BD : Le boucher de Hanovre

Bande de polars 3/3.

Suite et fin de la petite série sur quelques polars en BD ...
... et qui dit polar noir, dit dessins au noir (et blanc) : voilà qui nous change des albums habituels aux belles couleurs léchées et glacées.
Passées les premières réticences, on s'y fait (sans doute l'apprentissage par les mangas !), voire on apprécie, car les dessins sont plutôt bien exécutés.
1 : Le casse
2 : Trouble is my business
3 : Le boucher de Hanovre
Ceux qui veulent poursuivre en noir et blanc reliront peut-être le Piège espagnol ou encore Monster et ne manqueront pas l'excellentissime Maus (mais là on sort du rayon polar).


Et voici le troisième de la série ... noire.
On avait gardé le meilleur pour la faim, puisqu'il s'agit tout simplement de la mise en images de la véridique histoire du Boucher de Hanovre qui dans les années vingt trucida sans doute plusieurs dizaines de victimes.
Notre homme aimait bien les jeunes garçons et les aimait au point de les découper en tranches.
En cette période trouble la Germanie vivait des moments difficiles, et Fritz Haarmann ne manquait pas d'approvisionner fort aimablement ses voisins reconnaissants en viande fraîche(1). Et tout cela quasiment sous les yeux de la police puisque Fritz Haarmann était pratiquement assermenté par les condés de Hanovre pour qui il jouait les indics.
Autant vous dire que les desseins de Herr Haarmann étaient encore plus sombres que les dessins de Isabel Kreitz et les dialogues de Peer Meter qui sont tous deux aux commandes de cette remarquable BD.
Et vous l'aurez compris, mieux vaut attaquer cet album l'estomac vide ... ou au contraire déjà bien rempli ? Enfin, chacun fera comme il le sent(2).
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifLes dessins justement sont admirables et rendent particulièrement bien l'ambiance glauque des petites rues de Hanovre. Histoire, ambiance, suspense, tueur en série, ... tout est au rendez-vous pour un bon moment de lecture.
L'album se termine par quelques pages sur la vraie histoire (Peer Meter est spécialiste des tueurs en série) et il est fort intéressant de parcourir ces quelques lignes historiques après avoir dévoré la BD, façon de se dire finalement : purée, tout cela était donc bien vrai ...
 
Cliquez sur les liens pour voir des planches de la BD : [1] [2] et la vraie trogne de Herr Haarmann : [3]

(1) - Et ne venez pas me dire que les habitants de Hanovre n'étaient pas assez regardant sur la provenance de leur viande ... c'est pas le moment ! quand on sait ce que vous mangez dans vos raviolis !
(2) - En tout cas faites vos courses avant de lire la BD, histoire de ne pas regarder de travers votre boucher habituel quand il vous proposera ... et avec ça, je vous mets un petit os à moelle ?


Pour celles et ceux qui aiment les bouchers un peu charcutiers.

Cinoche : Mystery

Du sexe (un peu), des mensonges (beaucoup) et des autos.

On se rappelle (c'était il y a six ans déjà !) Lou Ye et sa Jeunesse Chinoise qui nous contait la vie bouillonnante des jeunes étudiants pékinois pendant les événements de Tiananmen. Une sorte de mai 68 où Deng Xiao Ping aurait remplacé De Gaulle. Le film se terminait sur des images de rutilants 4x4 sur les autoroutes chinoises : la Chine s'ouvrait  ...
Le nouveau film de Lou Ye, Mystery, pourrait bien être la suite : la Chine s'est effectivement transformée et les jeunes chinois roulent à fond la caisse sur les autoroutes.
Mais la comparaison s'arrêtera là car Mystery nous raconte une histoire plus adulte, bien plus dure, faite de mensonges et de compromissions : si l'on en croit Lou Ye, pas sûr que la société chinoise (et le monde en général) soit sur la bonne voie ...
Et ça démarre très fort, accrochez vos ceintures, à fond la caisse sur l'autoroute, sous la pluie battante ... une course poursuite, un jeu idiot, qui bien évidemment finira mal.
Sauf que c'est pas le début ... il va donc falloir remonter un peu le temps pour avoir les clés de cet accident stupide. Qui n'était peut-être pas un accident.
On vous en dira pas plus mais tout le film est fondé sur ces manipulations et ces mensonges. Bien vite Lou Ye nous délivre même quelques clés ... qui ne sont pas les seules puisque d'autres portes dérobées restent encore à ouvrir : de l'importance du cadrage d'une image ...
Le montage de cette histoire mystérieuse est franchement très bien vu et le spectateur se laisse agréablement porté et découvre peu à peu le masque sous le masque de chacun des personnages.
Alors sans vous en dire trop pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte, sachez quand même qu'il s'agit d'histoires de couples. Et que Monsieur n'a pas le beau rôle. Et que Madame et Madame(1) cachent bien leur(s) jeu(x).
Même que BMR aimerait pas avoir affaire à elles. Deux sacrés portraits : on en viendrait presque à plaindre le Monsieur qu'a pas le beau rôle, d'être tombé entre elles deux.
Au-delà de cette histoire de Mystery fort bien contée on le répète, on aime beaucoup la peinture réaliste de la société chinoise(2), du moins de cette classe moyenne qui visiblement réussit à tirer profit de l'ouverture de la Chine : c'est passionnant. Mais on l'a dit, la peinture n'est pas très reluisante et l'enrichissement n'est que de façade.
Juste, on regrette un peu la caméra portée et agitée en tous sens : certes, cela met l'accent sur le côté socio-réaliste et la proximité avec les acteurs-personnages ok, mais c'est vraiment un peu too much et le premier quart du film en est presque gâché (ensuite, le mal de cœur s'estompe et on s'habitue !). 

(1) - évidemment pour faire des histoires de couples, on ne peut pas se contenter d'un seul Monsieur et d'une seule Madame, ça n'importe quel scénariste vous le dira ! 
(2) - le travail, les enfants, le logement, l'école, la police, ...


Pour celles et ceux qui aiment les histoires de couples pas simples. 
Critikat et Filmosphere en parlent.


Miousik : Ebba Forsberg

La Suède encore ?

Oui de la chanson suédoise encore : on le répète, non contents d'inonder le rayon polars, les suédois envahissent également les étagères à CD !
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifEt voici donc un CD de plus avec cette très très belle découverte : Ebba Forsberg.
Une belle femme(1) et une belle voix.
On a repéré trois ou quatre albums aux différentes tonalités dans la discographie peu abondante de la dame :
- en 2006, c'est Ebba Forsberg tout simplement, notre CD préféré aux accents très ‘zelmaniens’, du song-writing ample, doux et profond, facile à écouter, sans réelle surprise mais réglé comme du papier à douce musique : on adore Boy you owe me et Hey
- en 2001, c'est True Love un album plus pop-rock, on y a repéré la belle guitare éraillée de Daybreak par exemple
- en 2011, un autre disque étonnant, Ta Min Vals, où Ebba Forsberg chante Léonard Cohen ou plutôt réinterprète Cohen puisque les chansons y sont à peine reconnaissables : orchestration revue, textes savoureux en suédois, on aime bien Här Är Det (où vous aurez facilement reconnu : Here it is) et Må Din Vilja Ske (même chose : If it be your will) et bien sûr la chanson préférée de BMR : Hallelujah(2)
- le dernier album date de 2012 mais nous a moins accrochés : on en retiendra Shanti.
Bref, celles et ceux qui nous écoutent habituellement devraient bien trouver là de quoi charmer leurs oreilles.
Suffit de cliquer pour écouter notre playliste : ici ou .
(1) - la galanterie la plus élémentaire nous interdit de préciser l'âge de la dame venue sur le tard sur le devant de la scène musicale 
(2) - au bout d'une quinzaine de versions et variantes obsessionnellement collectionnées par BMR, MAM finit par abhorrer cet hymne cohénien

Pour celles et ceux qui aiment les belles femmes au folk un peu mûr.

BD : Trouble is my business

Bande de polars 2/3.

Suite de la petite série sur quelques polars en BD ...
... et qui dit polar noir, dit dessins au noir (et blanc) : voilà qui nous change des albums habituels aux belles couleurs léchées et glacées.
Passées les premières réticences, on s'y fait (sans doute l'apprentissage par les mangas !), voire on apprécie, car les dessins sont plutôt bien exécutés.
Ceux qui veulent poursuivre en noir et blanc reliront peut-être le Piège espagnol ou encore Monster et ne manqueront pas l'excellentissime Maus (mais là on sort du rayon polar).

Et on continue donc avec une surprise puisque c'est le grand Jirô Taniguchi qui se met au polar ...
On se souvient du mangaka Taniguchi pour son Sommet des dieux ou encore son Quartier lointain.
Mais le voici aux commandes d'une histoire de privé à la Marlowe puisque Trouble is my business est la devise du détective Jôtarô Fukamachi, tout un programme !
Et au travers des différents chapitres (à la manière des mangas et des séries télé : l'héritage, l'adultère, l'enlèvement, ...), tous les codes du polar noir américain sont passés au crible : fric, drogue, sexe, castagnes, femmes fatales et yakuzas patibulaires, ... tout le monde est là.
Ce premier album nous a quand même laissé sur notre faim, peut-être une re-lecture avec le tome suivant ?
Et il faudra encore un peu de patience jusqu'à la semaine prochaine, on a gardé le meilleur pour la fin ...
http://carnot69.free.fr/images/japonais-lapin.gif  
Cliquez sur les liens pour voir des planches de la BD : [1] [2] c'est un manga et ça se lit à l'envers.

Pour celles et ceux qui aiment les privés.

Bouquin : La plage des noyés

Pêche au fantôme.

Chic. Voilà un nouvel auteur espagnol(1) qui vaut le détour par la lointaine Galice, perdue tout au bout de la péninsule, à la fin de la terre(2), entre les eaux du ciel et de l'océan
La plage des noyés : comme le titre l'indique, Domingo Villar nous livre le cadavre d'un pêcheur noyé, échoué sur la plage. Certes, ce n'est pas le premier dans ces contrées où les pêcheurs ont tous perdu un frère, un oncle, un ami dans les naufrages en mer.
Mais ce noyé-là a les mains attachées ...
Et certains pêcheurs évoquent déjà à demi-mots le fantôme du capitaine Sousa, noyé avec son bateau douze ans plus tôt ... Le cadavre d'aujourd'hui faisait partie des rescapés d'hier.
 
[...] Ça c'est le plus curieux de l'affaire. Il y a une bonne dizaine d'années, un bateau de pêche du village, le Xurelo, a fait naufrage. Le capitaine s'est noyé, mais il y a des gens qui affirment avoir aperçu le bateau dans les parages. Ils disent que le patron est revenu pour se venger.
[...] J'ai toujours eu le sentiment qu'il y avait quelque chose d'étrange dans ce naufrage.
- Qu'est-ce qui te le faisait supposer ?
- Rien ...
L'osier du fauteuil  grinça quand l'inspecteur inclina son buste vers l'avant pour écouter. Des années d'interrogatoires lui avaient appris qu'un “ rien ” n'était qu'une pause augurant d'un aveu.
 
Au fil des non dits et des silences, l'inspecteur Caldas mène son enquête au ralenti tout en essayant de faire parler les marins du coin. Il aurait presque des allures d'Adamsberg même si le ton est moins à la rigolade que chez Vargas (dès les premières pages il est d'ailleurs rendu hommage à la dame).
Le père de Caldas, lui, a tout largué pour la culture de la vigne (voir Les ignorants) et tient soigneusement à jour le livre des crétins, une sorte de répertoire des pires imbéciles de la région.
L'adjoint de Caldas, c'est Estevez, un gars qui n'est pas du coin et ne croit ni au retour des fantômes ni à la vertu de la patience : il vient d'Arragon, bref c'est une sorte d'alien en Galice.
[...] Ce n'étaient pas les morts qui chagrinaient Caldas, c'étaient les vivants.
 
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifOn se laisse donc balader lentement dans les ports de Galice accrochés aux basques(3) de ce tandem mal assorti.
Et les dialogues laborieux avec les taiseux du coin sont autant de tranches de gâteau à déguster lentement :
 
[...] - Vous êtes sûr que l'embarcation que vous avez vue était le Xurelo ?
- Je crois que c'état lui, oui.
- Vous le croyez où vous en êtes certain ?
Le marin garda le silence.
- C'est ce qu'il vous a semblé, disons.
- C'est ça. Moi, il m'a semblé que c'était lui.
- Ce bateau avait-il quelque chose qui vous a aidé à le distinguer des autres ?
- De quoi vous voulez parler ?
- Je sais pas, c'est à vous de me le dire : qu'est-ce qui vous a amené à croire que c'était le bateau en question ?
- Vous le croyez pas ?
- Moi, je suis le policier qui pose des questions.
- Ça, pour sûr, concéda l'homme.
- Alors ?
- Alors quoi ?
- Alors, Bon Dieu, dites-moi ce qui vous a amené à penser que le bateau que vous avez vu était celui du dénommé Sousa.
- J'étais pas en train de vous dire que je l'ai vu ?
Un nouveau soupir.
- Et il ne vous a paru étrange de voir naviguer un bateau qui a coulé il y a des années ?
- Vous, ça vous aurait pas paru étrange ?
 
Aaaaaahhh ! Au fil des chapitres et des rencontres, le lecteur attentif devient peu à peu expert en parler-galicien, ce langage étrange où l'on répond à une question par une autre. Le plus curieux étant que visiblement ces gens-là se comprennent et que peu à peu l'enquête avance, mais si.
Entre les petits restos du port et le marché à la criée, l'enquête avance à pas comptés, qu'on voudrait bien ralentir encore, peu pressés que nous sommes de quitter la compagnie de Leo Caldas.
Voilà donc quelques heures assurées de belle lecture, assis sur les galets de la plage, sous la pluie, où Domingo Villar fait la preuve que Montalban n'est pas le seul auteur de polars espagnols !
  
(1) - un autre auteur espagnol de polar est d'ailleurs dans la pile à lire ... à suivre !
(2) - la Galice c'est un peu le finistère ibérique
(3) - nul ! archinul ! et ça n'a même rien à voir, pfff. 

Pour celles et ceux qui aiment les coquillages.
Le livre de poche publie ces 501 pages qui datent de 2002 en VO et qui sont traduites de l'espagnol par
Dominique Lepreux.

D'autres avis sur Babelio et chez Quai du polar.

BD : Le casse

Bande de polars 1/3.

Que diriez-vous d'une petite série sur quelques polars en BD ?
... et qui dit polar noir, dit dessins au noir (et blanc) : voilà qui nous change des albums habituels aux belles couleurs léchées et glacées.
Passées les premières réticences, on s'y fait (sans doute l'apprentissage par les mangas !), voire on apprécie, car les dessins sont plutôt bien exécutés.
Ceux qui veulent poursuivre en noir et blanc reliront peut-être le Piège espagnol ou encore Monster et ne manqueront pas l'excellentissime Maus (mais là on sort du rayon polar).

Et on commence avec ce qui s'annonçait prometteur : des polars de Donald Westlake adaptés en bulles.
Voici donc en images, Le casse avec l'inénarrable Parker et sa bande de losers.
Le dessin de Darwyn Cook est plutôt bien vu, noir et orangé(1), aux lignes modernes et agressives, avec un petit air rétro et tout cela convient fort bien à cette histoire de casse monumental où la bande à Parker projette de braquer toute une ville, rien de moins.
Mais voilà, chacun sait (Parker le premier !) que dans les histoires de Westlake, rien ne se passe comme prévu. C'était d'ailleurs écrit dès le départ : Ce coup enfreignait trop de règles. Organisé par un amateur. Dans un cul-de-sac. Mais l'idée séduisait Parker.
L'univers de Westlake est plutôt bien rendu et tout cela se regarde et se lit sans déplaisir aucun mais malheureusement la sauce ne prend pas vraiment, l'histoire ne nous accroche pas tout à fait et finalement cet épisode (il y en a d'autres) ne nous a guère convaincu : sans doute la prose ironique de Westlake est-elle trop verbeuse pour être réduite en bulles ?
Réservé aux amateurs donc, les autres devront patienter puisqu'on a bien sûr, gardé les meilleurs pour la fin ... à suivre !
 
Cliquez sur les liens pour voir des planches de la BD : [1]
(1) - on peut se rappeler la Berceuse assassine autre roman noir mais dans un autre style graphique

Pour celles et ceux qui aiment les casses. 
Bulles en parle.

Cinoche : No

Si !

Chili, 1988. Sous la pression internationale, Pinochet  tente de se refaire une virginité et une légitimité en organisant au moins un semblant de processus démocratique après quinze ans de dictature.
Ce sera un réferendum (plebiscito) ... qui finira à la De Gaulle.
Pendant quelques petites semaines, l'opposition (le cartel des partis de gauche et centre-gauche) a droit à 15 minutes de télévision. La dictature au pouvoir a droit également à ces mêmes 15 minutes. Plus le reste de la journée.
Si l'on ajoute à cela les traficotages et tripatouillages auxquels on est en droit de s'attendre dans tout scrutin bien organisé ... autant dire que les partisans du No à Pinochet partent battus d'avance.
Au point que la plupart n'entendent profiter de ces 15 minutes d'antenne que comme tribune politique pour dénoncer les exactions du franquisme chilien : enlèvements, tortures, assassinats, disparitions, la liste est longue et aujourd'hui connue.
Pourtant quelques politiciens plus avisés demandent à un jeune publiciste talentueux  (une étoile montante du monde de la pub) de prendre en charge le clip de la campagne du No.
Jusqu'ici le jeune homme se tenait à distance respectueuse et craintive de la politique (son ex- est plus activiste mais se fait arrêter et castagner régulièrement). En faisant vendre des cocas et des micro-ondes, il gagne bien sa vie, roule en superbe fuego et profite du renouveau économique du Chili, réservé à l'élite embourgeoisée.
Mais qu'à cela ne tienne, quand on sait vendre du coca ou des micro-ondes, on sait certainement vendre un réferendum(1).
Et c'est parti ...
C'est parti pour un film très étonnant. Et très fort.
Des images jaunissantes, au format carré ... ça surprend un peu, ça peut même faire fuir mais on aurait bien tort car finalement cela permet un montage très habile et très fluide avec les vraies images de l'époque (dont évidemment les clips de la vraie campagne(2)). C'est du cinéma 100% réalité : on est totalement immergé dans les années 80.
La première partie du film est passionnante qui raconte la naissance de l'idée : comment va-t-on vendre ce référendum ? Alors que les partis de gauche ne voient que la tribune offerte pour pouvoir enfin dénoncer ce qui doit l'être, dire à la face du monde ce qui doit être dit : l'horreur de la dictature. Mais cela n'est pas très vendeur et aurait plutôt tendance à faire peur et même à inciter à ne pas aller voter, ne pas s'exposer.
Le film est fort et rend bien compte de la chape de plomb qui pesait sur ces années-là : entre la pression policière toujours constante et le souvenir meurtri des années les plus dures de l'oppression.
Le décalage d'ambiance entre ce quotidien sombre et inquiétant et le clip de la campagne du No (Chile ! la Alegria ya viene !) est presque palpable.
La suite est toute aussi stressante, et on a beau connaître le résultat du référendum, on ne peut s'empêcher de s'accrocher à son fauteuil et de frémir à chacune des péripéties de la campagne.
Il faut dire qu'on s'identifie facilement au jeune publiciste qui regarde tout cela d'un air un peu ahuri (la fréquentation des cocas et des micro-ondes est plus reposante) : dévalant les rues de Santiago en skate, il représente la jeune génération chilienne qui aimerait bien tourner la page d'un passé trop sombre, celle d'un présent pas encore net et penser un peu à son futur. Quitte à passer trop rapidement sous silence le noir bilan de la dictature.
Ce jeune publiciste c'est Gael García Bernal que l'on avait déjà beaucoup apprécié dans un autre rôle tout aussi ambigü à l'occasion de Même la pluie.
Entre la tension constante et les images très typées, le film de Pablo Larrain laisse une très forte impression, durable.
Un film très original dans sa forme et passionnant sur le fond.
Alors pour No, nous on dit Oui !

(1) - évidemment depuis, on sait que pub et politique font très bon ménage ! Séguéla et les campagnes présidentielles, c'était aussi les années 80
(2) - l'occasion de voir ce cher Jean-Paul II venu apporter son soutien à Pinochet (c'était l'année précédente en 1987 - mais le pape récidivera plus tard)

Pour celles et ceux qui aiment la pub, la politique et l'Histoire.
En guise d'introduction au Chili de cette période, on peut jeter un oeil sur notre billet des Évadés de Santiago

Critikat en parle.

Bouquin : En souvenir d'André

Allo docteur ?

Tout le monde connait Martin Winckler (surtout depuis la Maladie de Sachs).
Et même si on n'est pas spécialement fans de ces sujets-là, ici, il faut bien avouer que En souvenir d'André est un excellent bouquin.
Un bon vrai roman. Avec même une intrigue un peu mystérieuse, histoire de tenir le lecteur en haleine et donc de toucher le plus grand nombre.
Bien sûr, derrière le roman se cache (à peine !) un nouveau plaidoyer de Martin Winckler pour faire évoluer la médecine et nos mentalités. Puisqu'il est ici question de la douleur et surtout de la ‘fin’, lorsqu'on a besoin de se faire assister pour passer les derniers moments avec encore un peu de dignité humaine.
Alors le médecin qui accepte d'accompagner ses patients jusqu'au bout se raconte. Et les raconte puisqu'il ne se contente pas de les accompagner : il les écoute aussi, il témoigne.
[...] Je croyais qu'André serait le seul.
Et puis l'homme au coeur brisé m'a appelé.
Après lui, j'ai pensé que c'en était fini.
J'avais tort.
Il y en a eu d'autres. Et puis d'autres encore.
Je me suis souvent demandé comment ils s'étaient passé le mot.
Mais on aurait bien tort de réduire ce bouquin au seul message éthico-médical.
C'est bien un roman (et c'est toute sa force de persuasion) sur l'humanité des malades et de quelques médecins.
Un roman sur leur parole.

Pour celles et ceux qui aiment les bons docteurs.
Les P.O.L. publient ces 197 pages qui datent de 2012.
D'autres avis sur Babelio .

Cinoche : Möbius

Je te tiens, tu me tiens, ...

Petite déception (légère) que ce Möbius dont la bande (ah, ah) - annonce semblait prometteuse.
Depuis Les patriotes, on sait que Eric Rochant aime les histoires d'espionnage où l'on ne sait plus qui manipule qui.
Et dans ce registre, Möbius va très loin si l'on en croit les commentaires désorientés des spectateurs à la sortie de la salle qui, tout comme MAM, n'ont fait absolument aucun effort pour tenter de saisir quelques brins de l'intrigue compliquée tissée dans le film [ceux qui ne craignent pas les saveurs un peu éventées, peuvent saisir quelques clés dans un commentaire posté discrètement sous ce billet].
Alors ?
Alors on peut quand même aller voir ce film :
Pour (c'était gagné d'avance) Cécile de France de Belgique dont les yeux illuminent le ciel monégasque.
Pour la première partie qui plante le décor, les personnages, les fils des marionnettes, l'intrigue politico-financière, et où l'on se dit que peu à peu, on va comprendre (on l'a vu, MAM sera déçue).
Pour la combinaison d'histoires récentes (la disgrâce de l'oligarque Berezovsky, l'empoisonnement de Litvinenko, ...) sans compter les références à la crise économique, depuis les frères Lehman(1) jusqu'à la débâcle espagnole.
Pour se convaincre une bonne fois pour toutes que Dujardin ferait bien de rester à cultiver le sien et que, même affublé d'une barbe de trois jours(2), il est bien aussi insipide que BMR le disait.
Pour les deux ou trois brins d'humour dispensés au début du film, lorsque l'équipe en planque prend au second degré les consignes idiotes qui lui sont balancées comme "gardez vos distances" ! Et pour la petite coquetterie du dialoguiste lorsque, quelques instants après, la deuxième consigne idiote est assénée : "restez vigilants" et puis un blanc ... le spectateur qui a donc juste le temps de se dire in petto, ben celle-là c'est comme l'autre hein ? ! et yes ! l'acteur à l'écran qui rebondit(3).
Bref, une belle histoire d'amour cachée dans un pas très bon film d'espionnage.
  
(1) - assurément Cécile de France est bien responsable de cette faillite mémorable : si elle est passée dans leurs bureaux, sûr que les traders ont dû quitter leurs écrans des yeux un peu trop longtemps
(2) - on n'ose imaginer ce qu'a coûté la prod du film quand, chaque fois à partir du quatrième jour, il fallait attendre que la barbe repousse avant de reprendre le tournage !
(3) - malheureusement ce sera tout, le dialoguiste facétieux en aura sans doute eu marre d'attendre encore trois jours que la barbe de Dujardin repousse et aura flanqué sa dém'

Pour celles et ceux qui aiment Cécile de France ou de Belgique.
Cluny en parle, Filmosphère aussi.

Cinoche : Zaytoun

Les olives ont du mal à passer.

Encore une petite déception que ce Zaytoun : on espérait un peu mieux de cette cavalcade entre un jeune garçon palestinien et un pilote de l'aviation israélienne.
Le jeune palestinien (Fahed) vit ou plutôt survit dans le camp libanais de Chatila.
Le pilote israélien (Yoni) est abattu au-dessus du Liban et cherche à regagner sa base.
Fahed aussi aimerait bien rentrer chez lui, en Palestine occupée, dans son village où il n'est pas né mais dont son père et son grand-père lui ont rebattu les oreilles ... et où il voudrait bien replanter l'olivier (zaytoun en VO) que son père entretenait religieusement.
Alors Fahed et Yoni font la paire et se font la malle, au prix de quelques invraisemblances rocambolesques(1).
Pouce baisséMais la sauce kebab, même aux olives, ne prend pas(2).
Stephen Dorff sait très bien faire le regard étonné mais le fantôme de Sofia Coppola plane somewhere sur son jeu ectoplasmique. Le jeune Abdallah El Akal sait très bien faire le regard buté comme il sied à un mauvais garçon mais qui a bon coeur.
Mais las, le jeune Fahed n'a pas le charme lumineux que Elle Fanning avait dû déployer pour illuminer le film déjà cité, et le spectateur a bien du mal à ne pas faire le regard ennuyé, voire rancunier car on finit par en vouloir à l'israélien Eran Riklis d'avoir gâché cette belle histoire.
Alors ?
Pouce levéAlors on peut quand même aller voir ce petit film, ne serait-ce que pour la première partie qui décrit de façon très réaliste la vie survie des ces palestiniens apatrides dans un Liban déchiré.
Fahed est bien vite orphelin - comme tout bon jeune palestinien qui se respecte - et se débrouille vaille que vaille dans les ruelles post-apocalyptiques de Beyrouth, en tentant d'échapper tantôt aux balles des phalangistes (rappelez-vous), tantôt aux recrutements forcés des milices palestiniennes tout en regardant passer les F16 dans le ciel bleu.
Les généraux de Tsahal seraient bien inspirés de jeter un oeil sur ces images : quand on voit ces palestiniens obnubilés par le retour sur leurs terres, qui enterrent leurs martyrs et embrigadent leurs jeunes, génération après génération, on se dit que les israéliens ne gagneront jamais cette guerre larvée contre un peuple qui a déjà tout perdu.
Mais sans doute que ce conflit n'est fait ni pour être gagné, ni pour être perdu, juste pour durer.
 
(1) - comme la débauche de moyens déployés par l'ONU pour rapatrier le garçon  !
(2) - hey BMR, c'était hier qu'il fallait publier ce billet, le 5 mars ! pfff....

Pour celles et ceux qui aiment les oliviers.
Critikat en parle et pour une fois on est malheureusement d'accord.

Cinoche : Week-end royal

Le président en campagne.

Après Lincoln, suite de la série sur les présidents US (même si le cinéaste Roger Michell est anglais).
Mais les avis sont partagés sur le Week-end royal organisé par Bill Murray.
MAM s'y est plutôt ennuyée.
BMR s'est laissé porter par l'ambiance champêtre.
Officiellement (c'est le cas de le dire) il s'agit de la rencontre entre le roi George VI, le king anglais (celui du mémorable Discours) et Franklin Delano Roosevelt, le président US.
Accessoirement, la première visite d'un monarque anglais sur le nouveau monde.
Accessoirement, le week-end qui changera la face du vieux monde puisque c'est (en principe) cette rencontre qui permettra l'intervention US(1) dans la seconde guerre mondiale.
Officieusement c'est l'histoire de ces gens hors du commun des mortels (le roi, le président) accablés d'une charge trop lourde, soumis à haute pression.
Pour échapper à tout cela, l'un bégaie, l'autre court les jupons et se prépare des cocktails.
Et comme pour les rendre encore plus humains malgré les costumes qu'ils ont dû endosser, l'un est affligé d'une redoutable infirmité d'élocution (putain de bégaiement) et l'autre ... putain de polio.
Voilà pour le cadre historique et le message. Mais c'est tout, car le film se déroule entièrement dans la résidence d'été de Roosevelt et l'on y parle plus de vaisselle, de toilettes (dans tous les sens du terme) et de cuisine ou de coucheries que de politique.
Bref, l'Histoire par le tout petit bout de la lorgnette.
Alors il faut effectivement se laisser porter par le rythme nonchalant de ce week-end champêtre. Et c'est possible grâce à la performance de Bill Murray(2) qui réussit à incarner un Roosevelt pince-fesses et pince sans rire, qui finira même par réussir à décoincer le Prince Albert qui semblait arrivé jusqu'à lui avec un balai dans ...
Les dialogues entre les deux grands sont pleins de sel.
Ainsi sera scellé l'avenir des deux nations (et le nôtre aussi donc).
  
(1) - des US qui peinaient encore à se relever de la Grande Dépression et qui vont bientôt redécouvrir les bienfaits de l'économie de guerre
(2) - évidemment après Colin Firth, Samuel West qui incarne le roi George VI a la partie moins facile

Pour celles et ceux qui aiment les petites histoires avec un peu d'Histoire dedans

Cinoche : Goodbye Morocco

Dernier hiver à Tanger.

Décidément, la semaine fut riche en petits films coup de coeur : après Hitchcock et Wadjda, voici Goodbye Morocco du cinéaste franco-algérien(1) Nadir Moknèche.
Ce film - qui tient les promesses de sa bande-annonce - est porté par la très remarquable et emblématique Lubna Azabal, actrice belge d'origine hispano-marocaine, qui nous avait déjà scotchés au fauteuil dans le terrible Incendies.
Cette fois-ci, elle compose un beau portrait de femme à la Almodovar (auquel N. Moknèche dédie plusieurs allusions).
Le film de Nadir Moknèche peut, et c'est à son avantage, être regardé comme un polar : beaucoup de scènes sont montées comme les films noirs du siècle dernier avec le cadavre dans le coffre de la bagnole, la femme fatale capable de faire tourner la tête aux hommes, des hommes prêts à commettre les pires bêtises, sachant très bien où elles vont les mener, où Elle va les mener.
L'autre intérêt de ce film, c'est qu'il nous prend systématiquement à contre-pied : Moknèche nous met en scène un Maroc gris, venté et boueux, une ‘héroïne’ qui exploite sans états d'âme des travailleurs noirs sans papiers(2), un cinéphile amateur de jeunes mâles(3), une bande de fricoteurs qui s'entendent pour barboter des oeuvres archéologiques et un port de Tanger propice aux trafics en tous genres qui manifestement n'a rien d'une station balnéaire.
Bref, un Maroc que tout le monde essaie de fuir, depuis ces travailleurs blacks sans papier qui bossent (ou pire) pour amasser le petit pécule qui leur permettra la traversée, jusqu'à la belle Lubna Azabal qui manigance le kidnapping de son fils pour échapper à son riche et influent ex-mari. Personne n'a donc le beau rôle, même pas Tanger ou le Maroc.
Le film est habilement monté par flash-backs successifs qui nous baladent entre les quelques jours, ou plutôt les quelques nuits, qui ont vu le drame se nouer et cette superposition de temps s'ajoute aux différentes couches narratives : le chantier et le trafic archéologique, la mère et l'enlèvement de l'enfant, le cinéphile amateur de jeunes blacks, le triangle amoureux avec la femme, le chauffeur marocain(4) et l'amant serbo-croate, le drame meurtrier de la nuit fatale, ... peu à peu, on entre dans la complexité de toute cette histoire et on se laisse prendre par la spirale infernale, sachant que tout cela ne peut évidemment que mal finir évidemment, sachant que tout cela a évidemment déjà mal fini.
Avec le savant équilibre de tous ces niveaux de lecture, Nadir Moknèche nous compose une belle surprise cinéma.
Petit clin d'oeil à nos ami(e)s lyonnais(es) : le musée de Tanger du film n'est autre que le musée gallo-romain de Fourvière.
 
(1) - le cinéaste est interdit de caméra en Algérie et filme donc en France ou au Maroc
(2) - on est toujours l'arabe de quelqu'un d'autre ...
(3) - on retrouve avec plaisir Grégory Gadebois, le pêcheur d'Angèle et Tony
(4) - mention spéciale pour Faouzi Bensaïdi dans le rôle d'Ali

Pour celles et ceux qui aiment les vacances au Maroc.
Critikat en parle.