Cinoche : Hors-la-loi

Devoir de mémoire.

Après Indigènes, Rachid Bouchareb poursuit sa trilogie algérienne avec Hors la loi qui met en scène, non pas la Guerre d'Algérie dans son ensemble, mais plus précisément l'activisme du FLN en France et à Paris, des bidonvilles de la banlieue ouest aux usines Renault, et notamment la collecte des fonds destinés à financer la révolution et la guerre d'indépendance.
Histoire (avec un grand H !) de bien planter le décor, de bien ancrer le propos, le film s'ouvre(1) sur la manifestation de Setif, le 8 mai 1945 et se termine sur celle de Paris, le 17 octobre 1961 où notre bienveillant préfet Papon s'illustra.
Disons le tout de go, le film de Bouchareb est plutôt maladroit et appliqué : le sujet est (toujours) sensible, le cinéaste veut (trop) bien faire.
Le résultat est très académique et entend visiblement coller à ses modèles comme L'armée des ombres de Melville.
Cela étant dit, ce film a le mérite d'exister et d'éclairer, pour le grand public, une page de notre Histoire rarement mise en scène.
On connait bien maintenant l'épisode sinistre du 17 octobre 61 et la répression féroce qui suivit, au point que la Seine charriait des cadavres.
Ce que l'on feint souvent d'ignorer par contre, c'est la manifestation de Sétif et les massacres qui s'ensuivirent.
Le 8 mai 45 à Sétif on fête la victoire comme partout ailleurs. Les nationalistes algériens profitent de cette tribune pour défiler pacifiquement.
La manifestation dégénère et on déplore quelques morts ... mais pendant plusieurs jours l'armée française va s'acharner sur la population et cette affaire tournera vite au véritable massacre organisé. L'aviation et la marine bombarderont les villages. Les estimations les plus basses parlent de plus de dix mille morts !
Le film de Bouchareb (sans doute soucieux de consensus) n'évoque ce massacre que de façon très light et très partielle(2) mais a le mérite d'ancrer le sentiment nationaliste algérien au cœur de ces terribles évènements.
Même si la guerre d'Algérie ne commencera officiellement que neuf ans plus tard, lors de la Toussaint Rouge de 1954.
Outre le rappel de ces évènements historiques, Hors la loi a également l'intérêt de bien enraciner ses personnages dans toutes les guerres de cette époque décidément très agitée.
Bien sûr la Guerre de 40 (voir Indigènes) mais également la Guerre d'Indochine puisqu'à Dien Bien Phu, l'armée coloniale et les algériens seront également présents aux côtés des soldats de métropole. Ils verront les combattants du Viet-Minh conquérir leur indépendance. Puis tout le monde rentrera d'Indochine pour se retrouver parfois dans des camps opposés, à Alger comme à Paris.
S'il vous fallait une dernière raison - et non des moindres - d'aller voir ce film, lisez cet article du Monde, daté du mois de mai (peu avant le Festival de Cannes) et co-signé par plusieurs personnalités, qui évoque le financement du film et les critiques de certains députés de droite regrettant ouvertement de ne pas avoir pu censurer l'apport des fonds publics.

(1) : en fait, la scène d'ouverture est encore plus ancienne, avant Guerre(s), avec l'humiliation des paysans algériens lors des expulsions coloniales
(2) : quelques cadavres alignés sur les trottoirs de Sétif le jour même de la manifestation


Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire, même si elle est pas jolie jolie.
JM. Frodon en parle très bien.

Cinoche : Benda Bilili !

Miousik ET cinoche.

BMR & MAM, deux baobab-coolIls sont nés sur des tonkars mais ils feront un carton lors de leur tournée en Europe. Ils sont noirs, ils sont SDF, ils vivent dans la misère à Kinshasa, ils ont eu la polio et ils sont devenus infirmes, mais ils réussiront à enflammer les Eurockéennes de Belfort et d'autres festivals encore, jusque sous la neige à Oslo.
Au fil d'un reportage en Afrique sur les musiques urbaines, Renaud Barret et Florent de La Tullaye (les réalisateurs de ce documentaire) font la rencontre du Staff Benda Bilili ! dont les membres vivotent entre les tonkars des rues de Kinshasa et le zoo de cette capitale de la RDC (l'ancien Zaïre, lui-même ancien Congo Belge) qui leur sert de “salle” de répétition (sans doute le seul endroit calme de la ville !).
Pendant plusieurs années, les deux cinéastes suivront le staff de Papa Ricky, la tête pensante de cette petite cour des miracles, et aideront cet improbable équipage d'éclopés à enregistrer un album (Très très fort !) et finalement à tourner en Europe.
Fil conducteur de cette épopée, Roger, un gosse des rues qui joue du satongué (une seule corde et un bout de bois sur une boîte de lait) : une sorte de Jimmy Hendrix de la boîte de conserve, qui deviendra vite la mascotte et l'emblème du Staff(1).
Pendant plus de cinq ans, on voit Roger grandir (et son regard changer) dans le sillage des tricycles à manivelle du Staff Benda Bilili !
Ces éclopés de la vie (au sens propre comme au figuré) ont le rythme et la musique dans la peau. Ils composent des chansons militantes qui évoquent les galères et la débrouille dans les rues nocturnes grouillantes de Kinshasa (l'une des plus grandes villes africaines, coupée en deux par le fleuve et surtout la décolonisation qui laissera Brazzaville sur l'autre rive, celle du Congo français). Ils exhortent les mères à vacciner leurs enfants contre la polio. Ils invitent les gosses des rues à ne pas se laisser embringuer dans les gangs mais à travailler. Ils chantent la volonté farouche de vivre et de s'en sortir, l'humour et l'optimisme indéfectibles qui leur permettent de survivre.
Il n'est jamais trop tard et un homme n'est jamais fini ... avant la fin ! C'est bien le message de Ricky et de son staff, et pour sûr, ils savent de quoi ils parlent.
Le film-documentaire s'efface entièrement (trop peut-être ?) derrière ses personnages que l'on suit depuis la galère congolaise jusqu'à l'euphorie de la tournée européenne.
Quelques images de blindés de l'ONU ou de manifestations électorales (les élections de 2005) sont là pour nous rappeler que, comme de nombreux pays d'Afrique, la RDC est - à peine sortie de la guerre civile - encore loin de nos standards européens.
Car, comme tous les africains, Ricky, Roger et son Staff kinois rêvaient de l'Europe sans trop savoir : ce qui est sûr à leurs yeux c'est qu'il s'agit [je cite] d'un pays où n'entre pas qui veut et où les poulets sont gras et bien nourris, voilà la mondialisation résumée en peu de mots.
Vous pouvez écouter notre playliste ou même acheter leurs chansons et ainsi aider Ricky et son staff à agrandir leur bistrot et leur épicerie. Car même après l'euphorie du succès (dont il n'avait d'ailleurs jamais douté !) Papa Ricky reste un sage. Sa devise ? Benda Bilili ! C'est à dire, voir loin, voir au-delà des apparences.
Leur épopée est une véritable leçon de vie, presque philosophique. Le film est un véritable éclairage sur notre monde.
Bon cinoche ou bonne écoute, c'est au choix. Mais leur musique est, avant toute chose, une musique vivante, une musique de scène, qui supporte peut-être mal le format “album”, d'où l'avantage du film pour ceux qui, comme nous, ont loupé le Staff en concert.

(1) : mais tout n'est pas rose dans le conte de fée Benda Bilili ! Ainsi, on peut voir au début du film un autre “shégué” (un autre enfant mendiant dans la rue), Randi, percussionniste doué qui ne finira ni l'album ni le film (nul ne sait ce qu'il est devenu, perdu dans la jungle kinoise). Lui, ne sera pas de la tournée européenne.


Pour celles et ceux qui aiment la musique du monde.
Bien sûr tout le monde en parle : Ruminances, RFI, Cluny, Boustoune, ...
Le site Zéro de conduite propose même un dossier pédagogique.

Miousik : Hindi Zahra

Mélange des genres.

La belle berbère est née au Maroc. Elle vit en France. Elle chante en anglais, ou en berbère, ou en français ou en arabe. Du blues, du fado, du tango, du raï, du groove, du jazz.
Laissez vous emporter avec Hindi Zahra, loin des frontières musicales. Loin des frontières tout court.
En ces temps troublés, il est bon de se rappeler la rondeur de notre planète. La rondeur de la voix envoûtante d'Hindi Zahra nous y aide, sans prétention, tout entièrement dévolue à la musique.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifJetez donc une oreille sur le swing de cet Oursoul (Our soul en angliche ou Ursul en berbère : la nostalgie). Ça n'a l'air de rien comme ça, mais les guitares sont sobres et parfaites, le chant exotique et obsédant, ...
Un extrait de l'interview (intéressante) chez Froggy :

[...] Parfois, ça m'énerve qu'on insiste sur les différences comme si c'était des barrières alors qu'on est tous au même niveau. Plus je voyage, plus cette pensée se confirme : d'accord, il y a des différences culturelles, il y a des endroits plus ou moins difficiles à vivre, mais pour moi tout le monde part d'une même base. Quand tu mets des enfants dans un même endroit, peu importe l'endroit d'où ils viennent, ils n'ont aucun problème pour s'arranger entre eux. Moi je suis issue d'un métissage, j'ai toute une série de langues ... Je ne peux plus m'identifier à un seul endroit, un seul pays.


Pour celles et ceux qui aiment la musique qui vient de partout.
Le site officiel (bio, musique, ...). Une interview chez Froggy.

Bouquin : Mississippi

Que la bête meure.

Décidément, on n'en finit pas de fréquenter l'Histoire des noirs américains.
Après L’oiseau Moqueur, après les Rues de feu, voici la période intermédiaire, pile entre les deux, avec Mississippi de Hillary Jordan.
De ces trois bouquins, c'est L'Oiseau moqueur de Ann Harper Lee qui emporte la palme, haut la main, et Mississippi est malheureusement loin de pouvoir rivaliser avec, malgré le parrainage de Barbara Kingsolver. Mais restons indulgents, ce n'est que le premier roman de Dame Jordan.
Ça commence avec la Guerre (celle de 40) et ça se termine sur les premiers pas de Martin Luther King, vague lueur d'espoir après une histoire très sombre.
Un bouquin qui s'ouvre sur une scène dantesque (la scène finale, en fait) avec deux frères qui, sous un déluge de pluie, creusent dans la gadoue la tombe de leur père :

[...] J'entrais dans la maison quand le marteau s'est abattu sur le premier clou en un bruit délicieusement  irrévocable qui a fait sursauter les enfants.
« C'est quoi ça, maman ? a demandé Amanda Leigh.
- C'est ton papa qui ferme le cercueil de Pappy.
- Il va se fâcher ? » a murmuré Bella effrayée.
Laura m'a jeté un petit coup d'œil farouche.
« Non, ma chérie, a-t-elle répondu. Pappy est mort. Il ne se fâchera plus jamais. Maintenant, mettez votre manteau et vos bottes. Il est temps de porter votre grand-père en terre. »
Heureusement qu'Henry n'était pas là pour entendre la satisfaction dans sa voix.

Visiblement encore une histoire de famille pas très unie. Laura épouse Henry, l'un des deux frères. Ils quittent la ville (Memphis) pour aller s'embourber dans une ferme perdue au cœur du delta du Mississippi. Bientôt ils sont obligés de recueillir le père d'Henry, ce vieux con raciste (et bien sûr adepte du KKK à ses heures perdues) qu'on est si content d'enterrer, à la fin.
Pouce baissé Mais ce roman d'Hillary Jordan est vraiment trop caricatural : la descente aux enfers de la gentille Laura n'en finit pas.
Les gentils noirs de la masure d'à côté, le vieux con raciste qui fait chier tout le monde, même ses propres fils, la belle-fille qui a dû abandonner son piano et qui méritait mieux que de finir les deux pieds dans la gadoue, snif !
C'est too much et ça manque beaucoup trop de subtilité. Dommage.
Deux aspects sauvent quand même le bouquin.
Pouce levé Le premier c'est le rappel historique sur tous ces noirs partis guerroyer en Europe contre les nazis. Souvent envoyés en première ligne (façon tirailleurs sénégalais) par des généraux aussi racistes sur notre front de l'Est qu'ils l'étaient l'année précédente dans leur propre Sud.
Sauf que tous ces soldats noirs seront bientôt acclamés comme tous les GI's par les européens libérés : ils se retrouveront fêtés par des blancs, courtisés par des blanches, applaudis et respectés comme ça ne leur était jamais, mais alors jamais, arrivé.
C'était pas vraiment prévu et on sait maintenant que, de retour au pays, ils contribueront pour beaucoup à grossir les rangs des partisans de Martin Luther King.
L'autre aspect intéressant du roman, c'est la peinture crue et rude de ces gens du Sud qui, noirs comme blancs, sont amoureux de leur terre. Une terre grasse et boueuse(1). Si on savait déjà que c'est la mer qui prend l'homme et non l'inverse, Hillary Jordan nous prouve ici que la terre aussi peut prendre certains d'entre nous. Noirs comme blancs, la terre n'est pas regardante sur la couleur de peau.
Le reste, on l'a dit, est une sombre et désolante histoire : l'histoire de la bêtise humaine dans laquelle on s'enlise et on s'enfonce un peu plus à chaque chapitre, comme dans la gadoue du delta. C'est inéluctable mais aussi très prévisible.
Forcément, ça finira mal, très mal et c'est pas les noirs qui auront le dessus, c'est sûr.

(1) : en VO, le titre est Mudbound, quelque chose comme les liens de la boue, comme on dit des liens du sang ...


Pour celles et ceux qui aiment les histoires sombres avec des noirs.
C'est Belfond qui édite ces 365 pages parues en 2008 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Michèle Albaret-Maatsch.
Pierre et Dédale en parlent.

Cinoche : Inception

I had a dream last night …

On doit bien être parmi les derniers à être allé voir Inception, le film de Christopher Nolan avec Leonardo di Caprio. La faute à BMR qui avait un mauvais préjugé sur ce film tapageur et trop annoncé.
Et c'est bien dommage car ce film est particulièrement intéressant et pas uniquement parce que notre Marion Cotillard nationale y joue le rôle de la femme de Leonardo(1).
Contrairement aux apparences, le sujet en est assez simple : dans un futur proche, diverses techniques et substances chimiques permettront de « partager » des rêves à plusieurs.
Leonardo di Caprio et son équipe, façon Mission Impossible (savoureux !), utilisent ces techniques pour s'infiltrer dans l'esprit  et l'inconscient de cadres haut placés dans de grosses multinationales et leur extorquer quelques secrets de fabrication.
Les débuts du film sont déroutants à souhait : on ne sait jamais trop si on se trouve dans la réalité ou dans un rêve ... le décor est planté.
Et quand on dit décor ... évidemment dans un rêve (et au cinéma !) on peut s'en donner à cœur joie ! escaliers d'Escher sans fin, Paris qui s'enroule sur lui-même, décors qui s'effondrent au réveil, ... de belles images !
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifBientôt, une nouvelle mission est proposée à Leonardo : cette fois, il s'agit non pas de voler un code dans une mémoire inconsciente mais au contraire de déposer le germe d'une (mauvaise) idée dans l'esprit du futur patron d'un rival économique. Le procédé est sans doute plus complexe (au moins pour les besoins du scénario et du film !) car le sujet ne doit se douter de rien et se réveiller bien évidemment avec cette idée comme sienne.
L'équipe de Leonardo monte alors  tout un échafaudage de manipulations et de rêves emboîtés.
Quand vous rêvez 5 minutes, votre rêve semble durer 1 heure ou plus.
Si dans ce rêve vous vous endormez et que vous vous mettez à rêver à nouveau (vous rêvez que vous rêvez), le second rêve peut sembler durer des jours entiers. Si dans ce rêve, à nouveau ...
Le film exploite à fond ce mécanisme des échelles de temps et des rêves imbriqués à plusieurs niveaux. C'est étonnamment bien fait, parfaitement maîtrisé et jubilatoire : stress, suspense, tension, on est sans cesse sollicité pour aller plus loin dans la complexité ... et le plaisir du cinéma (ou du rêve, c'est pareil).
Mais tout cela reste compréhensible : le réalisateur prend soin de ne pas nous perdre en route(2) et nous sommes astucieusement guidés par une novice fraîchement embarquée dans l'équipe de Leonardo. C'est Ellen Page, excellente comme dans Juno. Une jeune architecte (il en faut pour imaginer les décors des rêves ...) qui nous accompagne dans les méandres labyrinthiques du cerveau de Leonardo, car bien sûr on ne vous a pas tout dit et il y a encore plein d'autres niveaux à découvrir !
À tel point qu'il faut qu'on vous dévoile un truc infaillible : désormais n'oubliez pas mettre une petite toupie dans la poche de votre pyjama le soir avant d'aller au lit. Lorsque vous ne saurez plus où vous en êtes, si vous rêvez ou êtes revenu à la dure réalité, faites tourner la toupie ! Si elle finit par tomber, comme toute bonne vieille toupie qui se respecte, vous êtes rentré chez vous ! Si elle tourne, elle tourne sans cesse, ... vous êtes encore en train de rêver, ou de rêver que vous êtes réveillé, ou de rêver que vous rêvez, ou ... ! Il y a d'ailleurs un petit parfum de Shutter Island lorsque Marion Cotillard (sa femme : morte, pas morte ? réelle, rêvée ? folle, pas folle ?) explique par A+B à Leonardo que c'est lui le plus parano des deux ...
Bon, tout ça c'est bien sûr du cinéma. Mais du bon cinéma, comme lorsque le décidément très habile Christopher Nolan nous avait déjà manipulés et emberlificotés(3) avec Memento ou Le Prestige.  
(1) : avec un clin d'œil musical à La Môme.
(2) : C. Nolan est lui-même l'auteur du scénario, un scénario que n'aurait pas renié Philip K. Dick
(3) : détail amusant - la fin du film est plus ouverte qu'il n'y parait et donc sur le web des théories entières s'affrontent pour déterminer si la "réalité" du film est bien réelle ou n'est qu'un niveau de rêve supplémentaire ! Wiki en parle.

Pour celles et ceux qui aiment les châteaux en Espagne.
Lyricis, Seb, Pascale, ... en parlent et sur Wiki, les théories s'affrontent déjà !

Cinoche : The town

Le syndrome de Boston.

Une affiche inutile, de trop rares bandes annonces, un titre transparent(1), ... on a bien failli passer à côté de The Town, et il aura fallu un article des Echos pour nous faire faire le détour par Charlestown, un quartier pauvre de la banlieue de Boston.
À Charlestown, tout le monde rêve de changer de ville, de changer de vie, sans jamais avoir seulement la chance de passer le pont (THE bridge) qui sépare les quartiers ouvriers de la ville chic des yuppies.
À Charlestown, chez les McRay on est braqueur de père (Chris Cooper) en fils (Ben Affleck).
Belles scènes de braquages : banques et fourgons blindés, en veux-tu, en voilà.
Belles scènes de courses de voitures : si vous croyiez (comme nous avant hier) avoir tout vu après 350 poursuites de bagnoles au cinoche, filez vite, toutes jantes dehors, voir The town : époustouflant !
Lors d'un braquage survolté, le gang de Ben Affleck prend la directrice de l'agence en otage.
Depuis les années 70 on connaissait le syndrome de Stockholm, mais voici celui de Boston : le beau voyou tombe amoureux de l'otage et se charge de la surveiller d'un peu trop près.
Parce qu'elle représente sans doute pour lui, cette part de rêve de changer de ville et de changer de vie.
Parce que Dieu ne viendra pas vous sortir de votre impasse et que seul un Eskimau pourra vous y aider(2) : la jolie Rebecca Hall sera-t-elle l'Esquimaude de Ben Affleck.
L'histoire n'est guère vraisemblable : Ben Affleck est un voyou trop beau et trop gentil, Charlestown est un joli quartier presque pimpant, la prison respire le propre, etc ...
Et tout est trop bien qui finit trop bien : même la patinoire de Charlestown, délaissée par la mairie, retrouvera finalement la glace qui permet aux gosses défavorisés de jouer au hockey.
Mais outre plusieurs bonnes scènes d'action, l'intérêt du film tient dans ses personnages, plutôt bien développés, bien joués et finalement attachants.
Outre nos deux tourtereaux (Rebecca Hall était la Vicky de Woody Allen), on remarque également Jeremy Renner (Démineurs) dans le rôle du pote-presque-frère de Ben Affleck et Jon Hamm (série Mad Men) dans le rôle de l'agent du FBI obsédé par l'arrestation des voyous (on n'ose pas écrire des méchants).
Décoiffant et sympa. Et bien plus cool que Les Infiltrés (The Departed) de Scorcese.

PS : ne manquez pas au générique de fin, Jolene, chanson de Ray LaMontagne(3) dont voici un extrait qui prend tout son sens après l'une des scènes du film (nine pound hammer ...) :

[...] A man needs something he can hold onto
A nine pound hammer or a woman like you
Either one of them things will do
Jolene, I ain't about to go straight
It's too late
I found myself face down in a ditch
Booze in my hair, Blood on my lips
A picture of you holding a picture of me
In the pocket of my blue jeans
Still don't know what love means  

(1) : et un Ben Affleck pas vraiment charismatique même si MAM le trouve beau gosse
(2) : jolie histoire racontée lors d'une séance des AAA ; je fais court :
J'étais pris dans les neiges de l'Alaska, à demi gelé, à demi perdu. J'ai prié Dieu de me sortir de là mais il n'est jamais venu.
Pourtant si vous êtes ici pour nous raconter cela, c'est que Dieu vous a bien sauvé non ?
Non, c'est un Eskimau qui m'a trouvé et qui m'a ramené ...
(3) : et non pas une reprise de celle de Dolly Parton


Pour celles et ceux qui aiment les gentils braqueurs de banques.
Nico, Ariane et Sandra en parlent.

Bouquin : Les rues de feu

La croisade des enfants.

Historiquement, ce bouquin pourrait être la suite de L'oiseau moqueur.
Ann Harper Lee avait écrit son best-seller dans les années 60 en pleine campagne des noirs américains pour leurs droits civiques.
Thomas H. Cook a écrit son polar, Les rues de feu, plus récemment (1989) mais il relate précisément les faits de 1963 à Birmingham, Alabama, d'où il est natif. Il avait 16 ans à l'époque où Martin Luther King entraînait ses concitoyens à la conquête pacifique de leurs droits pour obtenir la fin de la ségrégation.

[...] Les sit-in dans les cafétérias ségrégationnistes des grands magasins et les défilés de masse en plein cœur du quartier des affaires avaient transformé la ville en zone d'émeute.

Dans cette ambiance explosive, en plein été, pendant que tous ses collègues forment le dernier carré de l'ordre blanc, Ben, flic blanc et intègre - oui ! c'était lui qui occupait seul cette fonction cette année-là à Birmingham, Alabama - Ben donc, s'obstine à vouloir découvrir l'assassin d'une fillette découverte morte dans un terrain vague.
Un petit détail quand même : la fillette était black ...
Les amateurs de polars peuvent sans doute changer de rue (l'avenue Martin Luther King !) car si ce bouquin vaut le détour, c'est bien sûr pour la description du contexte social de l'époque et du lieu.
Thomas H. Cook est prof. d'Histoire et met en scène des faits réels : la croisade des enfants a bien eu lieu cette année-là à Birmingham pour contrer les vues d'un préfet va-t-en-guerre.


Pour celles et ceux qui aiment les histoires avec de l'Histoire dedans.
C'est Folio Policier qui édite ces 437 pages parues en 1989 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Tom Nieuwenhuis.
Kathel a bien aimé également. Wiki parle des événements de Birmingham et de Martin Luther King.

Bouquin : Le chemin des âmes

Le mythe du windigo.

Ah quel plaisir exquis quand, au bout d'une vingtaine de pages, on se dit : purée, là on en tient un bon, un grand !
On avait lu le plus grand bien du roman du canadien Joseph Boyden : Le chemin des âmes, et on n'a pas été déçus. Avis unanime et partagé de MAM et BMR : un très beau roman qui finira très certainement sur notre podium 2010.
Une écriture simple mais ample, à l'américaine, avec une puissance d'évocation peu commune.
Un roman fort autour de trois personnages riches et complexes : deux indiens crees d'Amérique du nord, enrôlés dans l'armée canadienne venue lutter dans la Somme et l'Artois contre les teutons pendant la Grande Boucherie Guerre, celle de 14-18. Deux amis inséparables. Et la tante de l'un deux, une vieille sorcière cree.
Une histoire admirablement construite autour de trois récits qui s'entrecroisent avec une surprenante fluidité pour mieux nous faire découvrir les multiples facettes des trois personnages. Le livre s'ouvre sur un quiproquo(1) : de nos deux jeunes indiens partis au front, seul l'un d'eux revient au pays, une jambe en moins et la tête en vrac, alors que sa vieille tante Niska n'était venue à Toronto que pour ramener son ami au pays.

[...] « On m'avait dit que étais morte, ma tante.
- On m'avait dit la même chose. »

Ils quittent Toronto en canoë pour un long voyage de trois jours (et trois longues nuits) vers leurs terres, au cours duquel la vieille Niska ressort ses secrets, ses pratiques et ses médecines pour tenter d'apaiser l'âme brisée de son neveu. Un voyage qui fera ressurgir deux autres récits.
Tout d'abord, la jeunesse de nos trois indiens, au début du siècle sur ces terres convoitées où certains se rebellent encore contre la christianisation forcée ou la ghettoïsation dans les réserves.
Les crees tentent encore de préserver leurs traditions comme par exemple le mythe du windigo destiné à maintenir le tabou sur le cannibalisme : pour ce peuple de chasseurs, l'hiver enneigé est parfois trop long pour joindre les deux bouts et il n'est pas rare de devoir mettre les mocassins à bouillir dans la soupe(2). Aussi lorsque la saison de chasse est vraiment trop mauvaise, la tentation est parfois trop forte et l'innommable est commis, souvent entre proches, par exemple lorsqu'une mère tente de sauver ses petits.

[...] Savoir qu'on a attenté à la dignité d'un être cher ; que l'on a, poussé par le désir féroce de survivre, commis un acte qui vous met à jamais au ban des vôtres, c'est un métal très dur à avaler, bien d'avantage que la première bouchée de chair humaine.

Le père de Niska possèdait les talents requis pour chasser ces êtres devenus des windigos, une sorte de loup-garou local. Niska a hérité de ce don : elle est devenu tueuse de windigos.
Le troisième récit, c'est bien entendu l'épouvantable épopée des deux jeunes indiens sur nos terres à nous, jusqu'à la terrible Crête de Vimy près de Lens, où périrent 60.000 canadiens (oui, vous avez bien lu : soixante-mille canadiens !).

[...] « Tu veux que je te dise, ma tante ? » Et je reprends un peu d'eau. « Il y a tellement de morts enterrés  là-bas que si les arbres repoussent, les branches porteront des crânes. »

Nos deux crees sont d'habiles chasseurs, on l'a vu. Des recrues de choix pour crapahuter entre les tranchées et les barbelés, s'embusquer silencieusement, patienter toute une nuit sans bouger ni se faire repérer et au petit jour dégommer à la lunette quelques officiers ennemis avant de revenir en évitant les obus. Des snipers au tableau de chasse impressionnant.
Mais des tranchées, on sait que les rares qui en reviendront, ne rentreront pas indemnes.
Beaucoup y perdront leur intégrité physique.

[...] Un obus est tombé trop près. Il m'a lancé dans les airs et, soudain, j'étais un oiseau. Quand je suis redescendu, je n'avais plus de jambe gauche. J'ai toujours su que les hommes ne sont pas faits pour voler.

Tout comme leur intégrité mentale : beaucoup finiront accros à la morphine.

[...] Chaque fois que les brancardiers arrivent en sens inverse, il faut se tasser contre le parapet. J'essaie de ne pas regarder les blessés  qu'on emporte ; mais à l'occasion, je baisse les yeux et je découvre un visage ou bien convulsé de douleur, ou bien marqué du M jaune indiquant qu'on lui a donné la médecine et qu'il rêve, maintenant, de l'autre monde.
[...] Le seul fait de prendre une seringue dans ma trousse, et de tendre le bras, me soulage presque autant que la morphine elle-même.

Mais le roman de Joseph Boyden n'est pas qu'un récit de guerre de plus, loin s'en faut, et malgré l'horreur des tranchées on devient très vite accro, non pas à la morphine, mais à l'histoire qu'il nous conte. Sans doute parce que ses trois personnages (tout comme son écriture) sont lumineux et que, malgré les terribles souvenirs qui remontent, on se sent étonnamment bien aux côtés de la vieille sorcière cree au fond du canoë. Et l'on voudrait que le voyage de retour dure encore.
On ne peut pas vous en dire plus sur ces histoires de windigos(3) ni comment les légendes indiennes croiseront l'épouvantable réalité des tranchées ... Il vous faudra faire un éprouvant mais enrichissant voyage de trois jours en compagnie de la vieille Niska, de son neveu et du souvenir de son ami Elijah.
Three-day road : c'est le titre original.

[...] Tu m'as enseigné, Niska, que tôt ou tard, chacun de nous devra descendre, trois jours durant, le chemin des âmes.

Puisque dans les mythes crees, ce chemin des âmes(4) c'est un peu le Styx de nos anciens. 
Comme pour nous, il vous faudra à coup sûr quelques jours, après avoir refermé ce livre, avant de pouvoir ouvrir un autre bouquin ... on ne revient pas facilement des terres indiennes de Joseph Boyden.

(1) : et se clôturera sur l'explication de ce malentendu lorsque les sorts des trois personnages se retrouveront indissolublement liés et entrecroisés.
(2) : d'autant que l'avidité des européens pour les fourrures fait que les trappeurs indiens eux-mêmes accélèrent la disparition de leurs propres ressources en gibier.
(3) : mais vous pouvez lire Wikipedia
(4) : évidente allusion du titre français au terrible Chemin des Dames, c'était tout à côté.


Pour celles et ceux qui aiment les légendes indiennes (et pas que celle de Pocahontas).
C'est Le livre de poche qui édite ces 471 pages parues en 2004 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Hugues Leroy.
Beaucoup d'avis unanimes : Blake, Kathell, Sophie, Papillon, ...
D'autres avis sur Critiques Libres, un autre site ici parle de Joseph Boyden.

Bouquin : Les visages

Woody Allen mène l’enquête.

L'écrivain Jesse Kellerman avait un destin tout écrit (si je peux me permettre ce mauvais jeu de mots) puisqu'il n'est autre que le fils des auteurs(1) Jonathan et Faye Kellerman.
A priori, d'après ce qu'on avait lu de ci delà, ce premier roman du rejeton de la famille Kellerman, Les visages, devait dépasser de loin les écrits du papa qui envahissent le rayon thrillers des relais de gare.
Ça commence plutôt bien dans le milieu judéo-artiste de New-York, avec humour et auto-dérision, un milieu qui rappelle un peu Siri Hustvedt (la femme de Paul Auster) mais en plus léger quand même, beaucoup plus léger.
Comme ici lorsque Ethan, le héros, évoque ses relations plutôt distendues avec son père ...
[...] Je n'avais aucune intention de restaurer les ponts entre nous ; quand mon père construit un pont, vous pouvez être sûr qu'il y aura un péage au milieu.
Ethan Muller est donc l'héritier d'une grande et riche famille juive américaine. Dernier de la lignée impériale des Muller, il est marchand d'art à TriBeCa, quartier chébran de Big Apple.
Voilà qu'un beau jour il tombe (par hasard ?) sur des cartons et des cartons emplis de milliers de dessins minutieux, pointilleux, obsessionnels, dont l'auteur, Victor, a disparu. Sur l'un de ces dessins (au centre d'un gigantesque puzzle) : les visages dessinés de cinq enfants assassinés il y a quelques années, victimes d'un serial killer jamais arrêté.
[...] « On dirait des trucs que Francis Bacon aurait pu dessiner en prison. »
[...] « Tu ne peux pas nier qu'il y a un aspect de démence dans son œuvre. Sa façon obsessionnelle de remplir chaque centimètre carré de papier ... Et puis il n'y a qu'un fou pour dessiner pendant quarante ans et tout planquer dans des cartons. »
La comédie intello new-yorkaise vire au polar, façon Woody Allen mène l'enquête.
Découvrir la clé du puzzle, retrouver l'artiste des dessins, clôturer l'enquête de ces meurtres non résolus ... cela devient rapidement une obsession pour Ethan qui délaisse peu à peu sa galerie et sa copine Marilyn (elle aussi galeriste et intello, et encore plus branchée).
La légèreté initiale de l'histoire (et de l'écriture) est traversée de quelques fêlures, quelques fulgurances.
Comme la rencontre d'Ethan avec l'ancien flic qui s'était occupé de ces affaires non closes, flic désormais à la retraite avec un cancer très très avancé(2).
Comme la soirée où Ethan et Marilyn se redécouvrent l'un l'autre, mais sans doute trop tard.
On commence à se douter que derrière la comédie superficielle pointe autre chose ...
Ethan le reconnait lui-même :
[...] Vous avez donc le tableau, une nette dichotomie : Marilyn, ma galerie et mon travail officiel d'un côté; et, de l'autre, Samantha, Victor et cinq enfants morts. Je vous en ai fait une jolie petite histoire que je vous ai servie sur un plateau de symbolisme. Mais vous ne pourrez jamais tout à fait comprendre à quel point cet hiver m'a changé en profondeur, car encore aujourd'hui, je ne le comprends pas moi-même.

Entre les chapitres, de courts intermèdes nous racontent les étapes de la saga de la famille Muller depuis les origines ... C'est pas bien gai. C'est jamais trop joli joli les histoires et les secrets de famille ...
Évidemment, la saga familiale finira par expliquer l'histoire des dessins mystérieux ... et l'allusion au père d'Ethan au début du roman (et au début de ce billet) n'est pas dûe au hasard.
Les amateurs de vrais polars et de serial killers seront sans doute déçus. Ce qui fait le charme de ce bouquin c'est bien le côté original de l'intellectuel new-yorkais, encore et toujours traumatisé par le 11 septembre(3), un côté amusant et agaçant, ... alors on aime ou on n'aime pas.
Difficile à classer, ce roman, plus qu'un polar, est avant tout une histoire de famille.
Comme ces artistes intellos, le style de Jesse Kellerman semble bien un peu superficiel : on le regrette d'autant plus qu'on le sent bien à certains moments capable d'aller gratter au plus profond de l'âme humaine.
Un bouquin curieux pour les curieux.
(1) : auteurs de ses jours, mais ça ferait un autre mauvais jeu de mots. Ça ferait trop, non ?
(2) : il a un cancer, ça c'est pas gai, mais aussi une jolie fille Samantha, une procureure qui plait bien à Ethan, ça c'est plus sympa.
(3) : tiens, on a juste fini le bouquin le 11.9.2010 ...

Pour celles et ceux qui aiment New-York.
C'est Sonatine qui, décidément, fait encore très fort après Vendetta et qui édite ces 472 pages parues en 2008 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Julie Sibony.
D'autrs avis sur Critiques Libres.

Cinoche : Poetry

Amis de la poésie, bonsoir.

C'est la rentrée et on a repris le chemin des cantines. Après notre cantine-théâtre avec Nunzio au Lucernaire, cette fois c'est la cantine-ciné des 7-Parnassiens.
Pour y apprécier ce qui pourrait bien être le film de la rentrée : Poetry du coréen Lee Changdong.
Attention ! Coréen ? Film asiatique ? Lent et contemplatif ? Poésie ? Ça promet !
D'autant que Lee Changdong se vante d'avoir eu l'idée de son film en regardant en pleine nuit à la télé une espèce d'interlude destiné à rendormir les insomniaques ! Ça craint ! Résultat : MAM a déclaré forfait. Dommage.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifParce que c'est bien le coup de cœur de BMR pour cette rentrée ciné après les décevants Salt et Crime d'amour.
Difficile de donner une vraie idée de ce film porté par une actrice magnifique (réputée chez elle semble-t-il, tout là-bas en Corée) : Yoon Jung-Hee.
À 65 ans, Mija, qui affectionne les fleurs, les robes pimpantes et les petits chapeaux, s'est mis en tête de réaliser un vieux rêve : écrire de la poésie. Elle suit donc des cours à la maison de la culture, elle s'inscrit à un club de lecture.
Mais il n'est pas facile de trouver l'inspiration et la poésie qui se cache derrière la réalité un peu sordide du monde.
Un monde où le seul plaisir de Mija est de regarder manger son exécrable petit-fils, en pleine crise d'ado, qu'elle élève seule depuis que la mère est partie travailler à Pusan.
Un monde où Mija subvient à leurs besoins en prenant soin d'un riche vieillard paralysé dont elle fait la toilette et le ménage(1). Entre le vieil infirme qui passe péniblement de son lit à sa baignoire et son ado qui partage son temps entre son lit et la télé, Mija n'a guère de temps pour sa passion, les fleurs.
Un monde où Mija rentre à l'hôpital pour des fourmillements au bras et ressort avec un début d'Alzheimer.
Un monde où une jeune fille vient de se suicider, victime d'un viol collectif au collège. Un monde où, bien sûr, le petit-fils de Mija faisait partie de la bande.
Un monde où les enseignants et les parents d'élèves préfèrent étouffer cette vilaine affaire et où les parents des jeunes violeurs voudraient bien s'entendre pour indemniser la mère de la jeune fille et éviter ainsi l'enquête de la police. Un monde où la vie d'une jeune fille est donc évaluée à trente millions de wons soit un peu moins de vingt mille euros.
Difficile dans le monde de Mija de trouver l'inspiration nécessaire pour écrire un joli poème ... Et difficile pour Mija de trouver l'argent nécessaire.
Mais ce n'est encore rien de tout cela qui fait vraiment le charme du film de Lee Changdong : le propos du cinéaste est ailleurs et pour être vraiment envouté, il faudra attendre le moment magique où les élèves du cours de poésie se racontent, à tour de rôle, seuls face à la caméra. Leur plus beau souvenir. Leur plus grande douleur. Plus tard, au club de lecture d'autres coréens ordinaires viendront déclamer quelques écrits. Dans ces moments-là, de pure humanité, la caméra de Lee Changdong est d'or.
Alors le professeur de poésie explique à Mija et aux autres élèves que pour parler joliment des choses il faut savoir les regarder autrement, d'un œil neuf, savoir déceler leur beauté, parfois cachée. Bref, lire entre les lignes, regarder derrière la face cachée du monde. Apprendre à regarder les arbres (c'est l'affiche), écouter le bruissement de leurs feuilles et le chant des oiseaux(2).
Et le film, très elliptique, est entièrement construit sur ce non-dit que le spectateur est invité à lire entre les images, à déceler dans les regards.
Entre Mija et son petit-fils on ne dit pas qu'on s'aime (à la fin d'un repas trop vite expédié : Tu sais ce que ta mamie aime par dessus tout ? Ouais ! Tu le sais vraiment ? Ouuuiii ! Et c'est quoi alors ? Pfff... : me regarder manger. Et il se rassoit à table en reprenant ses baguettes.).
Entre enseignants et parents d'élèves on ne parlera pas de ce qui s'est passé (Personne n'est au courant, n'en parlez pas. Même en dormant : surveillez vos paroles).
Entre Mija et les toubibs on ne dit pas qu'on a peur d'Alzheimer(3) : on disserte sur les fleurs du rebord de la fenêtre.
Entre Mija et la mère de la jeune victime on ne dit pas qu'on est brisé par cette tragédie : on parle du temps qu'il fait et de la récolte des abricots.
Le commissaire qui mène l'enquête (dont on ne voit rien) est lui aussi, amateur de poésie. Lui aussi se cache derrière quelques déclamations amusantes et bien tournées mais un peu osées. Entre Mija et le commissaire rien n'est dit non plus. C'est même une voisine de Mija qui énoncera tout haut ce que Mija pense tout bas des grivoiseries policières.
Une très belle scène, vers la fin du film, vaut tous les résumés : à la nuit d'été tombée, Mija et son petit-fils jouent au badminton dans la rue au pied de leur immeuble. Une voiture s'arrête. Le commissaire et son adjoint descendent. Le commissaire ramasse une raquette et se met à jouer avec Mija. Son adjoint emmène le petit-fils et la voiture démarre pendant que la grand-mère et le flic échangent encore quelques volants. Pas un mot. Mais plein de regards qui en disent beaucoup, beaucoup plus long.
Le film s'ouvrait sur la rivière qui charriait le cadavre de la jeune fille. Il se referme secrètement sur les mêmes bruissements d'eau. Ce sera donc à chacun d'écrire sa propre fin.
La seule chose dont on est sûr c'est que Mija a enfin trouvé l'inspiration et écrit son poème.
Un très beau film, peut-être réservé à un public averti, quelque part entre Mother et Lola, où l'on apprend aussi tout plein de choses sur la vie quotidienne tout là-bas, en Corée.
Un pays étrange et méconnu : ils fabriquent nos micro-ondes et nos voitures mais on ne les connait guère. Nul doute qu'un voyage prochain va s'imposer !

(1) : cela nous vaut d'ailleurs une très surprenante mais très belle scène d'amour ... (chut !)
(2) : au début du film, Mija aime à s'asseoir en bas de chez elle et regarder les feuilles bruisser dans les arbres. Une voisine qui vient à passer, regarde d'un drôle d'air cette mamie un peu toquée. À la fin du film, on retrouvera la voisine assise sous le même arbre, le nez en l'air !
(3) : au début de cette terrible maladie on commence par oublier les noms puis les verbes. C'est embêtant quand on veut écrire de la poésie. Surtout les noms.


Pour celles et ceux qui aiment la poésie et le badminton.
Dasola en parle comme Kathel, Boustoune et Guillaume.

Miousik : Pete Doherty

London calling.

Reprise en fanfare de la saison musikale !
Avec Pete Doherty, enfant terrible des tabloïds so british, camé à demi repenti, ex de Kate Moss dite la crevette et j'en passe et des frasques et des scandales ...
Mais oublions Gala ou Voici(1) et concentrons nous sur la miousik car derrière le diable se cache parfois une voix d'ange (et un sacré musicien).
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifÉcoutez moi un peu ce Last of the English Roses, façon Clash, on ne s'en lasse pas ...

She almost spilled her lager
Toasting girls of great beauty
But the closing moved by
Coming of age, coming alive
All the boys together
And all the girls together
She's the last of the English roses
She's the last of the English roses
Yeah she's the last of the English roses
She's the last of, last of the English
English roses
Ah sometimes you can't change
There'll be no place

L'impertinent impénitent se permet même de citer en français (c'est presque inaudible à la fin de ce morceau) un texte de Jean Genet : je te drague la rose mystique, tu l'arroses mystique ...

(1) : ces dames se reconnaitront ... elles connaissaient Pete Doherty avant moi !


Pour celles et ceux qui aiment les punks même imbibés.

Cinoche : Crime d’amour

Les dents de l’amer.

Après Salt, la saison ciné reprend lentement. Voici Crime d'amour avec une belle affiche ou plutôt, deux belles à l'affiche : Kristin Scott Thomas et Ludivine Sagnier.
Ça commence plutôt bien lorsqu'Alain Corneau décortique froidement au scalpel le petit monde d'une grande boîte avec une troublante relation professionnelle/amoureuse entre la presque PDG Kristin(1) et sa jeune assistante préférée Ludivine.
L'histoire du requin et du remora.
Sauf que le poisson pilote profite des leçons du requin et apprend vite, très vite.
Et lorsque la jeune Ludivine découvre les trahisons de son aînée ...  le film tourne alors à la vengeance et au crime (presque) parfait.
Même si tout est soigneusement décortiqué et largement expliqué (même le titre en dit trop long) on ne s'ennuie pas tout à fait.
Juste un peu de mal à "participer" ou entrer dans le jeu : en cause, le parti pris d'un film lisse et glacé.
Ludivine est maniaque : chignon et tailleur, bien propre sur elle, tout est rangé et classé, elle dort les bras sur la couverture bien lissée ... Et Kristin ferait passer le requin pour un animal à sang chaud.
Les bureaux sont sinistres et impersonnels (ben, des bureaux, quoi). Les maisons sont des images de catalogue (catalogues chics mais catalogues quand même). On comprend (trop) bien le message d'Alain Corneau, mais cette froideur délibérée ne nous facilite pas la tâche et le tout finit par ressembler à un téléfilm. Dommage.
Mauvais hasard ou triste coup du sort : Alain Corneau vient tout juste de décéder fin août alors que son film était encore à l'affiche ... De quoi regarder ce film désabusé d'un autre œil peut-être ...

(1) : pour laquelle on avoue un petit faible et qui décidément excelle dans ces rôles ambigüs : voir ici.


Pour celles et ceux qui aiment la vie de bureau.
Sandra et Rob sont beaucoup moins indulgents que nous qui venions de rentrer de vacances ...