu’il s’agissait seulement de douleurs menstruelles.
Bon, parfois Guido doit composer avec sa conscience et par exemple, éviter de croiser le regard des parents de la jeune fille en sortant de la salle d’audience.
De plus, en ce moment ça va pas fort pour Guido et voilà que sa copine le quitte. Le voici en pleine déprime et les livres ne suffisent plus à l’aider.

[…] Quand je vais chez quelqu’un pour la première fois, je vérifie s’il y a des livres, s’ils sont rares, s’ils sont nombreux, s’ils sont trop bien rangés - ce qui n’augure rien de bon -, s’il y en a partout - ce qui est du meilleur augure -, et cetera et cetera.

Jusqu’à ce qu’un après-midi …

[…] Je me souviens parfaitement du jour, ou plutôt de l'après-midi, où tout a commencé. J'étais arrivé à mon cabinet depuis un quart d'heure, et je n'avais aucune envie de travailler. J'avais déjà consulté mon courrier électronique, ouvert ma correspondance, remis de l'ordre dans mes papiers, passé deux ou trois coups de fil inutiles. Bref, j'avais épuisé tous les bons prétextes pour ne rien faire.

Ce jour-là, une drôle d’affaire arrive à son cabinet : un sénégalais qui vend des contrefaçons sur la plage aux alentours de Monopoli est accusé du meurtre odieux d’un petit garçon qui traînait sur le bord de mer. Sans trop réfléchir (la déprime ou l’ennui sans aucun doute ?), Guido va prendre l’affaire en mains et assurer la défense de Abdou.
Ces africains mal venus en Italie, vendeurs de Vuitton et de Rollex, on les a croisés nous aussi cet été, sur les mêmes plages, au nord et au sud de Bari. On les avait croisés également chez Donna Leon à Venise : c’étaient les vu comprà de son bouquin De sang et d’ébène.
On sait que généralement la justice est plutôt mal-voyante. Mais pour ce petit peuple mail aimé et sans ressources, la justice se fait franchement aveugle devant les évidences et sourde devant les arguments. Devant cette justice-là, un “nègre” ne pèse pas lourd, fut-il comme Abdou enseignant trilingue en son pays.
Avec ce polar judiciaire, on n’est pas tout à fait dans une enquête policière et l’on découvrira les nouveaux éléments, un peu comme les jurés, au cours des débats et des plaidoiries : l’avocat Guido et son auteur savent ménager ses effets.
Un bouquin bien fichu et très agréable à lire avec une ambiance fouillée qui fait un peu penser à celle du chilien Ràmon Dìaz-Eterovic (avec son privé Heredia et son chat Simenon).
Outre la procédure judiciaire (pas trop compliquée, rassurez-vous), on se plait à suivre les démêlés de Guido avec sa déprime et ses petites amies et on se dit qu’on tient là encore une bonne série : d’autres épisodes nous attendent déjà et on va donc attendre le prochain avant d’épingler un coup de cœur … qui ne saurait tarder.


Pour celles et ceux qui aiment les prétoires.
D’autres avis sur Babelio.



BD : Quai d’Orsay

Portrait de groupe avec boss.

Le film est pourtant sorti en salle mais ça n'a pas suffit et il aura fallu qu'un collègue nous prête carrément la BD pour qu'on se décide enfin à ouvrir ces albums ! On a parfois des aprioris tenaces ...
Faut dire que le titre (Quai d’Orsay, chroniques diplomatiques ?), le sujet (les coulisses du pouvoir, les couloirs du bureau ?) et le dessin (en apparence brouillon ?) n'étaient guère attirants.
Grave erreur : cette BD se révèle très efficace. Paradoxalement ça accrédite d'autant plus l'idée de ne pas aller voir le film, forcément en-deçà de l'album(1).
Depuis le récent film, on sait tout de la genèse de ces ouvrages : Antonin Baudry fut l'un des conseillers  de Dominique de Villepin. Il rencontrera Christophe Blain et signera avec lui (sous le pseudo de Abel Lanzac) la fameuse BD, qui depuis a été transposée au cinoche.
Les deux albums racontent la vie quotidienne de l'équipe du Quai d'Orsay et se terminent sur le fameux discours à l'ONU contre la guerre en Irak (le Lousdem dans la BD !).
S'il n'y avait que cela, on serait restés sur nos aprioris tenaces : y'aurait pas de quoi s'enthousiasmer pour les couloirs du bureau et les coulisses du pouvoir.
Mais ?
Mais dès les premières cases on est happés par cette histoire vive, intelligente et amusante,  idéalement mise en images et qu'on feuillette à vive allure. Parce qu'ici le fond et la forme sont en totale harmonie pour rendre compte de l'agitation brouillonne, fébrile, désordonnée, ... de l'équipe diplomatique toujours en crise. Sous la conduite du big boss(2) c'est l'effervescence, ça déborde d'énergie et ça file à cent à l'heure. Car c'est “ça” le sujet de la BD : c'est pas la diplomatie (on y apprend assez peu de choses sur ce chapitre), ni même le pouvoir, non, c'est la personnalité de ces grands patrons, parfois caractériels et insupportables, toujours imprévisibles et ingérables, qui survolent tout et son contraire, superficiellement, surfant et rebondissant sur les idées des autres, passant de l'une à l'autre avec l'agilité d'acrobates de haut vol. Des dirigeants imbus de leur personne et de leur pouvoir, bouffis d'arrogance, gonflés de suffisance. Mais gonflés à bloc et frôlant le génie. Parfois.
Derrière eux, il faut que l'intendance suive, bon gré mal gré ...

[...] Il lance la boule, il dit un truc, c'est n'importe quoi en apparence, mais quand tu comptes les points, c'est complètement dingue. Sa boule est toujours à 1 cm du cochonnet de la vérité. […] Mais par contre, qu'est-ce qu'il est chiant ! C'est X-or ce mec. Tu ne peux pas discuter avec lui. Il est constamment dans une dimension parallèle.

Alors des fois (assez rarement il est vrai) y'a des idées qui marchent ...
Ah, je vous l'avais bien dit mon petit Arthur, vous voyez bien que j'avais raison ...
Et des fois (plus souvent sans doute), ça fait flop.
Pfff, encore une de vos idées à la con mon petit Arthur, faut vous reprendre hein ?
La BD a le mérite de décrire cela avec suffisamment d'ambigüité pour éviter au lecteur de prendre position sur Villepin (un cas d'espèce dont on se fout un peu aujourd'hui alors que la portée de cette histoire reste générale). Est-il Don Quichotte ou plutôt un moulin à vent ?
Un peu des deux sans aucun doute car la BD est plus subtile que cela et le portrait moins caricatural qu'il n'y parait : ces grands patrons sont aussi là pour foncer en avant et tirer derrière eux la kyrielle de l'intendance qui mettra en œuvre les idées qui n'ont pas fait flop.
C'est comme au bureau : qui dans sa carrière, n'a pas connu un dirigeant qui ressemble comme une goutte d'eau à celui-ci, qui traverse littéralement les bureaux ou les cases de la BD tel un cyclone, parfois dévastateur pour le patient travail quotidien ?
Les portraits brossés dans ces albums sont criants de vérité (étranges dessins qui pourraient paraître mal finis mais qui, mordants et vifs comme le texte, excellent à faire ressortir une expression) et ne tombent jamais du côté convenu de la caricature trop facile.
Le deuxième album est peut-être un petit peu moins intéressant : plus sérieux, plus politique, on y découvre les coulisses de l’ONU jusqu’au fameux discours de Villepin.
On n'a pas vu le film, on l'avoue, juste la bande annonce qui, ni avant et encore moins après la lecture, ne nous a donné envie d'aller voir Lhermitte au cinoche : alors faites comme nous, ne manquez pas la BD, primée à Angoulême l'an passé !
Des extraits de la BD : [1], [2] et [3]

(1) - un film qui au vu de la seule bande annonce, semble très fidèle au texte, mot à mot
(2) - De Villepin a été judicieusement banalisé, reconnaissable mais sans plus


Pour celles et ceux qui aiment aussi la vie au bureau.
D’autres avis sur Babelio.



Cinoche : Captain Phillips


Hijacking.

On est depuis longtemps fans de Paul Greengrass et de son cinéma 100% action mais action plutôt intelligente.
Il y a eu évidemment les Jason Bournes. Mais aussi et surtout le terrible Vol 93 ainsi que Green Zone.
On avait été aussi pas mal secoués par le danois Hijacking qui relatait le piratage d’un cargo au milieu de l’océan Indien.
On ne pouvait donc manquer le Capitaine Tom Hanks qui incarne à l’écran l’histoire véridique (c’est à la mode, on sait) du Captain Phillips.
Les parallèles sont évidemment à la fois nombreux et divergents avec le film danois : il est bien sûr encore question du piratage d’un cargo au large des côtes somaliennes. Mais là où Hijacking se concentrait sur la négociation marchande entre les pirates et les armateurs danois, le film de Greengrass se focalise sur l’action en mer. D’abord l’assaut du cargo (un film à lui tout seul) et puis la suite des péripéties avec la navy aux trousses du canot en mer (un second film dans le film).
Là où le danois Tobias Lindholm éludait le background des pirates (on devinait à peine d’où ils venaient),  Paul Greengrass nous donne un peu plus à voir sur les conditions inimaginables dans lesquelles ces pauvres fous “travaillent” (si on peut dire), eux qui rançonnent des cargos pour plusieurs millions de dollars et qui n’ont pas de quoi se payer des sandales. Où va tout cet argent ?
Leur violence est à peine à la hauteur de leur désespoir.
La première partie du film (l’attaque du cargo), est un joli morceau de bravoure : une frêle barcasse de quatre somaliens à l’assaut d’un cargo géant. David armé de kalach et Goliath équipé de lances à eau. Des somaliens désespérés pour qui leur propre vie ne compte guère (alors celle des autres … !) et des marins syndiqués et pères de familles. C’est la part du film qui ressemble beaucoup à Hijacking (la peur de la prise d’otages).
La seconde partie du film n’est pas dévoilée par la bande annonce et ceux qui préfèrent les surprises peuvent sauter les lignes qui suivent (même si on n'y dévoile pas la fin, of course, et si ces quelques lignes ne risquent aucunement de vous gâcher le plaisir).

Après l’attaque du cargo, le Captain se trouve embarqué avec les pirates dans le canot de sauvetage du paquebot : l’US Navy est rapidement à leurs trousses. Cette deuxième aventure, ce deuxième film dans le film, est encore plus décoiffant que la première partie. Toujours 100% action, 100% tension. Côté somaliens : trois ou quatre pirates, un otage, un canot bringuebalé dans les vagues. Côté US : plusieurs navires de guerre, un porte-avions, des hélicos, des drones et même une équipe surentraînée et suréquipée de SEAL. Aucune chance côté somalien.
Et ça, l’otage Richard Phillips l’a compris avant même ses ravisseurs : il a deviné, il sait, quel sort leur est réservé. Brrrr…
Il est effarant (et Paul Greengrass filme cela parfaitement), il est effarant de voir le décalage entre d’un côté l’affolement énervé, violent et désespéré des pirates à demi-shootés et de l’autre le professionnalisme froid, inhumain et rigoureux de la navy suréquipée et surarmée.
On aurait pu s’attendre à une critique à peine voilée des surhommes de l’oncle Sam mais non, il n’y a pas vraiment d’arrogance du côté américain : c’est bien pire que ça. Il font leur job, les gars, froidement, sérieusement avec rigueur et sang froid. Terriblement froid, le sang. Pas question de se laisser faire, eaux internationales ou pas, pas question de laisser un citoyen américain aux mains de pirates somaliens ou pas(1). La leçon est claire : les deux mondes sont à des millions de dollars l’un de l’autre, à des millions d’années lumières et les somaliens sont des aliens. On comprend (un petit peu) mieux ce qui peut pousser tant de peuples à haïr aussi viscéralement, aussi désespérément, le monde occidental en général et le monde US en particulier.
Et pour reprendre le parallèle avec Hijacking : ici, Captain Phillips, c’est un peu la réponse du berger US à la bergère danoise.
Saluons aussi la très belle scène qui clôture cet épisode hypertendu et qui réussit brillamment à éviter le mélo : le dialogue avec l’infirmière du bord est tout simplement superbe. Y’a pas d’autre mot.
Pas besoin de morale géopolitique à la fin de cette histoire : le film est à lui tout seul une leçon.
(1) - si Paul Greengrass nous laissait le temps de souffler, on s’amuserait même à voir ces pirates somaliens qui sont là pour le business, très soucieux de se démarquer d’Al Quaïda !


Pour celles et ceux qui aiment la navy.
L’avis de Critikat et celui de Cluny.


Bouquin : Un avion sans elle

Paris-Istanbul, aller simple.

On ne s'attendait pas à grand chose en montant à bord d’Un avion sans elle(1), roman de gare, facile et grand public, qui s'annonçait clairement comme un roman TGV : vite écrit, vite lu. On n'a donc pas été vraiment déçu du vol.
Il fallait déjà accepter l'idée de départ. On se rappelle tous la blague à la noix des survivants d'un avion qui se crashe sans survivants sur la frontière suisse : où sont enterrés les rescapés ?
Et ben Michel Bussi s'est dit qu'il y avait là de quoi écrire un bouquin.
Soit donc un avion, le vol Istanbul-Paris(2), qui se crashe dans le Jura un soir de 1980.
Un seul survivant, un bébé de 3 mois, une petite fille. Sauf qu'il y avait deux bébés du même âge à bord, à quelques jours près, et qu'on sait pas à qui elle est, la miraculée ...
Est-ce la petite Émilie des modestes Vitral ou bien la chère Lyse-Rose des riches De Carville ? That is the question qui va nous occuper pendant plus de 500 pages et un détective privé pendant 18 ans, complètement obnubilé par cette affaire.

[…] Cette affaire me fascinait, j’étais persuadé que j’allais découvrir quelque chose de nouveau, un indice que tout le monde avait laissé filer. J’entassais les notes, les photos, les heures d’enregistrement … Un boulot de dingue … J’ignorais encore à l’époque que je construisais, méticuleusement, les fondations de ma névrose.

On retrouve tout le monde plus tard en 1998 : la petite Lylie(3) a atteint sa majorité et tout va nous être révélé avec pertes et fracas. Mais non sans quelques retours en arrière sur les 18 années de la longue enquête et le journal de bord du détective : l’histoire navigue entre les époques.

[…] Je vous lasse peut-être avec mes souvenirs dégoulinants. Je comprends. C’est l’enquête qui vous intéresse … Rien que l’enquête.
[…] Mais ne soyez pas trop impatients, j’y viendrai. Côté suspense, je crois que vous n’avez pas à vous plaindre : une année interminable pour moi se résume pour vous à quelques pages à lire.

Mais on a dit bouquin vite écrit : à côté des deux familles caricaturées par Michel Bussi, les bien connus Le Quesnoy et Groseille feraient figure de personnalités fouillées, denses et complexes.
Au-delà du parti pris simplissime de départ et de personnages trop caricaturaux pour qu'on arrive à y croire, il y a encore d'autres trucs qui grattent dans ce bouquin comme quelques scènes un peu vulgaires (les éructations de la demi-sœur Malvina, la scène du bar où Lylie se cuite, ...).
Mais quoi, ça fonctionne quand même, comme un casse-tête ou un sudoku : comment va faire l'auteur pour se dépatouiller de cet imbroglio ? Comment le lecteur peut-il ne pas se laisser promener par le bout du nez, de fausse piste en faux-semblant, d'imposture en retournement, ...
Peu importe la trop grande simplicité du style ou des personnages, c'est pas pour ça qu'on aime ces bouquins qu'on appelle des “page-turner”. On tourne frénétiquement les pages écrites à grande vitesse et qu'on lit à même allure, haletant, pressé de se faire avoir, berner et retourner, une fois, deux fois, trois fois, .. je vous le fais bien grillé des deux côtés votre lecteur ? … jusqu'au dénouement final. Lecture facile et vidage de tête, c'est garanti par la maison d'édition. À lire dans l’avion, par exemple.
Tout cela s'améliore et s'emballe un peu sur la fin avec les derniers rebondissements attendus et avant un very happy end confit dans l'eau de rose, mais le travail est beaucoup moins soigné que celui de Pierre Lemaître par exemple …

(1) -  rassurez-vous, Michel Bussi n’oublie pas de remercier Charlélie Couture pour l’emprunt du titre
(2) - alors là, pas cool : on est justement allés à Istanbul le week-end du 11 novembre juste après avoir lu ce bouquin, juré, vrai de vrai, voici nos photos ! bon certes, on n'a plus de bébé à charge, mais quand même ...
(3) - Lylie=Lyse+Émilie pour ceux qui sont déjà perdus, mais s’il y en a qui sont déjà perdus, ils feraient bien de ne pas ouvrir le bouquin !


Pour celles et ceux qui aiment les avions.
De nombreux autres avis sur Babelio.