Cinoche : Une seconde mère


La bonne, la piscine et le service à café.

Il y a des semaines comme celle-ci qui pourrait vous racheter une année entière de cinéma (presque) sans relief ni 3D.
Après le superbe Masaan, voici quelques autres images de pur bonheur avec Une seconde mère de la brésilienne Anna Muylaert.
Hasard des plaisirs cinématographiques, les deux films à ne pas rater en ce moment nous emportent à près de 10.000 km de chez nous (Bénarès/Varanasi et São Paulo) mais partagent quelques points communs.
Car il est encore question ici de castes, et oui.
Val' appartient également à celle des Doms, tout comme à Bénarès, mais au Brésil entendez par là la caste des Domestiques. Voilà dix ans qu'elle a débarqué de son Nordeste natal après avoir délaissé sa propre fille, qu'elle fait la bonniche nourrie logée chez une famille de bourgeois de São Paulo et qu'elle tient lieu de seconde mère au jeune fils de la famille, devenu adolescent depuis tout ce temps.
Ces bourgeois désœuvrés (si j'ai bien compris, y'en n'a pas un seul qui bosse vraiment), incapables d'élever leur propre gosse, font l'unanimité contre eux tant ils sont puants de fausse gentillesse et d'aveugle condescendance. Maîtres et valets, c'est la lutte des castes façon novella. À la limite de la caricature. Mais peu importe : personne ne s'intéresse vraiment à eux, même pas la caméra qui les cadrent entre deux portes, dans un coin de la salle à manger (vraiment bien vu !), alors que tout se passe dans la cuisine de Val' où le frigo est un personnage à lui tout seul.
Oui : Val'. Car c'est bien elle le cœur (dans tous les sens du mot) le cœur du film, un rôle fabuleux pour une actrice fabuleuse comme on en voit de temps à autre dans ce genre de film [clic]. Et c'est pas tout, car Jessica, la fille abandonnée dans le Nordeste a grandi et la voici qui débarque à São Paulo pour ses études.
Un courant d'air, orageux et charmant, vient d'entrer dans la maison bourgeoise où chacun tenait soigneusement sa place (chez les valets comme au sein du couple de maîtres) et où Val' ne sortait pas de sa cuisine, très consciente du périmètre qui lui était dévolu et autorisé (c'est d'ailleurs ce qui fait un très bon valet et un service de qualité, il faut le rappeler).
Après une mise en place un peu longue, le festival peut commencer et se terminera en apothéose avec deux scènes qui valent vraiment le déplacement.
La déjà fameuse scène de la piscine qui verra Val' abandonner autocensure et servilité et plonger hors de son carcan social.
Et la touchante scène finale, dans le petit appartement où vont se retrouver mère et fille.
Le titre du film prendra alors tout son sens, ou plutôt tous ses sens : si Val' était évidemment une seconde mère pour le fils de famille, ça on avait bien compris, elle se découvrira une seconde vie, sa fille retrouvera sa seconde mère et d'autres significations encore, plus subtiles encore mais qu'on ne peut pas vous dévoiler, ce serait dommage même si c'est pas l'envie qui nous démange mais on peut pas vous dire, non, même si on voudrait bien quand même car il y aurait encore tant à dire, mais bon. Alors stop.
Ces deux femmes, la mère et la fille, Regina Casé et Camila Mardila, dégagent une telle présence, une telle humanité, un tel naturel que c'en est confondant, époustouflant, jubilatoire, jouissif, bref un grand moment de plaisir cinéma.
Et pourtant l'histoire n'est pas bien gaie : la mère avait abandonné sa fille, celle-ci débarque au mauvais endroit, la tension monte dans ce huis-clos et malgré l'humour, on vacille sans cesse au bord du drame, et d'autres choses encore (qu'on peut pas vous dévoiler même si ... bon, relire plus haut).
Voici donc encore une chronique douce-amère venue de ces étranges contrées lointaines, toujours régies par des systèmes de castes, heureusement que c'est pas du tout comme ça chez nous (ou alors c'était y'a longtemps dans les années 50 [clic] ).
Avec en prime, une excursion dans un Brésil bien loin des cartes postales.
Conclusion de cette belle semaine cinéma : mieux vaut être de la caste des Doms au Brésil qu'à Bénarès, c'est quand même plus cool.

Pour celles et ceux qui aiment les services à café modernistes.
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