Bouquin : Lumière morte


Harry Bosch met les pendules à l’heure.

Dans sa préface de Lumière morteMichael Connelly himself explique que les choses ont changé, que son notre détective préféré, Harry Bosch, a vieilli et se retrouve désormais à la retraite.
Pour marquer le changement, Connelly explique qu’il s’est même efforcé de changer de style narratif pour passer à la première personne et nous faire mieux partager les pensées de Harry Bosch.
Mais on a tant de plaisir à retrouver tout cela après avoir fréquenté Harry durant de longues années qu’on se demande : ah bon, c’était pas écrit comme ça avant ? Comme si on avait toujours été dans les pensées de Hiéronymus Bosch.
Alors Harry à la retraite ?
Oui, oui. Bien sûr il s’ennuie et s’étiole, faisant semblant de jouer au privé sans grande conviction.
Alors on se doute bien, ne serait-ce que pour notre plus grand plaisir, que l’ami Harry va rouvrir un de ses vieux dossier, un cold case. Un frozen case même.
Sauf que ce dossier-là, fallait surtout pas le rouvrir, Harry.

[…] – Quelles sont mes chances de jamais consulter l’ensemble du dossier  ?
– Je dirais entre zéro et aucune. […]
– Ils sont montés dans mon bureau, ont ouvert mon tiroir et l’ont embarqué. Je ne reverrai plus ce dossier. Et peut-être qu’ils ne me rendront même jamais le tiroir. […]
– Et qu’est-ce qui se passera si je ne peux pas laisser tomber  ? Qu’est-ce qui se passera si, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec cette affaire, des raisons personnelles, il faut absolument que je continue  ?... Dis-moi, qu’est-ce qui se passe  ? Elle hocha la tête d’un air agacé.
– Tu prendras des coups. Parce que ces gens-là ne rigolent pas, Harry. Trouve donc une autre affaire ou une autre manière de te débarrasser de tes démons.
– Qui sont «  ces gens-là  »  ?

Depuis le 11 septembre on le sait, les États-Unis n’ont plus qu’une obsession, la lutte contre le terrorisme : TMSB, Tous les Moyens Sont Bons, au point d’enterrer les autres crimes s’ils touchent de près ou de loin au terrorisme, au point de vouloir fermer la trop grande gueule de notre ami Harry s’il tente de rouvrir des dossiers bien fermés.
Heureusement, Connelly ne s’appesantit pas trop sur ce volet politique un peu convenu qui (comme dans À genoux) ne sert que de décor à un polar très noir, à l’ambiance peut-être encore plus sombre que d’habitude.
Peut-être parce que cette fois-ci il n’y a pas d’affreux barjot, de psychopathe allumé, de serial-killer monstrueux, … non, rien que de l’américain bien normal dans cette enquête qui va mêler showbiz arrogant, LAPD corrompu et FBI paranoïaque.
Avec ce qu’il faut de retournements de situation et de coups de théâtre, jusque y compris dans la vie privée du privé !

Pour celles et ceux qui aiment les don quichottes du LAPD, même à la retraite.
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BD : Les 110 pilules

Le déclic de la période Ming

Les éditions Delcourt ont eu la bonne idée de ré-éditer dans leur collection Erotix, la BD de Magnus : Les 110 pilules.
La bande dessinée de Magnus (l’italien Roberto Raviola) datait des années 80, les années de l’écho des savanes, mais le véritable original date lui à peu près de l’an 1000 : le Jin Ping Mei (ou Fleur en fiole d’Or), un roman érotique de la dynastie Ming, des milliers de pages compilées au fil des siècles et dont la BD reprend quelques thèmes.
Le riche seigneur Hsi-Men, bon vivant, va obtenir d’un moine ermite, quelques pilules magiques (110 pour ceux qui ne se sont pas laissés distraire par les images) qui lui assurent la virilité qui sied à son rang et qui vont lui permettre d’honorer comme il se doit ses diverses concubines et même d’autres dames si besoin.

[…] Mais n’oubliez pas ce que vous dit le moine ! Jamais plus d’une et une à chaque lune !

Évidemment ces petites pilules magiques (le viagra avant l’heure) vont nous valoir quelques émotions, à nous lecteurs et puis aux dames de la cour aussi.
Les beaux et agréables dessins en noir et blanc de Magnus font la part belle aux courbes féminines et aux membres virils, au point qu’on en oublie souvent d’admirer les décors et les paysages, pourtant fort bien travaillés eux aussi.
Entre deux intrigues de son harem, le seigneur Hsi-Men avale ses pilules sans compter et bande à tout va. Dames de la cour, prostituées du village, riche voisine et même quelques jeunes et beaux travestis, tout le monde y passe et dans différentes positions, la Chine est une civilisation raffinée, on le sait.

[…] Le jardinier : lui, butte le jardinet avec deux doigts, elle, allongée sur le dos, les jambes autour de sa taille à lui, cultive le concombre en attendant d'être arrosée.
[…] La grille : elle est sur le dos, les genoux en arrière, introduit deux doigts dans son petit four, lui, sa broche.
[…] La petite cage : il s'est allongé sur le dos, elle s'est assise sur lui, emprisonnant l'oiseau. Elle serre les cuisses et le fait gazouiller.

Mais le seigneur Hsi-men a trop vite oublié les conseils avisés du moine et tout cela va très mal finir sans que l’on sache bien si la morale de l’histoire est de celles qui nous interdisent de braver les équilibres immuables de la nature ou de celles qui nous incitent à profiter du temps présent sans souci de l’avenir …
Un album chaud, qui change intelligemment de la production habituelle et qui s'avère être un peu plus qu'un catalogue d'images pieuses.
Ci-contre une photo de l’auteur (décédé en 1996) dont … les bacchantes n’ont rien à envier à celles de son héros.


Pour celles et ceux qui aiment ‘ça’.
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Cinoche : L’enquête

Le journaliste et la blanchisseuse.

On se souvient tous de la fameuse Affaire Clearstream, de la guerre Villepin/Sarko qui s’ensuivit, de ces listings plus ou moins falsifiés sortis des ordinateurs de la firme, comme une sorte de bande-annonce des affaires-leaks qui sortent du bois depuis quelques années.
Mais si comme nous, vos souvenirs de cette affaire sont un peu flous, comme une succession de flashes du JT, il vous faut de toute évidence aller voir L’enquête de Vincent Garenq qui relate l’enquête du journaliste Denis Robert (le vrai, incarné ici par le désormais incontournable Gilles Lellouche).
Paradoxalement, le côté le moins réussi du film est le portrait du journaliste et de son enquête : Lellouche est désormais un peu trop vu à l’écran, son personnage d’obstiné paranoïaque n’est pas très sympa (mais sans doute proche de celui de la vraie vie …), le travail d’enquête se résume à faire parler quelques témoins coûte que coûte, … le seul intérêt est de nous rappeler que Denis Robert fut d’abord lâché par ses pairs avant d’être poursuivi par les méchants.
Non, le volet le plus intéressant de ce film, c’est le décor de la politique et des affaires.
Des affaires dont finalement Clearstream n’était qu’un instrument financier, un bel outil mais juste un outil.
Ce film nous en apprend finalement plus sur les frégates de Taïwan que sur Clearstream.
On y voit Fabius porter les valises, Villepin se faire manipuler par un drôle de bonhomme.
On y voit l’un des dirigeants de EADS, Jean-Louis Gergorin, tenter de déstabiliser son rival chez Thomson qui avait vendu les frégates aux taïwanais avec au passage de substantielles rétro-commissions pour les un et pour les autres.
Mais surtout, au-delà du scandale financier, on (re-)découvre que ces frégates (avant même d’être armées) avaient déjà causé plusieurs morts jusque dans les rangs de la direction de Thomson. Incroyable.
Tout cela est filmé comme un thriller, presque à la Largo Winch, en arrière-plan de l’enquête Clearstream.
Juste un petit regret concernant la mise en perspective du terrorisme (histoire de nous rappeler qu’on était en 2001) qui semble un peu racoleuse et qui est sans doute hors de propos (dans cette affaire-ci tout du moins).
Le personnage le plus intéressant du film, celui sur lequel on aurait envie de s’attarder, c’est finalement le juge Renaud Van Ruymbeke (auquel Charles Berling prête son visage, pardon : à qui le juge a prêté ses traits).
Avec ce film, Vincent Garenq entrouvre une porte qui devrait peut-être rester fermée : on entrevoit nos politiciens corrompus, les dirigeants de nos entreprises prêts à tout, de l’argent sale avec beaucoup de zéros et même quelques cadavres. Tout cela donne envie de (re-)fermer les yeux ou de fuir, mais certainement pas de travailler pour ces grands groupes du CAC40 ni de voter pour ces politiques corrompus : ainsi va notre monde où l’on ne fait pas d’omelettes sans casser quelques œufs, tel est le prix de notre mode de vie, de nos emplois, de notre croissance ?
Au final, un film bien maladroit qui manque de peu ce qu’aurait pu être un polar journalistique, qui laisse juste espérer ce qu’aurait pu être un thriller politique mais qu’il faut aller voir pour réveiller sa conscience trop facilement endormie.


Pour celles et ceux qui aiment savoir ce qu’il y a derrière la façade de la blanchisserie.
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Bouquin : Un membre permanent de la famille


L’écrivain et le stéthoscope.

Un recueil de nouvelles de Russel Banks, c’est un peu la garantie du plaisir de la lecture.
À l’écriture toujours aussi magistrale de Banks s’ajoute le format de courtes nouvelles qui oblige à aller vite et bien à l’essentiel, là où ça fait mal, juste au cœur.
Au cœur de ces hommes et femmes dont la vie est sur le point de basculer tout doucement, au cœur d’une famille qui est sur le point de partir à la dérive. Car il est beaucoup question de couples et de familles dans ces nouvelles comme dans celle qui donne son titre au recueil : Un membre permanent de la famille, un membre de la famille qu’on vous laisse découvrir (un indice : il est en photo sur la couverture).
Des tranches de vie ou non, même pas : de simples petits moments de vie, quelques heures suspendues entre deux (un hôpital, un hôtel, un aérogare, …), où tout semble sur le point de glisser, de basculer, au moment où l’on décide de continuer ou d’arrêter de se mentir à soi-même.
De son écriture sèche et un peu froide, comme un stéthoscope, Russel Banks ausculte les cœurs.
Comme celui de Howard, tout récemment transplanté, qui doit s’habituer au rythme cardiaque d’un autre, un autre dont la veuve a voulu le rencontrer.
[…] '”Oui, j’aimerais vous demander un service, dit-elle. Je peux ?
- Ouais, bien sûr. Pourquoi pas ?
- Je voudrais écouter votre cœur. Le cœur de Steve.
- Houlà ! Écouter mon cœur ? C’est … disons, est-ce que c’est pas un peu … bizarre ?
- Pour moi ce serait vraiment important. Plus que vous n’imaginez. […]
Ils restèrent ensemble un long moment, secoués par le vent qui venait du port, chacun serrant l’autre dans ses bras en écoutant le cœur d’Howard.
Dans les premières pages (une des meilleures nouvelles) on fera aussi la rencontre de Connie, un ancien marine, un vétéran dont les trois fils sont dans la police et qui se fait bêtement choper au retour d’un braquage de banque …
[…] “Allez, papa, sois raisonnable. On est deux là à pouvoir t’arrêter ! C’est ce que tu veux ? Être arrêté par tes propres fils ? Et que le troisième soit ton gardien de prison ?”
Connie regarde la fenêtre à l’autre bout de la pièce et, à travers la vitre, l’obscurité du dehors. Il se demande si on est déjà en pleine nuit ou de très bonne heure le matin. Il déclare : “Ça parait bizarre, quand vous dites les choses comme ça. Comme si j’avais voulu que ça arrive.”
En quelques pages, chaque moment nous plonge au cœur de l’humain, au cœur de ces êtres ordinaires des États-Unis d’Amérique.
Comme autant de rapides portraits, crayonnés en quelques traits. La pirouette qui tient lieu de chute habituellement à une nouvelle ressort plus ici du crayon levé. Comme en suspension.
Contrairement à la plupart des recueils de nouvelles, celui-ci est très harmonieux, empreint d’une unité de ton un peu mélancolique qui fait qu’on le referme en ayant l’impression d’avoir lu un roman, d’avoir traversé un village étrange peuplé de personnages voisins.
Un concentré de très grande littérature. Tout simplement.

Pour celles et ceux qui aiment les oiseaux des neiges.
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Bouquin : Dieux de la pluie

Au Texas, les dieux nous sont tombés sur la tête.

Un roman , un polar, de James Lee Burke mais sans son flic fétiche Dave Robicheaux : Burke remet en scène dans ce roman récent, un ancien héros, un shérif, qu’il avait déjà installé au début de sa carrière, une sorte de prototype de Dave Robicheaux.
Et l’on quitte la Louisiane pour retrouver le Texas où est né Burke.
Un Texas écrasé de chaleur et saturé de poussière.
Voilà pour les nouveautés.
Pour le reste, Dieux de la pluie, c’est du grand James Lee Burke : une écriture toujours aussi foisonnante, riche, un roman toujours aussi tordu et complexe où tout devient prétexte à histoire(s), où même une simple église en bois recèle tout un passé, où même le moindre personnage secondaire possède toute une densité.
Du grand roman américain, exigeant.
Avec toujours ce sentiment diffus d’une certaine confusion où il faut accepter de se laisser porter, emporter, dans une histoire très noire, aussi noire que l’âme humaine.
Dès les premières pages, nous voici plongés en enfer : à la frontière mexicaine, une dizaine de filles asiatiques, moitié putes, moitié mules, viennent de se faire hacher à la mitraillette et enterrer au bulldozeur. Celui ou ceux qui ont fait cela n’ont même pas pris la peine de  vérifier si elles étaient bien mortes avant de passer le tractopelle.

[…] – Ces femmes orientales, à Chapala Crossing ? C’est pour ça que vous êtes là ?
– Certaines étaient des gamines. Elles ont été abattues à la mitraillette, puis enfouies par un bulldozer. Au moins l’une d’entre elles était sans doute encore vivante. »

Après la découverte de l’horrible boucherie du début, il ne se passera presque plus rien : ce qui intéresse James Lee Burke, ce n’est pas le côté polar, l’intrigue policière, mais ses personnages, les âmes de ses personnages, qu’il a plongés dans cet enfer (et nous avec).
Toute une galerie de multiples acteurs aux motivations et alliances un peu confuses, tant du côté des forces de l’ordre que du côté des malfrats, qui vont s’éclaircir peu à peu au fil de ce gros pavé.
Le shérif Hackberry Holland et sa jeune adjointe Pam Tibbs aux relations (et aux passés) complexes (Hackberry n’était pas revenu indemne de Corée).

[…] Je suis censé être ton supérieur, Pam. Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à te mettre ce concept simple dans la tête ?
– Va savoir, patron. »

Un jeune couple de paumés, embarqués dans cette sale histoire : Vikky la chanteuse de country(1) et Pete, le GI qui n’a pas l’âge de la Corée mais qui regrette d’être revenu (pourtant pas plus indemne) de l’enfer du moyen-orient.

[…] En Afghanistan, je priais pour qu’il y ait du vent.
– Pourquoi ?
– S’il y avait beaucoup d’arbres et que le vent se mettait à souffler et que quelque chose dans les arbres ne bougeait pas avec le vent, c’est de là que venait la prochaine roquette. »
[…] « Je regrette de ne pas avoir pris une balle de kalachnikov à Bagdad. »

Nick le proxénète juif, exilé de La Nouvelle-Orléans depuis Katrina, et qui est peut-être à l’origine de tout ce bazar.

[…] – Arrête de mentir. Qu’est-ce que ces hommes ont fait en ton nom ?
– Ils ne l’ont pas fait en mon nom. Je ne leur ai jamais demandé de faire ce qu’ils ont fait.
– Tu me donnes envie de te frapper, de me mettre les poings en bouillie.
– Ils ont tué neuf Thaïlandaises. Des prostituées. Artie Rooney leur avait fait franchir la frontière clandestinement. Ils les ont passées à la mitraillette, et enterrées avec un bulldozer.
– Mon Dieu, Nick, dit-elle, sa voix se brisant dans sa gorge.
– Je n’avais rien à voir avec ça, Esther.
– Si, tu avais à voir. »
Puis elle répéta : « Si, tu avais à voir. »

Esther, la charmante épouse de Nick, au prénom biblique qui lui sauvera la vie.

[…] Esther a dit au roi Xerxès que s’il tuait son peuple, il devrait la tuer, elle aussi. C’est comme ça qu’elle est devenue la servante de Dieu. Tu ne sais pas ça ?
– Non, et je perds pas non plus mon temps à ces conneries de la Bible.
– C’est parce que tu n’as pas d’éducation. Tu n’es pas coupable de ton ignorance.

L’inspecteur Clawson des services de l’immigration et des douanes US,  un officier trop border-line (excusez pour le jeu de mots) pour être clean et rester couvert par ses supérieurs.

[…] Désolé de t’avoir fait la leçon à propos de Clawson. Je ne pensais pas qu’il essaierait de se servir de nous, dit Pam.

Une bande de motards et pas mal d’affreux jojos, dont un irlandais et un russe en plus du juif, dont on ne sait pas qui en veut à qui (en fait c’est simple, voici un indice : tout le monde en veut à tout le monde et personne ne se fait confiance).

[…] Le type qui a tué toutes ces femmes derrière l’église utilisait une Thompson. C’est difficile de s’en procurer. Elles tirent des cartouches de .45. Le tambour à munitions contient cinquante cartouches. Peut-être que le type qui a tué les filles derrière l’église est le même que celui qui a mitraillé les motards.
– Ça n’a pas de sens. Pourquoi se tueraient-ils entre eux ?
– Peut-être qu’ils ne travaillent pas ensemble. »

Et puis les agents fédéraux du FBI qui ont leurs propres cibles.
Tout ce joli petit monde se croise et se décroise sur les routes du Texas, sur l’air de I get around, parfois sans même se voir, entre motels miteux et diners crasseux.

[…] – Je pense que cet endroit est un asile psychiatrique en plein air.

Et puis il y a le plus barjot des barjots, le Prêcheur, dont on peine (dont tout le monde peine !) à deviner les motivations, capable du meilleur comme du pire, le plus souvent embarqué dans des délires mystiques.

[…] – Un type avec des béquilles sans maison ni voiture ? À mon avis, ce type est une espèce de légende urbaine.
– Peut-être.

Un type capable de vous découper le petit doigt sur le coin de votre bureau si ça peut faire avancer la discussion, un expert en grammaire et en mitraillette :

[…] – J’essaie d’être carré avec toi. T’es un puriste. Il y en a plus beaucoup, des comme toi. Ça veut pas dire que j’ai envie de me manger une balle.
– Pourquoi penses-tu qu’on va se faire refroidir ?
– T’as essayé de passer une adjointe du shérif à la mitraillette. Ensuite, t’as eu une occasion de buter le shérif et tu l’as pas fait. Je pense que tu dois avoir un désir de mort.
– C’est sans doute ce que pense le shérif Holland. Mais vous vous trompez, tous les deux.

Ce Prêcheur qui campe sur la tombe de sa mère et qui mérite indiscutablement son entrée au panthéon des grands fêlés.

[…] J’ai un truc à te demander.
– Si ma mère est vraiment enterrée sous cette tente ?
– C’est en partie ça.
– Et quoi d’autre ?
– Que lui est-il arrivé ?
– Comment elle a fini ses jours ?
– Ouais, je veux dire, si elle était malade, ou si elle était vieille, ou si elle a eu un accident ?
– C’est une question complexe. Tu vois, je ne sais pas si elle est sous cette tente, ou s’il n’y a qu’une partie d’elle. Je l’ai enterrée après une période de grand gel. J’ai dû faire un feu sur le sol et me servir d’une pioche pour creuser la tombe. Alors je n’ai pas creusé très profond. À cette époque je ne connaissais pas grand-chose aux prédateurs, et je n’ai pas recouvert la tombe de pierres. Quand je suis revenu un an après, des créatures l’avaient déterrée, et dispersée sur quarante ou cinquante mètres. J’ai remis dans le trou ce que j’ai pu, mais pour tout te dire, je ne sais pas exactement quelle quantité d’elle se trouve sous nos pieds. Il y avait un tas d’os tout autour.
– Jack, est-ce que tu…
– Quoi ?
– Il arrive des merdes. Tu avais quelque chose contre ta mère ?
– Ouais, il arrive des trucs. Ressers-moi un peu de café, tu veux bien ?

À peine arrivé à mi-parcours on comprend un peu mieux qui a fait quoi, qui a commis quoi, qui court après qui et pourquoi, mais il reste encore de nombreuses pages et, tout comme les personnages, on n’est pas encore sorti de cet enfer !

[…] « Qui était le tireur, à l’église ? demanda Hackberry.
– Celui qui a vraiment tiré ?
– C’était qui ?
– Le Prêcheur, je crois.
– Tu crois ?
– Je ne l’ai pas vu. Je suis sorti du camion pour pisser, et je me suis enfui quand la fusillade a démarré.
– Qui avait la Thompson ?
– Le nommé Hugo. Elle était dans un sac de toile avec les munitions. Il a dit qu’elle appartenait à l’homme le plus dangereux du Texas.
– As-tu vu le Prêcheur ?
– Non, monsieur, je ne l’ai jamais vu.

Certains lecteurs seront, comme nous, peut-être un peu gênés par l’empreinte mystico-religieuse (culpabilité, rédemption, grâce, …) qui est un peu la marque de fabrique de James Lee Burke et qui est ici un peu trop appuyée, parfois.

[…] Il était persuadé que regarder un exécuteur dans les yeux au cours des dernières secondes d’une vie était peut-être le pire sort que pouvait connaître un être humain. Cette perception ultime du visage du mal détruisait non seulement l’espoir, mais toute la foi qu’on pouvait avoir en ses frères humains. Il ne voulait pas lutter avec ces bonnes âmes qui choisissent de penser que nous descendons du même noyau familial, nos ancêtres pauvres, nus, maladroits dans l’Éden, et qui, par orgueil ou par curiosité avaient péché en mangeant le fruit défendu. Mais il était depuis longtemps arrivé à la conclusion que certaines expériences subies aux mains de nos frères humains étaient bien la preuve que nous ne descendions pas tous du même arbre.

Mais entre chaleur et poussière, à mesure que les cadavres s’empilent, au fil de ces pages pessimistes en dépit d’un peu de lumière apportée par les personnages féminins, on comprend vite que les Dieux de la pluie ont quitté le Texas depuis bien longtemps :

[…] C’est un de ces anciens dieux de la pluie. Il y en avait beaucoup qui vivaient ici quand c’était une immense vallée pleine de blé. Mais les dieux de la pluie sont partis. Et ils ne reviendront pas.
– Comment sais-tu ça ?
– Ils ont pas de raison de revenir. On ne croit plus en eux. »

Brrr…

(1) - jetez donc une oreille du côté de la Carter Family et son country d’un autre âge !


Pour celles et ceux qui aiment les barjots en quête de rédemption dans le désert texan.
D’autres avis sur Babelio, celui de Yan et celui de Cottet plus dubitatif.

Cinoche : Les nouveaux sauvages

No limit …

Ah ces Nouveaux sauvages … il n’y a bien que les sud-américains (en l’occurrence les argentins) pour oser des films aussi déjantés !
Ce film à sketchs présente six épisodes (de longueur et de qualité inégales) qui mettent en scène des ‘dérives’ fracassantes.
Des situations où les hommes et femmes cessent d’être des hommes et des femmes et (re)deviennent des animaux, des brutes de la jungle.
De nombreuses critiques mettent en avant le ‘pétage de plombs’ où un individu exaspéré craque sous la pression et envoie tout péter. Cet aspect (peut-être vrai pour l’épisode du bombita) est un peu réducteur.
Car ce qui intéresse Damián Szifrón, ce n’est pas tant la soupape qui laisse fuser la pression, l’explosion de colère après la frustration contenue mais plutôt la transgression des limites.
Les barrières sociales qui tombent, les convenances que l’on foule aux pieds, la bienséance que l’on insulte.
À ce titre, l’épisode de l’escroquerie suite à l’accident de voiture  est édifiant : on n’assiste ici à aucun pétage de plombs, on ne rigole pas vraiment (ou alors très jaune), mais tout l’édifice moral de notre société humaine vole en éclats. C’est l’histoire la plus sinistre et la plus cynique.
Très nettement, notre sketch préféré est une espèce de remake du film Duel où deux automobilistes (décidément la bagnole occupe beaucoup de place) où deux automobilistes se montent la tête l’un contre l’autre et s’organisent une bagarre mémorable dont l’issue sera évidemment terrible.
Crime passionnel ?’ se demandera le flic arrivé sur les lieux …
Tout le monde il est pas beau, tout le monde il est pas gentil dans ce film où chaque histoire nous montre une victime devenir le plus féroce des bourreaux.
On rigole beaucoup (même si c’est parfois très jaune), on se demande souvent jusqu’où iront-ils (et ils vont loin) et on se délecte d’une bande son à la hauteur de la dynamique sauvage du film.
Même si bien sûr, on l’a dit, tous les sketchs ne se valent pas dans ce film cinglant, violent, absurde, décapant, loufoque, accusateur, drôle, délirant, cynique, qui replace très haut la barre de l’humour noir.
Ne manquez pas le générique du début (les animaux) : un subtil régal.


Pour celles et ceux qui aiment outrepasser les limites
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Cinoche : Phoenix

Culpabilité ?

On se faisait une joie de retrouver la superbe Nina Hoss dans un film de Christian Petzold.
On l’avait aperçue dernièrement dans un petit rôle aux côtés du regretté Philip Seymour Hoffman, dans Un homme très recherché.
Mais surtout, on se souvenait avec émotion de la magnifique Barbara, il y a deux ans déjà.
On attendait donc beaucoup, et sans doute trop bien sûr, de Phoenix.
Juste après la fin de la guerre, une (très riche) juive, survivante des camps, retrouve Berlin après avoir subi une opération de chirurgie esthétique. Elle retrouve son ancien mari (allemand) qui ne la reconnait pas.
Bon.
Quelle déception que ce film !
Quelle lourde et longue mise en place !
Quelle ambiance geignarde et plaintive !
Rapidement les piétinements maladroits de Nina Hoss nous exaspèrent, le mari est inexistant, l’intrigue très artificielle, ah quelle déception !
Seule la dernière scène est superbe, magnifique c’est vrai, mais quel film laborieux pour en arriver là.
Finalement, seule une autre Nina, Nina Kunzendorf trouvera grâce à nos yeux dans un second rôle qui nous a donné envie de la revoir.
À la sortie on se demande ce qui a valu des critiques élogieuses à ce film et ce qui pousse les spectateurs à remplir la salle comble (tout le monde n’a pas vu Barbara quand même ?).
Et puis on se dit que tout cela est peut-être motivé, une fois de plus, par cette culpabilité indicible qui accable notre Europe occidentale et qui obscurcit définitivement notre jugement.
Bien sûr, on comprend que Christian Petzold ait voulu sans doute explorer ce côté-là de son Allemagne mais on regrette vraiment de s’être faits embarquer à la poursuite de ce triste oiseau qui renaît de ses cendres.
Effectivement il y a bien culpabilité : celle de Christian Petzold qui nous aura gâché ces retrouvailles !


Pour celles et ceux qui aiment Nina Hoss, inconditionnellement.
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Bouquin : 7 jours

Discrimination positive.

On s'était pourtant promis de ne pas abuser de Deon Meyer, un auteur qu'il vaut mieux savourer à petites doses sous peine de trouver ses polars un peu trop répétitifs et indigestes.
Mais quelques semaines seulement après l'excellent Kobra (qu'on vous recommande), le hasard et le cirque des inconstances ont fait que nous voici avec 7 jours entre les mains.
Un bon polar de bonne facture avec une bonne histoire à raconter : une enquête savamment et patiemment construite. Et comme d'habitude une galerie de personnages bien dessinés, c'est la marque de fabrique de Deon Meyer et le principal atout de ses bouquins.
La police du Cap est en train de laisser pourrir deux affaires d'assassinats. Deux jeunes femmes de la bonne société, trucidées, deux meurtres sans aucun rapport entre eux.
Un sniper mystérieux entreprend de réveiller les enquêteurs : chaque jour qui passe (il y en aura 7 pour ceux qui ont suivi), le sniper tire sur un flic. La pression monte. On reprend les enquêtes à zéro. On repart des rapports et des interrogatoires. Un lent et minutieux travail d'investigation, intelligemment décrit, ponctué chaque jour par les tirs du sniper.
Toute l'équipe des Hawks, menée par Benny Griessel que l'on connait bien et ses accolytes Mbali Kaleni et Vaughn Cupido, se met en chasse.

[...] Cupido sortit son badge de sa poche, l'abattit sur le comptoir en disant :
- Lis et pleure.
L'homme se pencha prudemment en avant et lut.
- C'est quoi ton nom ? demanda Cupido.
- Affonso ? répondit-il avec une hésitation étrange, en courbant ses épaules étroites.
- Affonso qui ?
- Affonso Britos ?
- Tu me le demandes ou tu me le dis ?
- Je vous le dis ?
Cupido regarda l'homme d'un air sévère. Ça devait être la nervosité qui provoquait les points d'interrogation.
- Capitaine Vaughn Cupido. Tu connais la Direction des enquêtes criminelles prioritaires, Affonso Britos ?
- Désolé. Je ne suis pas sûr. (Ton d'excuse respectueux.)
- Les Hawks.
- Ouais. Je connais les Hawks.
- Génial, Affonso. Qu'est-ce que tu sais des Hawks ?
- Ils foutent la trouille ?
- C'est la bonne réponse.

Une belle et bonne enquête, du stress et de la pression, une course contre la montre et le calendrier du sniper. C'est devenu son habitude, Deon Meyer épice son bouquin de quelques nouveautés high-tech : téléphonie et internet sont appelés à la rescousse. Mais ce côté branché est un peu moins réussi que le même volet dans Kobra.
Ses collègues considèrent Benny Griessel comme un 'vieux renard'.
Mais le trop modeste Benny considère que seul le côté 'vieux' est véridique et que le côté 'renard' laisse à désirer !

[...] - Benny, s'il te plaît. Que s'est-il passé ?
- Tout s'est passé. Fanie Fick est mort parce que je suis un imbécile. Mes collègues ont dû résoudre l'affaire Sloet parce que je suis nul comme enquêteur. Je ne sais plus interprêter les réactions des gens. J'ai perdu Carla, la seule personne ... la seule femme qui voulait encore avoir affaire à moi. Elle est amoureuse du Chaînon Manquant. Mon fils veut se faire tatouer "Parow Arrow" sur le bras et je n'ai aucun moyen de l'en empêcher, parce que j'ai besoin qu'il me donne des leçons sur les bornes Wi-Fi et Twitter et Facebook et les modems cellulaires, afin que je ne me ridiculise pas d'avantage.

Comme d'habitude, et c'est bien sûr tout l'intérêt des polars de Deon Meyer, on entrevoit de nouveaux aspects de ce qu'est devenue la nation Arc-en-ciel après Madiba.
Les problèmes de couleur sont toujours très prégnants et l'on découvre quelques travers du BEE (Black Economic Empowerment), le programme qui vise à repeindre en couleurs plus foncées le pouvoir économique : la discrimination positive appliquée au monde des affaires.
Avouons que l'on se perd un peu dans les méandres de cette excursion économique (corruption, blanchiment, main-mise étrangère, OPA, ...) : Deon Meyer explique à la fois trop et trop peu et se fourvoie un peu dans le dosage.
Mais pas suffisamment pour nous gâcher le plaisir de ce bon gros polar, nerveux et efficace, que l'on dévore en bien moins de 7 jours.
Un Deon Meyer sans surprise mais presque sans fausse note.
Mais tout de même un cran en-dessous du récent Kobra.


Pour celles et ceux qui aiment l'Afrique, même du Sud.
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Miousik : Damien Fleau

Instrumental

Disons qu’on n’est pas très fan de l’instrumental, lorsque la musique perd le côté humain et vivant apporté par la voix d’un chanteur ou d’une chanteuse, chaleur à laquelle on tient beaucoup.
Mais parfois, il nous arrive de tomber sur quelque belle exception, quelque pépite.
La découverte de Damien Fleau est de ces exceptions.
Damien Fleau a délaissé momentanément son saxo et ses comparses de Festen (son frère Maxime et leur collègue pianiste Jean Kapsa). On n’aime pas trop le jazz-rock de Festen, trop ‘expérimental’ et moderne à notre goût.
Mais Damien Fleau a réalisé en solo deux albums, Imaginary Dream et Imaginary Sky, dans lesquels on a pioché quelques jolies pièces.
On a été accroché par la très très belle mélodie du Départ, équilibre magique entre un superbe picking de guitare et quelques notes d’un piano lumineux.
Et puis, sans doute histoire de nous ôter toute arrière-pensée, on enchaine avec le doux murmure de la voix chaleureuse de Sophia Laizeau : Lost Dog.
Quelques autres pièces aussi dans ces deux albums, à parcourir même si parfois le piano reprend trop de place à notre goût.
Yakakliker pour écouter notre playliste.





Cinoche : Imitation Game


De la douleur de naître différent.

Excellente surprise que cet Imitation Game de Morten Tyldum , un film dont on craignait qu'il ne soit qu'un produit hollywoodien uniquement formaté pour la course aux oscars.
Alors oui, Imitation Game est bien ce genre de film, aux accents mélodramatiques, aux acteurs bankables et à la musique grandiloquente.
Mais non, il n'est pas que ça : la violence et la force de son propos le différencie de la production habituelle.  Et qui plus est, ce message sera vu de milliers de spectateurs (salle comble).

Officiellement, le film raconte une partie de l'histoire d'Alan Turing (le père des ordinateurs, rien que ça), un mathématicien brillant qui décodera Enigma, la fameuse machine de cryptage des messages allemands pendant la seconde guerre mondiale. La réalité était plus complexe que ne le laisse croire le film qui prend pas mal de libertés avec l'Histoire pour nous livrer un roman.
Au passage, on découvre la guerre de 1940 du côté des anglais : plutôt rare et intéressant.
Mais le film ne s'attarde pas sur la description d'un épisode de plus de cette croisade contre l'hydre nazie. Non, sur l'affiche, la machine de Turing est en arrière-plan et c'est bien du personnage d'Alan Turing dont il est question. Un surdoué (c'est rien de le dire), un petit génie mathématique, un alien totalement inadapté à la vie sociale : arrogant, solitaire, introverti, obstiné, sûr de sa supériorité sur le commun des mortels, ...
Un 'monstre' asocial, une sorte de Rain Man des maths. Un être constamment sous pression, objet de violences parfois physique, toujours verbale ou sociale, pressé de faire comme les autres, d'imiter une personne 'normale' qui réponde aux exigences attendues.
Et homosexuel ...
Comme le vrai Alan Turing qui, après avoir sauvé le monde libre (ou tout au moins y avoir largement contribué), se verra condamné pour ses mauvaises mœurs, à la castration chimique.
Un sort terrible pour cet esprit brillant, ce qui nous vaut quelques images sobres mais poignantes.
Le film se referme sur cette déchéance d'Alan Turing, déchéance d'un être.
Le vrai, celui de l'Histoire, se suicidera bientôt (en 1954) dans des conditions un peu mystérieuses, à l'aide d'une pomme empoisonnée comme Blanche-Neige. Ce qui a d'ailleurs donné naissance à une légende urbaine concernant le logo de la firme Apple : une pomme croquée qui serait un hommage à Turing et des couleurs arc-en-ciel qui seraient celles de la communauté LGBT. L'histoire est jolie mais, las, la conception du logo de la firme à la pomme est malheureusement plus prosaïque [1].
Le film y fera quand même une allusion discrète (l'épisode des pommes).
Le vrai Alan Turing ne sera réhabilité (en réalité : seulement gracié par la queen) que tout récemment en 2013, à titre posthume (très posthume) donc. Rassurez-vous bonnes gens, l'Angleterre est une maison toujours bien tenue dont le libéralisme est surtout économique.
C'est Benedict Cumberbatch qui incarne cet Alan Turing à l'écran et qui donc démarre la course aux Oscars avec quelques longueurs d'avance. Son jeu est époustouflant, sans arrêt sur le fil, trouvant le juste équilibre entre le grain de folie, la douleur de vivre ses différences, l'arrogance d'un esprit supérieur, l'obsession maniaque, ... Le sur-jeu fait partie du personnage et passe très très bien.
À ses côtés, le joli minois de Keira Knightley, que l'on vilipende à chaque film [1] [2], mais qui là, tenez-vous bien, arrive presque à nous faire croire qu'elle est actrice et ce, dès sa première scène !
Bien sûr les méchantes langues (que nous sommes) pourraient magnifier le travail des réalisateurs qui savent mettre en scène jusqu'à des potiches comme Keira Knightley mais arrêtons là.
En fait on voudrait surtout être à sa place, aux côtés du tourmenté et passionnant Benedict Cumberbatch/Alan Turing.
Un film à voir non pas comme un nouvel épisode de l'histoire de la guerre, ni même comme un nouveau biopic à la mode mais bien comme un film sur la difficulté de naître différent, de n'être que différent. Le message est très fort et très clair, sans cryptage aucun, et la salle (comble, rappelons-le) le décode cinq sur cinq.

Pour celles et ceux qui aiment être un peu à part.
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BD : Revoir Paris

Revoir Paris et …

Voici un projet aux multiples dimensions (sans jeu de mots !) :
- une exposition à la Cité de l’Architecture au Palais de Chaillot
- des images de synthèse en 3D réalisées par les équipes de Dassault Systèmes
- et bien sûr la BD Revoir Paris de François Schuiten et Benoît Peeters que l’on ne présente plus.
Vers 2050, la Terre est bien évidemment partie en sucette et quelques élus se sont réfugiés dans l’espace sur l’Arche. Cent ans plus tard, une expédition sur Terre est organisée pour revoir Paris.
La jeune Kârinh est du voyage avec une douzaine de vieillards. Dans ce contexte un peu mystérieux, Kârinh semble un peu atypique et quelque peu rebelle aux conseils raisonnables de l’organisation. Elle n’a qu’une idée en tête, Revoir Paris bien sûr, ou plus exactement voir Paris puisqu’elle est née sur l’Arche dans des conditions qui expliqueront son obsession.
Bientôt cet étrange équipage débarque au Havre et regagne Paris par la Seine. Nous voilà plongés en 2150 dans une étrange ambiance décalée, façon steampunk, mélange d’images passéistes et futuristes.
L’histoire de Kârinh, étrange et mystérieuse (quelques indications nous sont délivrées au compte-goutte) rappelle un peu la Lila K du roman de Blandine Le Callet et ça nous plait bien.
Mais paradoxalement, ce sont les images tant attendues de Paris qui nous laissent un peu sur notre faim.
Ce premier album a comme une mise en bouche, un goût de trop ou trop peu : il va falloir attendre la suite pour se convaincre (un second et dernier épisode est programmé).

Cette BD nous a été offerte par Babelio et Casterman dans le cadre de l’opération Masse Critique.


Pour celles et ceux qui aiment Paris.
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Bouquin : Viscères

La peur au ventre …

Voilà longtemps qu’on n’avait ouvert un livre de Mo Hayder , depuis le terrible et envoûtant Tokyo je crois.
Mo Hayder qui est réputée pour ses polars ou thrillers sacrément horrifiques.
Alors avec un titre pareil : Viscères (paru dans la collection Sang d’encre !), mieux vaut s’armer de courage et vérifier qu’on a les volets bien clos, la porte fermée à double tour et l’estomac bien accroché.
Et ça commence évidemment très fort lorsque Matilda et Oliver Anchor-Ferrers découvrent des entrailles suspendues à un buisson de leur délicieux jardin du Somerset.

[…] Nous espérions que ça provenait d’un animal, dit-elle.
- Vous pensez que c’est possible ? demande Oliver aux policiers avec une pointe d’espoir dans la voix. Un cerf, peut-être ?
- Un cerf ? J’en doute, répond l’inspecteur Honey à voix basse.
- Il y a dans le coin des chiens assez costauds pour faire ça à un cerf, argüe Oliver.
- Et accrocher leurs entrailles dans les arbres ?

De quoi remuer nos tripes et de vieilles affaires : il y a quinze ans, Kable, un déséquilibré, trucidait salement deux jeunes gens dans cette même région paisible du Somerset.

[…] Kable a signé son acte en vidant les deux victimes de leurs entrailles. Il a tressé leurs intestins ensemble et les accrochés aux arbres au-dessus des cadavres en leur donnant la forme d’un cœur. Exactement comme ceux découverts aujourd’hui.

Mais l’inspecteur Honey et son acolyte ne semblent pas tout à fait cleans. Le week-end à la campagne de la bourgeoise famille Anchor-Ferrers va bien vite tourner au cauchemar et cette première partie du bouquin lorgne même du côté de Funny Games … sans être vraiment convaincante.
Il faudra attendre l’entrée en scène de l’inspecteur fétiche de Mo Hayder, l’inspecteur Jack Caffery qui erre comme une âme en peine sans avoir jamais pu découvrir ce qu’est réellement devenu son jeune frère victime des pédophiles, il y a déjà de longues années.
L’entrée en scène de Caffery et de sa mystérieuse âme damnée : le Marcheur.

[…] C’est ce qui lit les deux hommes. Tout comme Caffery, le Marcheur a perdu un être cher à cause d’un pédophile. Lui non plus n’a pas de corps à enterrer. Les semblables s’attirent. […]
Rechercher le corps de sa fille, c’est ce qui pousse le Marcheur à ratisser la campagne.

Toute cette entrée en matière est un peu laborieuse et franchement capilotractée jusqu’à ce que ces deux-là croisent (enfin !) le chien égaré des Anchor-Ferrers …
Comme si l’auteure avait eu plusieurs pièces de puzzle à assembler, pas tout à fait assorties.
Et alors, l’affreux Kable est-il vraiment sorti de prison ?
On est d’autant plus stressé par la construction du bouquin qui alterne, de façon assez classique, les chapitres entre au moins deux histoires parallèles : chacun de ces chapitres se clôt sur une petite virevolte, une question, un revirement, une angoisse … et hop, on repasse sur l’autre histoire et il faudra donc attendre quelques pages avant de tranquilliser notre esprit en alerte, de rassurer notre inquiétude en suspens, mais l’autre histoire aura ouvert de nouvelles questions, et … épuisant !
Mais peu à peu, le bouquin s’avère finalement moins gore qu’annoncé par la une de couverture (et la lecture n’en est que plus confortable).
Après quelques chapitres, on en vient même à se dire que, mis à part ces entrailles de cerf (de cerf ?) qui pendouillent ici ou là, on en vient même à se dire que Kable est toujours en taule, que le titre de la VF et les boyaux dans les arbres n’étaient peut-être finalement qu’un leurre : d’ailleurs le titre en VO c’est Wolf(1)
Oui, cette histoire de boyaux n’était peut-être qu’un leurre.
Peut-être.
Mais, ne serait-on pas en train de se rassurer à bon compte ? d’oublier trop rapidement l’esprit retors de Mo Hayder ? de croire trop facilement que la dame va manquer ainsi à sa réputation ?
Le château de cartes patiemment assemblé va bien évidemment s’écrouler et chacune de ces cartes va s’abattre mais pas du côté attendu : une série de surprises nous attend !
Réservé à celles et ceux qui aiment se faire emberlificoter et qui aiment les histoires (un peu trop) abracadabrantes.

Ce bouquin nous a été offert par Babelio et les Presses de la Cité dans le cadre de l’opération Masse Critique.

(1) - Wolf … à peine moins inquiétant que Viscères et d’ailleurs on vous laisse en découvrir le sens …


Pour celles et ceux qui aiment se faire peur.
D’autres avis sur Babelio.



Bouquin : Les yeux fermés


Après Témoin involontaire, nous revoici de nouveau dans les Pouilles avec l'italien Gianrico Carofiglio et son héros Guido Guerrierri avocat à Bari.
Un peu comme Donna Leon plus au nord, Gianrico Carofiglio explore au fil de ses polars, différentes facettes de la société italienne.
Témoin involontaire mettait en scène les immigrés africains, et cet épisode, Les yeux fermés, évoque les violences faites aux femmes et aux enfants. Guido n'est plus avocat de la défense mais cette fois se retrouve du côté de la partie civile ... un avatar de Don Quichotte qui mettrait sa carrière en jeu pour tenter de contrer l'impunité dont peuvent se prévaloir les puissants.

[...] Pas de problèmes, dis-je. J'étais avocat et un client en valait bien un autre. Ce disant, je pensais que j'étais en train de faire une sacrée connerie.

Les polars de Carofiglio ont la saveur de l'Italie du sud, une certaine nonchalance, une certaine douceur de vivre, jusque dans la mélancolie, et tout cela en dépit des horreurs parfois évoquées.
Et puis Guido est avocat : on découvre donc l'intrigue policière au fil des séances du procès, entrecoupées de longues digressions.
Même si l'auteur nous épargne les péripéties habituelles et les procédures trop documentées de ce que l'on appelle les thrillers judiciaires, chaque débat, chaque plaidoirie apporte son lot de découvertes, d'indices et de nouveaux mystères : l'avocat Guido a toujours quelques coups d'avance sur le lecteur qui se retrouve spectateur dans la salle, à sentir son cœur battre plus fort lorsque les 'affreux' prennent la parole et à battre des mains lorsque Guido réussit à jouer une carte maîtresse.
Un rythme particulier, un peu lent, qui change agréablement des polars trépidants. Et qui laisse à l'auteur le temps de fouiller ses personnages dont le fameux Guido, amateur de musique et de boxe, toujours aussi attachant.
Humour et humanité sont au rendez-vous, comme avec cet autre personnage : Sœur Claudia.
(attention, la citation qui suit en dévoile un peu trop sur sœur Claudia, même si le bouquin laisse rapidement deviner tout cela et que cela ne nuit aucunement au déroulé de l'intrigue)

[...] Claudia. Un nom qui ne figure pas sur ses papiers d'identité, ce qui n'a guère d'importance, sinon aucune. Son vrai nom, c'est Claudia. Le nom qui écrit sur ses papiers, c'est celui que lui ont donné ses parents naturels. Quelque soit la signification du mot naturel pour un père qui inflige un tel supplice à sa fille. Pour une mère qui laisse faire, qui fait semblant de ne rien voir, de ne rien entendre.
[...] Personne n'a jamais douté que j'étais vraiment une sœur. Ça peut sembler bizarre, mais c'est comme ça. C'est marrant. Tu racontes que t'es une bonne sœur et ça ne vient à l'idée de personne de vérifier si c'est vrai. Personne ne te demande quoi que ce soit ... un papier. Pourquoi quelqu'un se ferait-il passer pour une bonne sœur ? Les gens prennent ça tel quel. On te demande tout au plus pourquoi tu ne portes pas l'habit. Tu expliques que dans ton ordre, c'est pas obligatoire, et ça ne va pas plus loin. Rapidement, on devient bonne sœur, pour tout le monde.

Des personnages mais aussi des histoires, car Carofiglio est aussi un excellent conteur : il sait raconter des histoires.

[...] Des légendes [...] il en existe sur tous les arts martiaux. La plus belle est celle des origines de Ju-Jutsu. Celle du médecin japonais et du saule pleureur. Tu la connais ?
- Non, je t'écoute.
- Il était une fois un médecin, dans le Japon ancien, qui avait passé de nombreuses années à étudier les méthodes de combat. Il voulait découvrir le secret de la victoire mais il était insatisfait, parce que, en fin de compte, dans tous les systèmes, ce qui prévalait était la force, ou la qualité des armes, ou des expédients ignobles. Ce qui voulait dire qu'on pouvait toujours s'entraîner et étudier les arts martiaux, qu'on pouvait toujours être fort et préparé, on rencontrerait quelqu'un de plus fort, de mieux armé, de plus rusé, qui remporterait la victoire. [...]
- Bref, ce médecin était découragé, parce qu'il ne progressait pas dans sa recherche. Un jour d'hiver, il était assis auprès d'une fenêtre tandis que dehors, il neigeait depuis des heures. Il regardait dehors en suivant ses pensées. Le paysage était tout blanc; il y avait beaucoup, beaucoup de neige. Soudain, le médecin vit une branche de cerisier céder sous le poids de la neige et se briser. Puis ce fut au tour d'un grand chêne. On n'avait jamais vu pareille tempête de neige. [...] Dans le jardin, par-delà la fenêtre, il y avait un étang et , tout autour, des saules pleureurs. La neige tombait sur les branches des saules, mais dès qu'elle commençait à s'amasser, ces branches ployaient et la neige tombait par terre. Les branches des saules ne se brisaient pas. Voyant ce spectacle, le médecin éprouva soudainement un sentiment d'exaltation et se rendit compte qu'il était arrivé au terme de sa recherche. Le secret du combat était la non-résistance. Ce qui cède passe l'épreuve; ce qui est dur, raide, un jour ou l'autre succombe, se brise. Un jour ou l'autre, on trouvera quelqu'un de plus fort que soi. Ju-Jutsu, ça veut dire : art de la malléabilité.

Un excellent épisode qui devrait vous inciter à découvrir cet auteur et sa région des Pouilles (cet épisode laisse une large place à Bari).
Et qui va nous inciter à poursuivre notre lecture de la série.

Pour celles et ceux qui aiment l'Italie du sud.
D'autres avis sur Babelio.