Cinoche : Le médecin de famille

Le bon docteur.

On se souvient du procès d'Adolf Eichmann évoqué dans le film sur Hannah Arendt : il fut capturé par le Mossad à Buenos Aires en 1960.
On se souvient également du passé fasciste de l'Argentine péroniste (re)découvert dans l'un des bouquins de Philip Kerr.
Ces sombres années de l'histoire argentine composent le décor du film de la romancière Lucia Puenzo qui adapte ici à l'écran l'un de ses écrits Wakolda : Le médecin de famille.
Nous voici à la toute fin des années 50, au fin fond de la Patagonie toujours battue par les vents : cette région perdue est le refuge de pas mal de nazis exfiltrés et n'a heureusement pas encore été perturbée par la transition démocratique. Les enfants y ont encore la chance de profiter d'un enseignement en allemand qui prône les avantages de l'ordre et de la discipline et vante les mérites d'un esprit sain dans un corps sain(1).
Dans ce contexte, une famille locale va reprendre l'exploitation d'un hôtel(2).
Leur premier client sera (incognito ou presque) le nazi Josef Mengele, de sinistre mémoire.
Le bon docteur est attiré par la jeune fille de la famille qui souffre d'un déficit de croissance : elle s'appelle Lilith, elle a douze ans mais en paraît neuf. Un cobaye rêvé pour les expériences du bon docteur.
Elle même est fascinée par ce bon docteur, élégant, savant et bien élevé, qui pourrait bien l'aider à grandir et à échapper aux moqueries de ses gentils kamarades de l'école.
Mais il serait difficile (et vain) de tenter de résumer ce film complexe et ambigu : il y a encore la mère, et encore le père, et encore une voisine photographe. Et donc le si gentil docteur et encore tous ses amis germanophones.
Peu importe le résumé donc, car c'est l'ambiance distillée par le film qui vaut le déplacement. Une ambiance angoissante, un peu à la Hitchcock, qui s'installe dès les premières images de ces landes battues par les neiges et les tempêtes. Le décor du fabuleux hôtel ressemble presque à celui de Shining. On s'attend constamment au pire. Et pourtant aucune violence ne nous sera montrée. Le passé de Mengele est "seulement" évoqué par quelques croquis de ses carnets qu'il continue de gribouiller en prenant les mensurations de Lilith (et même de ses frères et parents). Mais de chaque image, trouble et ambigüe, nait le malaise, entre horreur et fascination. Le mal et son attirance. Même les simples poupées que fabrique le père semblent envoûtées et maléfiques(3)!
Lucia Puenzo(4) est une cinéaste diabolique et habile ... tout comme son personnage, le bon docteur Mengele, et elle nous livre un film inclassable qui n'est ni une nécessaire dénonciation historique, ni un thriller fantastique d'épouvante.
Avec de très belles images, une sacrée musique et un final paroxystique particulièrement réussi.
Après un tel film, autant vous dire que le bouquin de Lucia Puenzo est tombé dans la pile à lire ... et la boîte de vitamines à la poubelle !

(1) - belles images de natation scolaire qui évoque l'esprit sportif des films de Leni Riefenstahl
(2) - superbe lieu, superbes paysages : si l'on arrivait à oublier l'ambiance du film, on pourrait presque y rêver de vacances ...
(3) - ah, la visite de la fabrique de poupées ! ou l'art de manipuler les images  ... (et le spectateur)
(4) - à noter : Lucia Puenzo avait déjà réalisé un précédent film (pas vu), XXY, où il était question là aussi de génétique et d'adolescence


Pour celles et ceux qui aiment les vitamines et les hydravions.
Critikat en parle.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.