Bouquin : Cartel


[...] Les Américains ne retiennent jamais les leçons.

Peut-être est-ce la sortie récente de Infiltrator (l'histoire de Bob Mazur qui fit tomber une partie du cartel de Medellin, celui de Pablo Escobar) mais on n'a pas pu laisser passer la sortie du pavé de Don Winslow : Cartel, qui évoque lui, les affaires mexicaines d'El Chapo (l'évadé interviewé par Sean Penn).
Faut dire qu'il faut à peine quelques pages de prologue pour que Don Winslow nous accroche fermement et définitivement : une fois hameçonné, le lecteur n'aura de cesse de tourner les 700 pages de ce gros pavé. Le genre qui pèse dans les mains (vive la liseuse électronique !) plusieurs nuits d'affilée, jusqu'à 1 ou 2 heures du mat'.
On n'avait pourtant pas lu le succès précédent (La griffe du chien) dont c'est la suite, annoncée comme encore meilleure.
Mais c'est peut-être pas plus mal parce que Winslow prend soin de nous résumer habilement les précédentes années de guerre contre les cartels mexicains.
[...] Ce n’était que le début de la longue guerre de Keller contre les Barrera, un conflit de trente ans qui allait lui coûter tout ce qu’il possédait : sa famille, son travail, ses croyances, son honneur, son âme.
Ce prologue est passionnant (presqu'un bouquin dans le bouquin) et on a droit à quelques explications bien senties sur le marché de la drogue qui unit les US à 'leur' Mexique dans une étreinte fatale.
[...] Le prétendu problème mexicain de la drogue est en fait le problème américain de la drogue. Pas de vendeur sans acheteur. La solution ne se trouve pas au Mexique et elle ne s’y trouvera jamais.
[...] Cette prétendue « guerre contre la drogue » est une porte à tambour : vous faites sortir un gars, quelqu’un d’autre s’assoit sur la chaise vide en bout de table. Cela ne changera jamais, tant qu’existera un appétit insatiable pour les drogues. Et cet appétit existe chez ce mastodonte qui vit de ce côté-ci de la frontière.
[...] Le NAFTA était parfois surnommé le « North American Free Drug Trade Agreement ».
Ce prologue nous permet également de faire connaissance avec les deux protagonistes qui vont reprendre leur duel entamé dans La griffe du chien : l'américain Art Keller, franc tireur de la DEA ou de la CIA (selon l'officine qui veut bien le couvrir bon gré mal gré) et le mexicain Adán Barrera, patròn du Cartel.
Une fois le décor planté pour les nouveaux lecteurs venus, c'est parti et la machine de guerre est (re)lancée ...
Des tonnes de drogue vont passer la frontière, des millions de dollars vont changer de main, des dizaines de cadavres vont tomber en chemin ou carrément cramer dans des fûts de gasoil.
Les gangs mexicains vont s'entredéchirer pour le contrôle de ce trop juteux trafic et les officines américaines vont rester prises dans un engrenage où elles n'ont plus d'autre choix que de favoriser temporairement l'un des cartels pour démanteler les autres, puis un autre pour défaire le pouvoir du précédent, puis ...
[...] Car les Américains ne retiennent jamais les leçons.
[... DEA, CIA, ...] Un tas d’autres agences, une véritable soupe aux pâtes alphabet, qui coopèrent et/ou rivalisent à divers degrés au sein de juridictions qui se chevauchent.
On est au cœur même des haletantes scènes d'action, des âpres et mortelles négociations, des trahisons et des compromissions, des exécutions sommaires, des morceaux de bravoure (la fête de Noël à la prison, le mariage, la grève de la faim, ...), des assauts donnés sur l'altiplano, ...
Mais au-delà de la violence et de la force du sujet, qu'est ce qui fait donc la puissance et le succès des bouquins de Don Winslow ?
Ce n'est certainement pas le style d'une prose assez neutre, même si c'est très professionnel, fluide et agréable à lire.
Peut-être la luminosité des explications, données l'air de rien, sur ces complexes rouages : sans fatuité pédagogique ni pédantisme savant, juste ce qu'il faut pour éclairer intelligemment le lecteur (même à 2h du mat').
Et assurément, le sens confirmé de la narration et de la mise en scène : on s'installe dans ce bouquin comme dans un bon gros fauteuil de cinéma, musique, générique, et c'est parti pour un blockbuster 100% plaisir de lecture (en dépit de l'effarante violence des faits rapportés) !
D'ailleurs, côté cinoche, c'est déjà signé : Ridley Scott est en train de remettre le couvert après son précédent et déjà Cartel (c'était en 2013 sur un scénario de Cormac McCarthy).
Ce film de Don Winslow est un peu long : plus de 700 pages, plus de 6 heures de lecture éprouvante pour le lecteur français. Ce qui n'est rien comparé aux 365 jours par an vécus par la population mexicaine.
Une dernière citation à méditer (qui annonce peut-être le prochain bouquin de Winslow) :
[...] Quand vous prononcez le mot « narcotrafiquant » à Washington en dehors des couloirs de la DEA, vous n’obtenez plus que des bâillements. Mais si vous dites « narcoterrorisme », vous avez droit à un budget.

Pour celles et ceux qui aiment les films d'action.
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Cinoche : Juste la fin du monde


Le retour du fils prodige.


Xavier Dolan, le jeune petit québécois prodige, nous revient avec une nouvelle aventure cinéma : Juste la fin du monde.
Du haut de son 1m69 et de ses 27 ans, il a réussi à réunir (excusez du peu) : Nathalie Baye, Gaspard Ulliel, Marion Cotillard, Léa Seydoux et Vincent Cassel !
Il y a visiblement plusieurs façons de voir son film, plusieurs niveaux de lecture, ce qui explique sans doute en partie les réactions très contrastées du public.
À l'énoncé du casting on peut évidemment se rendre au rendez-vous d'un énième film 'français' à l'affiche alléchante.
On peut également venir lire une histoire sortie du rayon famille je vous hais à la Arnaud Desplechin : le retour du fils prodigue chez les siens. Le fils était aussi un prodige (auteur de théâtre) qui a grandi et est devenu célèbre loin de chez lui. Le voici donc de retour, venu pour annoncer ... sa mort prochaine (il est gay et atteint du sida, ce sera discrètement évoqué). Il est à la fois très (trop) attendu et pas vraiment le bienvenu : sa mère, sa jeune sœur, son frère aîné et sa femme sont là qui attendent trop de lui après cette longue absence, qui souffrent de leur infériorité et d'avoir été abandonnés, qui voit d'un mauvais œil l'irruption de l'absent venir bouleverser le fragile équilibre qu'ils se sont bâtis quand il était au loin ... À chacun son tour, il leur tend comme un miroir, ne sachant trop lui-même ce qu'il attend d'eux en retour.
Le spectateur aura sans doute du mal à se laisser embarquer dans cette histoire où il ne se reconnaitra guère, une histoire d'une extrême violence.
On peut également venir apprécier un beau moment de cinéma avec des cadrages précis au millimètre, des jeux de couleurs bluffants, des gros plans savamment calculés, une imbrication entre images, dialogues et musiques étonnants et superbes.
Mais même si tout cela est brillant, le spectateur aura sans doute du mal à s'en contenter.
Alors on peut également en profiter pour s'intéresser de près à la langue de Jean-Luc Lagarce, auteur de théâtre à l'origine de la pièce dont est tiré le film. Une pièce en grande partie autobiographique que l'auteur, gay et atteint du sida lui-même, a écrit peu avant sa mort, dans les années 90.
La surprenante langue de Lagarce est construite sur ce qu'on appelle savamment des épanorthoses, ces figures de style où l'on vient sans cesse modifier ce que l'on vient de dire pour l'amplifier, le compléter, le préciser : les personnages du théâtre de Lagarce sont tout simplement incapables de s'exprimer, au sens propre comme au figuré, incapables de dire ce qu'ils ressentent, reprenant sans cesse les mots sortis comme à reculons de leur bouche, croyant ainsi mieux les préciser mais n'atteignant finalement qu'un verbiage de plus en plus flou et de moins en moins signifiant.
La direction d'acteurs par Xavier Dolan fait ici merveille et les gros plans sur les visages mettent en évidence l'effrayant décalage entre les yeux qui voudraient dirent tant et les bouches qui disent si mal.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires de famille.
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Bouquin : Bull Moutain


[...] Ça se lisait comme une tragédie grecque.

La rentrée 2016 sera peut-être celle des romans noirs américains.
Après la Louisiane des Maraudeurs de Tom Cooper et le Kentucky d'Alex Taylor avec Le verger de marbre, voici un troisième roman noir US, en Géorgie cette fois-ci : Bull Moutain de Brian Panowich.
Un roman noir dans les règles de l'art, encore, où tous les personnages sont déjà en place pour que tout cela finisse très mal, à la manière d'une tragédie antique : Clayton Burroughs est le shérif local qui reçoit la visite d'un agent du FBI. Les autorités sont décidées à éradiquer le trafic de méth qui arrive de Floride.
Sauf que le shérif Clayton est le fils indigne d'une longue lignée de hors-la-loi et que c'est son propre frère, Halford Burroughs, planqué dans sa montagne, qui est à la tête du clan familial et du trafic dans la région (l'alcool jadis, puis le cannabis et maintenant la méthamphétamine).
[...] Elle avait dû commencer à écrire ce journal quand elle était tombée malade. Ça se lisait comme une tragédie grecque.
Quelques flashbacks nous font deviner que chez les Burroughs la violence se transmet de père en fils et que les jeunes apprennent très tôt à creuser la tombe d'un empêcheur de trafiquer en paix.
[...] Un cimetière d’assassins et de voleurs. Elle était surprise que l’herbe luxuriante et la mousse vert vif autour de l’étang ne soient pas en train de pourrir, vu les quantités de sang corrompu qui avaient irrigué la terre.
[...] Vous ne comprenez pas comment les choses fonctionnent ici. Pour mon frère, l’argent n’est pas une fin en soi. Ça ne l’a jamais été. Ce n’est qu’un produit dérivé du mode de vie que lui a inculqué mon père.
Dans le clan Burroughs, de grand-père en père puis en fils, ce sont l'alcool et la violence qui coulent dans le sang de la famille et Panowich réussit à nous décrire des personnages qui ne sont pas seulement des affreux jojos insensibles au mal mais également des hommes héritiers d'une sombre destinée, élevés dans la violence, incapables de quitter les rails sur lesquels ils sont lancés.
En contrepoint de ce monde d'hommes, on a même droit à quelques beaux portraits de femmes : des femmes pas ordinaires, évidemment pour avoir épousé des Burroughs ...
Même si ce n'est là que son premier bouquin, la prose de Panowich est suffisamment soignée et imagée pour nous emmener dans ces forêts et montagnes de l'humide Géorgie aux côtés de sa bande de cul-terreux.
[...] Elle avait un rituel. Elle s’enveloppait le corps d’une serviette avant de tirer le rideau de douche, et une autre autour de sa tête en une espèce de turban que seules les femmes arrivent à faire.
[...] Il portait un pantalon en toile kaki tombant qui laissait voir ses fesses et son boxer bleu layette, ainsi qu’un marcel à travers lequel on distinguait ses muscles affûtés. Il se trimballait aussi un gros flingue noir coincé dans son pantalon, devant. Le fait que son pantalon ne lui tombe pas aux chevilles sous le poids de l’arme demeurait un mystère.
[...] Il tenait une gueule de bois colossale. Il avait l’impression d’être une dinde de Thanksgiving trop cuite, toute desséchée, farcie à la sueur froide et aux cendres de cigarettes.
À mi-parcours on en découvrira un peu plus sur cet étrange agent du FBI venu jouer les trouble-fêtes ... Et puisqu'on évoquait l'art dramatique, on aura même droit à une série de coups de théâtre pour terminer cette tragédie - c'en est presque too much mais il était sans doute difficile de terminer autrement : Panowich avait placé trop de pièces pour bâtir son astucieux puzzle ...

Pour celles et ceux qui aiment les cabanes dans les bois.
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Bouquin : 86, année blanche


[...] J’aurais aimé prier, si j’avais su. Mais j’étais une vraie communiste.

2016 sera radioactive, la faute aux anniversaires : celui des 5 ans de Fukushima qui nous a valu un très intéressant manga [1] et celui des 30 ans de Tchernobyl qui incite Lucile Bordes à revivre ici l'été de ses quinze ans.
Avec ce 86, année blanche, l'auteure nous invite à partager l'été 1986 de trois femmes : elle-même, jeune ado d'une famille communiste dans le sud de la France, et l'été de deux femmes russes nées du mauvais côté du fameux nuage.
Tandis que sa famille est traumatisée par la fermeture des chantiers navals de la NORMED de La Ciotat et La Seyne/mer, la jeune Lucile n'a d'yeux et d'oreilles que pour la télé qui annonce timidement la fin du monde quelque part dans l'est.
[...] Est-ce que ça pouvait être la fin du monde à un endroit et pas à un autre ?  
Aucune polémique dans ce bouquin qui se contente (et c'est son charme et c'est sa force) de décrire par le menu les doutes de ces trois femmes, toutes trois baignées dans l'idéal communiste (revisité avec tendresse et bienveillance), toutes trois désemparées par ce qui leur arrive (ce qui arrive au monde).
[...] On ne se doutait pas. On ne doutait de rien.
[...] J’aurais aimé prier, si j’avais su. Mais j’étais une vraie communiste. 

Les pages les plus fortes résonnent comme un écho au manga de Kazuto Tatsuta et décrivent comment les hommes, les liquidateurs, furent envoyés à la guerre contre l'atome.
[...] Je n’ai imaginé à aucun moment que c’était la guerre. Que certains donnaient leur vie.
[...] Les dosimètres claquent si fort que les machines ne tiennent pas le coup. Les robots (les robots allemands même) tombent en panne et se jettent dans le vide. Seuls l’homme, et la pelle, et la main, quand la pelle n’est pas commode.
[...] Très vite, aucun homme de sa section ne s’embarrasserait plus des appareils de mesure, bridés une fois pour toutes à une dose forfaitaire, ils arrêteraient de compter, ils en seraient là, ils ne compteraient plus, au sens propre. 
Certains les compteront tout de même et parleront de plus de 500.000 liquidateurs.
Le plus intrigant, le plus inquiétant, n'est pas tant le combat mené par cette 'chair à centrale' envoyée nettoyer la 'zone' mais bien la vie qui continue pour les épouses et les enfants restés en arrière.
Le dévouement de l'épouse qui accompagne les derniers jours de son mari gravement irradié reste imprimé pour longtemps dans la mémoire du lecteur.
Trois voix de femmes, très attachantes, qui ne vivent pas directement au cœur de l'événement mais qui, en quelque sorte, le regarde et le commente : c'est bien pire et tout cela préfigure ce que notre siècle est en train de devenir, où la vie ordinaire s’accommode tant bien que mal de la radioactivité grandissante. Et où la cueillette des champignons est interdite.
Dans un silence assourdissant.
Un petit livre rouge indispensable.


Pour celles et ceux qui aiment les communistes.
Bientôt d’autres avis sur Babelio.

Cinoche : Frantz


À l'amitié franco-allemande !

Mais comment diantre peut-on faire encore aujourd'hui des films aussi académiques, pesants et ennuyeux ?
Quel dommage de gâcher ainsi une bonne histoire et une belle idée de départ (au lendemain de la guerre de 1918, un soldat français vient en Allemagne se recueillir sur la tombe d'un soldat allemand qui fut son ami et fait ainsi la rencontre de la fiancée et ...).
Tout cela (même les trop belles images léchées, tantôt en noir et blanc, tantôt légèrement colorées) tout cela est irrémédiablement gâché par une narration lourdement appuyée, des symboles lourdement assénés, une musique lourdement larmoyante, ...
François Ozon aurait-il poussé le sens du détail de la reconstitution historique au point même de filmer comme au début du siècle dernier ?
Aucune subtilité.
Un film sur le mensonge ? Le curé sera là pour vous l'expliquer en long en large et en travers et vous donner l'absolution.
Un film sur le difficile retour à la vie après les horreurs de la guerre ? Le vent printanier soufflera plusieurs fois dans les arbres pour bien vous faire ressentir cette émotion.
Un film sur l'aveuglement patriotique qui aura conduit les enfants des deux camps à une boucherie qui recommencera bientôt ? Les hymnes des deux camps vous seront chantés dans les auberges pour bien vous établir l'équilibre des deux côtés du Rhin.
Un film sur le deuil ? Les tourments larmoyants des différents personnages (la fiancée, les parents allemands, ...) seront répétés à l'envi pour vous éviter de vous égarer en chemin.
Ozon ose tout cela avec une sensiblerie mélodramatique qui le conduit à expliquer et répéter son propos avec lourdeur et ostentation comme si le spectateur était un demeuré en train de lire son smartphone (bon d'accord, d'habitude y'en a toujours un ou deux dans la salle, mais jamais pour un film d'Ozon !).
La première partie (allemande) jusqu'à ce que le terrrrible secret du soldat éclate, reste encore visible (et permet de découvrir Paula Beer ). Le reste est tout simplement de trop.
Et cerise indigeste sur ce lourd gâteau à la double-crème : l'inéluctable et enfiévré Pierre Niney.
Reste une étoile filante qui traverse ce film : l'actrice allemande Paula Beer et son délicieux accent quand elle parle français sont la réincarnation de Romy Schneider et l'on attend désormais avec impatience un film où elle pourra jouer de son charmant sourire.

Pour celles et ceux qui aiment qu'on leur explique bien plusieurs fois les mêmes choses.
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Bouquin : Été rouge


[...] Le mieux à faire ici, c’est de passer la journée au bar.

L'an passé, on avait épinglé le Costa-Rica sur notre carte du tour du monde en classe polar grâce à Daniel Quirós et sa Pluie des ombres.
Quirós, un Tico qui enseigne l'espagnol aux États-Unis, continue de nous faire visiter son pays et ses saisons, avec cette fois l'Été rouge.
[..] Le mieux à faire ici, c’est de passer la journée au bar de doña Eulalia, d’où on peut voir la mer, qui envoie de temps à autre une rafale de vent : avec une cigarette et une bière bien fraîche, une journée devient alors quelque chose d’à peu près supportable.
On y retrouve bien sûr Don Chepe, ancien guerillero, à demi supplétif des forces de police, à demi électron libre qui cette fois encore mène sa propre enquête sur l'assassinat d'une femme, un meurtre que les flics n'ont ni les moyens ni l'envie d'élucider.
L'enquête précédente nous emmenait du côté des Nicas, les immigrés venus du Nicaragua voisin pour récolter les oranges.
Cette fois Don Chepe nous invite à remonter dans le passé pour découvrir les troubles relations entre son pays et ce même Nicaragua, au temps de la révolution sandiniste.
Tout cela aurait pu être passionnant mais malheureusement cet épisode nous a paru moins prenant que le premier et la prose très distanciée de Daniel Quirós - qui parfois produit de beaux effets - nous a paru ici bien laborieuse. Ses descriptions mécaniques et factuelles sont ici répétitives et pesantes.
[...] À l’intérieur, le local était assez vaste. Il y avait trois rangées de tables rouges, avec chacune deux fauteuils de la même couleur face à face : des fauteuils du même bois bon marché que celui de la table, sur lesquels pouvaient s’asseoir une ou deux personnes. Seule quatre tables étaient occupées.
On espère que la prochaine saison sera plus clémente.
Seule consolation, le prix du ebook est, pour une fois, correct : merci aux éditions de L'Aube.



Pour celles et ceux qui aiment les guérilleros.
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Cinoche : The Infiltrator


L'argent n'a pas d'odeur. L'argent sale, si.


Dix ans après le film de Scorcese, voici une autre histoire d'infiltrés, d'agents 'under cover' : The Infiltrator réalisé par Bryan Cranston.
On peut même reprendre mot pour mot le billet précédent : histoire complexe, montage serré, scénario stressant, action violente, ça dérange.
Sauf que cette fois il ne s'agit pas d'une histoire romancée mais d'une histoire vraie basée sur l'autobiographie de Robert Mazur, alias Bob Musella, le flic qui a réussi à infiltrer la hiérarchie du cartel de Medellin, celui de Pablo Escobar.
On est bien loin du polar hollywoodien : c'est filmé comme un reportage, au plus près de la bio, en images jaunissantes des années 80 (et ça ne plaira donc pas à tout le monde).
Les rouages de l'enquête et de l'infiltration sont démontrés un par un qui mettent en cause notamment les banques (mais pas que).
Mais le véritable sujet du film, c'est bien ce personnage d'infiltré, toujours sur la corde raide, obligé de boire, fumer, baiser et jouer avec les truands comme un truand, obsédé par le moindre faux pas qui lui coûtera la vie et celles de sa famille. C'est éprouvant aussi pour le spectateur !
On sort du film sonné, abasourdi : tant de stress, de violence, de morts, d'adrénaline, ... est-ce à cela que 'marchaient' Robert Mazur et son double Bob Musella ? On en saura finalement assez peu sur cet étrange bonhomme.
En 1986, Bob Mazur/Musella permettra près d'une centaine d'arrestations.
Malgré le générique de fin qui affiche les condamnations des uns et des autres, on ne peut pas s'empêcher de penser que 30 ans après, le blanchiment d'argent sale est encore une industrie florissante : est-ce finalement ce qui justifierait ce film aujourd'hui ?
À lire (avant ou après le film) : une interview du vrai Bob Mazur lors du festival de Deauville.
Et la 'vraie' banque impliquée est bien la BCCI, comme dans le film, dont les auditeurs étaient de grands cabinets internationaux bien connus du beau monde de la finance.

Pour celles et ceux qui aiment les flics à Miami.
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Cinoche : Comancheria


Rentrée ciné : ça comanche bien ...


Après le Fils de Jean, voici notre second coup de cœur de la rentrée (la bande annonce nous avait mis le whisky à la bouche) avec cette Comancheria de David MacKenzie.
Sous une lumière écrasante et desséchante, dans des paysages désertiques et désertés, nous voici au fin fond du Texas, en territoire Comanche, à deux pas de l'Oklahoma.
Il ne fait plus bon vivre ici : les indiens ont été dépossédés de leurs terres, les fermiers texans sont en train de se faire dépouiller par les banques.
Le scénariste de Sicario, texan lui-même, Taylor Sheridan nous raconte l'histoire de ces hommes perdus au milieu de nulle part (le film s'ouvre sur un graffiti évoquant les guerres de l'oncle Sam au Moyen-Orient).
L'histoire de deux 'couples'.
Du côté des rangers, Jeff Bridges est extra, plus texan que lui tu meurs. Le vieux flic tarde à prendre sa retraite de crainte de regretter son adjoint, un indien, qu'il abreuve de blagues racistes à longueur de patrouille monotone sur les routes sans fin.
Du côté des braqueurs, les deux frangins qui ont décidé de se faire quelques banques pour pouvoir rembourser les dettes qui accablent leur ranch (on vous laisse découvrir toutes les subtilités du scénario, plus malin qu'il n'en a l'air). Le fils aîné sort tout juste de taule, et le cadet de son divorce (c'est le beau Chris Pine) et c'est une belle histoire de frangins qui va nous être racontée.
Les dialogues sont tellement bien foutus qu'il suffit de quelques mots pour nous faire comprendre les histoires de ces quatre paumés désemparés.
Hey man, ici au Texas tout fout le camp. Rien ne va plus, faites vos jeux ...
Un 'western' étonnamment moderne sur fond de crise sociale. Il faudra même quelques répliques de temps à autre, pour nous rappeler qu'on est bien au XXI° siècle et pas en 1929.
Le reste est affaire de magie du cinéma : un parfait équilibre où chaque scène est soigneusement pesée, chaque réplique judicieusement calibrée. Dosage parfait entre les paysages désertiques, les rues des villes désertées, la lumière jaunie du soleil et de la pellicule, le duo des flics rangers et celui des frangins braqueurs, quelques rapides scènes d'action et quelques pudiques échanges sur la galerie d'un ranch ou d'un motel, lourds de sens. Quelques bières aussi.
Ah ! et une bande son (du hillbilly bien électrique, compilé par Nick Cave) qui vaut le ticket à elle seule et dont on retiendra particulièrement la musique de Colter Wall.
En VO, le titre : Hell or High water (l'enfer ou le déluge) nous invite quoiqu'il arrive à ne plus reculer, advienne que pourra.

Pour celles et ceux qui aiment les texans.
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Bouquin : Le verger de marbre


[...] On ne pouvait pas revenir d’avoir tué un homme.

Après la Louisiane des Maraudeurs de Tom Cooper, on change d'état pour le fin fond du Kentucky mais on reste dans le même registre du roman noir, avec Le verger de marbre d'Alex Taylor.
Un roman noir dans les règles de l'art, où tout commence très mal en nous laissant penser que ça va finir encore plus mal.
Dans la famille Sheetmire, je voudrais Beam, le fils de Clem et Derna, chargé de manœuvrer le bac qui permet de traverser la Gasping River, version locale du Styx.
Un beau soir à la nuit tombée, Beam tue plus ou moins par accident un passager trop agressif.
Mais Clem reconnait le passager qui n'est autre que le fils de Loat - l'homme le plus puissant du comté - et il n'a qu'un conseil à donner à Beam :
[...] Tu dois quitter cet endroit, et tu dois partir ce soir.
Le fuyard n'ira pas bien loin, comme emprisonné par les paysages des environs et tout ce petit monde va donc jouer au chat et à la souris. Un jeu de cache cache où la meilleure planque semble être un cimetière.
[...] — Tu aimes les cimetières ? demanda Pete.
Beam se réveilla en grognant, surpris.
— J’peux pas dire que j’y pense trop souvent.
— On peut savoir un paquet de choses sur un bout de terrain en regardant ceux qu’on y a enterrés. Qui était à la guerre, quand et où ils ont combattu. On peut savoir si un hiver était rude au nombre de bébés et de femmes enterrés une année donnée. Tout ça, c’est sur ces pierres. (Pete agita la main dans la lumière du feu.) Le grand verger de marbre. Voilà tout ce que c’est.
Un jeu mortel évidemment où les histoires et les rancœurs du passé vont remonter peu à peu à la surface : qui était exactement le passager du bac, qui est réellement Beam, quelles sont les relations troubles et complexes entre Loat, Clem et Derna, qui est Daryl le manchot excité, qui est le mystérieux camionneur en costume, ...
Il y a beaucoup trop de chats et de souris dans le jeu.
[...] Beam savait que seules les zones d’ombre étaient passées sous silence. Les bons moments et les jours heureux étaient racontés si souvent que les histoires en devenaient rabâchées et inutiles. Mais les mauvais moments demeuraient non-dits, comme si leur simple évocation risquait de faire remonter les vieilles afflictions à la surface.
[...] Une fois qu’une chose meurt, elle commence à pourrir. Et c’est quoi la pourriture sinon une sorte de fantôme ? Tu crois pas que le sang reste là où il coule ? Tu crois que tous les malheurs qui viennent frapper certains endroits reculés s’évanouissent quand l’histoire est finie ?
L'écriture est riche et soignée. Plusieurs scènes sont de véritables bijoux, taillés et ciselés avec le plus grand soin. On vous en livre une [ici] en intégralité : un sans faute, à savourer sans retenue même si ces quelques lignes livrent une ou deux clés de l'intrigue (mais sans dévoiler la suite ni gâcher le plaisir de la lecture du roman).
Il y a beaucoup de références mystiques dans cette histoire (le Styx, le diable, la faute, Abel et Caïn, ...) mais sans exagération ni ostentation (on est un peu allergique et on n'aurait pas supporté). Non, c'est plutôt comme un poids qui vient écraser un peu plus les destins de ces personnages que la 'chute' a précipités au fin fond de ce Kentucky bien loin de l'Eden.
Donc tout comme pour les Maraudeurs, nous voici encore à deux doigts du coup de cœur .... (l'écriture mériterait un petit dégraissage pour atteindre à la perfection).
Et toujours comme pour les Maraudeurs, il ne s'agit 'que' d'un premier roman : indubitablement voici deux bouquins à lire et deux auteurs à suivre.

Pour celles et ceux qui aiment les cimetières.
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Cinoche : Le fils de Jean


Je pars au Québec, ne t'en fais pas ...


Ah, voici le premier coup de coeur de la rentrée ciné avec Le fils de Jean du bien connu Philippe Lioret (Je vais bien ne t'en fais pas, Welcome, ...).
Comme pour l'histoire de Lili, on retrouve ici les interrogations récurrentes du cinéaste autour de la paternité.
Mathieu, le parisien, est divorcé et peine à s'occuper de son fils.
Il apprend subitement l'identité de son propre père, jusqu'ici inconnu : Jean, un québécois, qui vient de décéder et qui aurait connu sa mère (également décédée) il y a trente ans.
Le quasi orphelin se met donc en route pour le Québec, histoire de renouer les fils et au passage de faire la connaissance des autres fils de Jean, ses deux demi-frères.
À Montréal, il rencontre le meilleur ami de Jean, qui l'avait contacté mais qui ne souhaite pas vraiment que la vérité soit révélée pour ne pas perturber la famille qui ignore tout du fils de Jean ...
Un film qui ne se résume pas mais qui est tout simplement superbe : une très très belle histoire, particulièrement bien racontée, pleine de bonnes surprises.
Un film empreint d'une infinie douceur et d'une grande tendresse pour les personnages.
Un film où deux acteurs excellents - Pierre Deladonchamps le fils et Gabriel Arcand le vieil ami de Jean - prennent toute la place et portent quelques scènes superbes de simplicité et de pudeur.
Un film grave (des choses dures se sont déroulées) mais qui reste lumineux.
Notre conseil : ne lisez plus rien d'autre sur ce film et allez le le voir sans tarder !

Pour celles et ceux qui aiment l'accent québécois.
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Cinoche : Un petit boulot


Le chien, le mafieux et le tueur.


Le réalisateur de l'Arnacoeur Pascal Chaumeil est décédé avant la sortie de son film : Un petit boulot adapté d'un roman de Iain Levison (pas lu mais on avait tourné autour) qui nous explique sa recette pour résorber le chômage.
Le trop rare Michel Blanc vieillit vraiment bien et, pour notre plus grand plaisir, parvient ici à éclipser de temps à autre l'inévitable Romain Duris et nous rappeler Blier et Audiard.
Respectueux du roman (même le titre VF en a été conservé, et c'était Since the layoffs en VO) Chaumeil n'oublie pas d'ancrer son histoire (le chômeur engagé comme tueur à gages par le mafieux respectable) dans le contexte social qui est le nôtre aujourd'hui (la désertification de l'industrie belge en l’occurrence) :  licenciements, précarité, immoralité économique, pressions, ...
On sourit souvent, quelques dialogues sont franchement bien vus, quelques personnages aussi. Le film manque parfois un peu de rythme et l'on aurait aimé encore plus de férocité dans cette comédie à l'humour grinçant.
Le propos est clair : une histoire très immorale parce que nous vivons dans un monde socio-économiquement très amoral, sans plus aucune morale que celle du pouvoir et du profit à court terme.

Pour celles et ceux qui aiment Michel Blanc et supportent Romain Duris.
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Bouquin : La rose de fer


[...] Le passé n’est pas enterré.

Encore une belle occasion de voyager, cette fois jusqu'en Australie avec La rose de fer de Peter Temple.
Un polar ou un roman noir qui nous emmène du côté de Melbourne : mais le décor down under n'est pas vraiment dépaysant (hormis le fameux footy) et l'histoire s'avère finalement très 'américaine', tout comme le style de cet auteur ... né en Afrique du Sud.
Le personnage principal, Mac Faraday, battait tranquillement le fer jusqu'à ce qu'il découvre Ned, son meilleur ami et voisin, pendu dans sa grange. Pour notre forgeron, il ne peut s'agir d'un suicide et nous voici à enquêter sur le passé d'un étrange manoir, Kinross Hall, un pensionnat où des jeunes filles auraient été maltraitées ...
[...] C’est quoi, Kinross Hall ?
– Un foyer d’accueil pour jeunes filles, un centre de détention, Dieu seul sait quel nom on attribue aujourd’hui à ces institutions.
[...] Ç’aurait pu être un hôtel de campagne onéreux, mais l’ensemble avait ce caractère commun à tous les lieux de résidence forcée : silence, odeur de désinfectant, apparence très ordonnée de chaque chose, impression de soudaine froideur dans l’air.
[...] Les tribunaux nous envoient toutes sortes de jeunes filles : des riches, des pauvres, certaines que nous pouvons aider, d’autres non. Toutes ont une chose en commun. Personne ne veut d’elles, à moins que ce ne soit pour les pires raisons.
Qu'avait donc découvert Ned le pendu ? Qui voulait le faire taire à jamais ?
[...] Une jeune fille nue, à la nuque brisée, jetée dans un puits de mine, peu après 1984. Une jeune fille nue, battue, sur le bord d’une route déserte en octobre 1985. Ned avait travaillé à Kinross Hall en novembre 1985. Et n’y avait plus jamais remis les pieds. Jusqu’à quelques jours avant d’être assassiné.
Mais il n'y pas que Kinross Hall à être hanté par des fantômes, Mac Faraday a lui aussi un lourd passé : c'est un ancien agent fédéral qui a quitté les stups avec pertes et fracas.
[...] Est-ce que j’appartenais vraiment au passé ? Qu’avait dit Berglin ? Le passé n’est pas enterré.
Et comme l'Australie est un petit pays (bon d'accord : un grand pays, mais quand même très peu habité) les deux histoires pourraient bien finir par s'entremêler ...
Peter Temple possède l'art et la manière de raconter une histoire et même plusieurs, de camper de solides et nombreux personnages, d'enrichir son roman de détails et d'anecdotes, ... peut-être au risque de perdre un lecteur éventuellement peu concentré.
C'est là un de ses premiers romans, récemment traduit en français, après le succès des suivants.
Et l'on assiste là sans doute à la naissance de ce que seront les thèmes de prédilection de l'auteur : le souvenir d'un père regretté, l'absence d'une épouse, la difficulté de comprendre ou retenir les jeunes, la corruption d'une ville gangrenée, l'impunité des riches et des puissants, ...
Et il nous donne une vision très américaine de l'Australie.
[...] Avez-vous remarqué que les gens malfaisants sont mus par une sorte de force ? Une sorte d’indépendance qui confère un grand pouvoir à ceux qui la possèdent. C’est une forme de sérénité, une absence de doute, une indifférence à l’égard du monde. Ça attire les autres. Le vide moral aspire les gens.


Pour celles et ceux qui aiment les australiens.
Bientôt d’autres avis sur Babelio et sur Bibliosurf.


Bouquin : Dust


[...] La mauvaise réputation des yellow men…


À éviter !
Avec ce Dust situé au Kenya, l'auteure franco-serbe Sonja Delzongle réussit à nous massacrer une bonne idée.
Une idée de départ plutôt bien vue qui mettait en scène la 'chasse aux albinos' telle qu'elle peut se pratiquer en Afrique, région où cette maladie génétique a été 'découverte' et où elle est le plus répandue.
[...] Dans de nombreux pays d’Afrique, dont le Kenya, l’albinos est considéré comme un être aux pouvoirs surnaturels ou, parfois, comme une créature maléfique.
[...] Les sorciers diffusaient ces croyances auprès de la population en promettant longue vie, richesse et pouvoir à qui consommerait des poudres et des substrats obtenus à partir des membres, des organes ou des cheveux d’albinos, qui se vendaient à prix d’or.
[...] La fabrication et la vente de poudres d’origine humaine. De la poussière d’homme aux vertus magiques. La miraculeuse poudre d’albinos, aussi chère et précieuse que la cocaïne.
Malheureusement c'est tout et la bonne idée tourne court.
Ou plutôt s'étire au fil des pages d'un thriller qui traîne en longueur pour se terminer dans un délire apocalyptique digne de la fin du régime nazi.
Et pour faire bonne mesure, l'écriture de ce navet est bâclée (avec même encore des fautes de français et des tournures de phrase vraiment approximatives). On n'en parlera donc pas plus.
Reste, on l'a dit, la mise en lumière du trafic autour de ces malheureux albinos. Décidément le trafic humain est à la mode et nous voici quelque part entre Lagos Lady pour le côté africain et Fabrika pour l'indigence du style et de l'intrigue.


Pour celles et ceux qui aiment les albinos.
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