Cinoche : Poetry

Amis de la poésie, bonsoir.

C'est la rentrée et on a repris le chemin des cantines. Après notre cantine-théâtre avec Nunzio au Lucernaire, cette fois c'est la cantine-ciné des 7-Parnassiens.
Pour y apprécier ce qui pourrait bien être le film de la rentrée : Poetry du coréen Lee Changdong.
Attention ! Coréen ? Film asiatique ? Lent et contemplatif ? Poésie ? Ça promet !
D'autant que Lee Changdong se vante d'avoir eu l'idée de son film en regardant en pleine nuit à la télé une espèce d'interlude destiné à rendormir les insomniaques ! Ça craint ! Résultat : MAM a déclaré forfait. Dommage.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifParce que c'est bien le coup de cœur de BMR pour cette rentrée ciné après les décevants Salt et Crime d'amour.
Difficile de donner une vraie idée de ce film porté par une actrice magnifique (réputée chez elle semble-t-il, tout là-bas en Corée) : Yoon Jung-Hee.
À 65 ans, Mija, qui affectionne les fleurs, les robes pimpantes et les petits chapeaux, s'est mis en tête de réaliser un vieux rêve : écrire de la poésie. Elle suit donc des cours à la maison de la culture, elle s'inscrit à un club de lecture.
Mais il n'est pas facile de trouver l'inspiration et la poésie qui se cache derrière la réalité un peu sordide du monde.
Un monde où le seul plaisir de Mija est de regarder manger son exécrable petit-fils, en pleine crise d'ado, qu'elle élève seule depuis que la mère est partie travailler à Pusan.
Un monde où Mija subvient à leurs besoins en prenant soin d'un riche vieillard paralysé dont elle fait la toilette et le ménage(1). Entre le vieil infirme qui passe péniblement de son lit à sa baignoire et son ado qui partage son temps entre son lit et la télé, Mija n'a guère de temps pour sa passion, les fleurs.
Un monde où Mija rentre à l'hôpital pour des fourmillements au bras et ressort avec un début d'Alzheimer.
Un monde où une jeune fille vient de se suicider, victime d'un viol collectif au collège. Un monde où, bien sûr, le petit-fils de Mija faisait partie de la bande.
Un monde où les enseignants et les parents d'élèves préfèrent étouffer cette vilaine affaire et où les parents des jeunes violeurs voudraient bien s'entendre pour indemniser la mère de la jeune fille et éviter ainsi l'enquête de la police. Un monde où la vie d'une jeune fille est donc évaluée à trente millions de wons soit un peu moins de vingt mille euros.
Difficile dans le monde de Mija de trouver l'inspiration nécessaire pour écrire un joli poème ... Et difficile pour Mija de trouver l'argent nécessaire.
Mais ce n'est encore rien de tout cela qui fait vraiment le charme du film de Lee Changdong : le propos du cinéaste est ailleurs et pour être vraiment envouté, il faudra attendre le moment magique où les élèves du cours de poésie se racontent, à tour de rôle, seuls face à la caméra. Leur plus beau souvenir. Leur plus grande douleur. Plus tard, au club de lecture d'autres coréens ordinaires viendront déclamer quelques écrits. Dans ces moments-là, de pure humanité, la caméra de Lee Changdong est d'or.
Alors le professeur de poésie explique à Mija et aux autres élèves que pour parler joliment des choses il faut savoir les regarder autrement, d'un œil neuf, savoir déceler leur beauté, parfois cachée. Bref, lire entre les lignes, regarder derrière la face cachée du monde. Apprendre à regarder les arbres (c'est l'affiche), écouter le bruissement de leurs feuilles et le chant des oiseaux(2).
Et le film, très elliptique, est entièrement construit sur ce non-dit que le spectateur est invité à lire entre les images, à déceler dans les regards.
Entre Mija et son petit-fils on ne dit pas qu'on s'aime (à la fin d'un repas trop vite expédié : Tu sais ce que ta mamie aime par dessus tout ? Ouais ! Tu le sais vraiment ? Ouuuiii ! Et c'est quoi alors ? Pfff... : me regarder manger. Et il se rassoit à table en reprenant ses baguettes.).
Entre enseignants et parents d'élèves on ne parlera pas de ce qui s'est passé (Personne n'est au courant, n'en parlez pas. Même en dormant : surveillez vos paroles).
Entre Mija et les toubibs on ne dit pas qu'on a peur d'Alzheimer(3) : on disserte sur les fleurs du rebord de la fenêtre.
Entre Mija et la mère de la jeune victime on ne dit pas qu'on est brisé par cette tragédie : on parle du temps qu'il fait et de la récolte des abricots.
Le commissaire qui mène l'enquête (dont on ne voit rien) est lui aussi, amateur de poésie. Lui aussi se cache derrière quelques déclamations amusantes et bien tournées mais un peu osées. Entre Mija et le commissaire rien n'est dit non plus. C'est même une voisine de Mija qui énoncera tout haut ce que Mija pense tout bas des grivoiseries policières.
Une très belle scène, vers la fin du film, vaut tous les résumés : à la nuit d'été tombée, Mija et son petit-fils jouent au badminton dans la rue au pied de leur immeuble. Une voiture s'arrête. Le commissaire et son adjoint descendent. Le commissaire ramasse une raquette et se met à jouer avec Mija. Son adjoint emmène le petit-fils et la voiture démarre pendant que la grand-mère et le flic échangent encore quelques volants. Pas un mot. Mais plein de regards qui en disent beaucoup, beaucoup plus long.
Le film s'ouvrait sur la rivière qui charriait le cadavre de la jeune fille. Il se referme secrètement sur les mêmes bruissements d'eau. Ce sera donc à chacun d'écrire sa propre fin.
La seule chose dont on est sûr c'est que Mija a enfin trouvé l'inspiration et écrit son poème.
Un très beau film, peut-être réservé à un public averti, quelque part entre Mother et Lola, où l'on apprend aussi tout plein de choses sur la vie quotidienne tout là-bas, en Corée.
Un pays étrange et méconnu : ils fabriquent nos micro-ondes et nos voitures mais on ne les connait guère. Nul doute qu'un voyage prochain va s'imposer !

(1) : cela nous vaut d'ailleurs une très surprenante mais très belle scène d'amour ... (chut !)
(2) : au début du film, Mija aime à s'asseoir en bas de chez elle et regarder les feuilles bruisser dans les arbres. Une voisine qui vient à passer, regarde d'un drôle d'air cette mamie un peu toquée. À la fin du film, on retrouvera la voisine assise sous le même arbre, le nez en l'air !
(3) : au début de cette terrible maladie on commence par oublier les noms puis les verbes. C'est embêtant quand on veut écrire de la poésie. Surtout les noms.


Pour celles et ceux qui aiment la poésie et le badminton.
Dasola en parle comme Kathel, Boustoune et Guillaume.

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