Cinoche : Masaan


Le bûcher des vanités.

Surfant sur le succès de la mémorable Lunchbox qu'ils nous avait livrée début 2014 en provenance de Mumbai, les programmateurs remettent le couvert avec un nouveau film indien, tourné à Bénarès cette fois-ici.
Et parce que ce Masaan est de nouveau du très grand cinéma, parce que cette séance brille de mille feux dans une année ciné des plus ternes, on peut sans se tromper, prédire une déferlante de films indiens pour les prochains mois !
Courrez donc vous rafraîchir dans une salle obscure et laissez vous emporter par les eaux du Gange jusqu'à ces fameux ghats de Bénarès.
Au bord du fleuve sacré, la basse caste des Doms est chargée de la crémation des morts : un boulot impur même si les plus nobles hindous, jusqu'aux brahmanes, finissent sur les bûchers dont la flamme sacrée est entretenue depuis des milliers d'années par ces intouchables.
Masaan, c'est le bûcher en VO.
Nous partagerons un peu de la vie de deux familles de Doms.
D'un côté, une jeune femme (superbe Richa Chadda, presque trop pour le rôle), une jeune femme qui vit seule avec son père (on découvrira plus tard les secrets qui les attachent) et qui entreprend de faire son auto-éducation sexuelle et amoureuse.
Mais bien mal va lui en prendre : une brigade de flics va débarquer dans le petit hôtel (scènes très dures) et, corruption oblige, son père et elle vont se trouver soumis à un odieux chantage.
De l'autre côté, un jeune homme tombe amoureux d'une jeune étudiante et l'on va suivre leur idylle naissante, portés par l'adorable sourire niais de ce jeune amoureux.
Mais bien mal va lui en prendre : l'objet de son désir est d'une noble caste, lui n'est qu'un paria qui essaie de sortir de ce carcan social par les études.
D'autres histoires vont s'entrecroiser : les orphelins exploités comme plongeurs (on a tous, même les Doms, besoin de plus petits que soi), le parcours d'une bague, les chemins de fer indiens (ah, le pont de Bénarès), la rédemption d'un père qui essaiera avec l'orphelin de racheter sa faute passée, et encore et toujours le fleuve et les bûchers de crémation, ... Le film est beaucoup plus 'construit' qu'il n'y parait et tous ces éléments vont entrer en résonance les uns avec les autres.
Présenté dans la sélection Un certain regard à Cannes, le premier long métrage de Neeraj Ghaywan était annoncé comme un film social sur la jeunesse indienne en quête d'émancipation, écartelée entre traditions et modernité.
Alors oui bien sûr il s'agit d'un certain regard de cinéaste ou plus exactement d'un certain point de vue destiné à attirer nos regards d'occidentaux. Nos regards fascinés par cet étrange système de castes incompréhensibles (nous qui, bien sûr, ne faisons aucune différence entre banlieues est et banlieues ouest, entre XVI° et XIII° arrondissements, entre pays d'en-bas et pays d'en haut, air connu).
Mais on aurait bien tort de réduire ce film à ce seul point de vue.
D'abord parce que les images (et la musique) sont superbes : tout comme le scénario, les cadrages et les plans sont très construits eux aussi, mais la caméra parvient à naviguer habilement entre les clichés de carte postale et le misérabilisme que l'on pouvait craindre. Tout comme d'ailleurs est évitée la bluette amoureuse façon Bollywood : d'entrée de jeu, les copains du jeune homme se chargent d'abattre les cartes devant nos yeux, même si lui ne veut pas ouvrir les siens.
Ensuite parce que les acteurs, même les seconds rôles, gagnent notre adhésion dès leur apparition sans doute parce que le film (tout comme un bon bouquin) est bienveillant envers ses personnages.
Enfin parce qu'il s'agit d'une très forte histoire qui dépeint une incroyable violence sociale : corruption, bastonnade, exploitation des uns et des autres, difficultés économiques, poids des traditions, mirages de la modernité, ... Le film se termine d'ailleurs sur des propos ambigus où il semble bien que tout le monde retrouve la place qui était la sienne et qu'il n'aurait pas dû quitter ...
En dépit de ce pessimisme, le film réussit malgré tout à nous donner une furieuse envie d'aller voir de plus près les ghats de Bénarès ! Une prouesse sans doute due à la poésie qui baigne toute cette histoire comme les eaux troubles du Gange et à la spiritualité qui berce ce film.
Vous l'avez compris : c'est un gros coup de cœur pour un film qui a toutes les chances de terminer sur notre podium cette année (de toute manière, vu le reste de la production 2015 ...).
Courrez voir ce film, lisez le moins possible de critiques dessus (vous n'auriez même pas dû lire ce billet !) et laissez vous porter par ce certain regard, peut-être formaté tout exprès pour nous, mais qui n'en n'est pas moins magique.

Une interview de Richa Chadda, une star en son pays, bien entendu.
Pour celles et ceux qui aiment les eaux du Gange.
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